Lèvius - 5.1

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Une succession presque infinie de berlines se présentait face aux longues marches du palais d'Aldius. Nombreuses étaient les familles nobles à se presser en ce lieu d’importance et à son événement plus que spécial. Le Bal de la cité nation était une véritable institution pour ainsi dire. Un rendez-vous annuel pour les “sangs bleus “ d'Aldius. Qu’ils soient résidents des plus hautes spires de la ville ou exilés tout droit venus des plus lointaines et recluses colonies du giron impérial.

Lèvius, bien qu’installé dans la cabine de son confortable transport, ressentait chacun des pavés du sol. La berline était capitonnée par d’agréables banquettes ou les armoiries de la famille se trouvaient brodées d’une main de maître au fil d’or. Une petite lampe était également attachée sur le plafond de bois laqué éclairant ainsi les deux augustes passagers. Lèvius et sa femme avaient tout la commodité dédiée aux nobles de leurs rangs.

De sa fenêtre latérale, le Baron Devràn observait toute la ville qui s’étendait à perte de vue en contrebas. Les constructions d'aciers ou de briques grignotaient le moindre espace jusqu’au lointain et gigantesque mur d’enceinte qui bouclait le tout de sa sinistre couleur grise. La vue était remarquable même avec la nuit qui régnait. Les lumières d’Aldius étaient comme une nuée de lucioles orangées dansant dans l’obscurité.

Le Baron Devràn détourna la tête de cette vision lorsque son transport se stoppa. Les bruits de sabots des montures cessèrent. Des liserés d’or couraient sur toute la porte latérale de la berline en amplifiant toujours plus la sensation d'opulence. La poignée en son centre revêtait cette même auguste parure jaune. Elle pivota sous les yeux de Lèvius pour laisser le coté s'ouvrir et faire place au visage du capitaine Braggs dans son uniforme au brassard vert.

— Madame…

L’officier de la milice tendit sa main à Alina pour l'aider à descendre du transport. Elle la saisit et se servit de la marche d’acier pour fouler le sol le plus élevé de tout Céresse.

Lèvius, qui récupérait quant à lui sa canne, souffla une fois seul dans l'habitacle. Il vidait le stress, toutes les idées parasites qui occupaient son esprit et dont il ne voulait pas être l'hôte pour le moment à venir. Jetant un dernier regard à la ville, il quitta également le transport et fit à son tour son apparition sur la large place.

Il y avait foule, tout le gratin de l’Empire était là. Les soldats habillés de leurs plus superbes uniformes de parades s’étendaient tout autour des grilles du palais impérial de leur impeccable couleur bleue. Les hautes protections d’acier se voyaient couronnées de pic doré. À cette hauteur, au plus loin de la fange du sol, chaque détail avait son importance.

Les hommes assurant l’office de sécurité avaient beau se harnacher des costumes de l’armée, Lèvius savait bien qu’ils n'en étaient rien. Il n’était pas dupe. Hors des miliciens limités à la bonne tenue des transports des familles, la moindre personne qui possédait une arme dans ce niveau sacré de la ville dédié à sa Majesté faisait partie exclusivement de sa garde d’Onyx.

Lèvius se redressait instinctivement, par fierté en ne voulant pas être écrasé par le décorum ambiant. Il regardait la demeure de l’Empereur. Le palais en pierre et marbre lisse semblait neuf, pur, et parfaitement à sa place, aussi près des nuages dont il retranscrivait la couleur si divine. Ces brumes laiteuses étaient à la portée du baron Devràn. Elles touchaient la pointe du dôme surdimensionné qui terminait la grande construction.

La large porte en bois gravée que Lèvius aperçut ensuite se trouvait précédée d’une longue volée de marches. Cette montée était encadrée par des statues représentant d'anciens monarques de la cité nation ainsi que ses héros de guerre les plus glorieux. Elles bordaient toutes la voie en ajoutant un sentiment de puissance même pour le Baron Devràn pourtant habitué depuis son plus jeune âge à cet endroit.

Lèvius face aux grilles se voyait de plus en plus harassé par la cacophonie qui régnait. Les nombreuses familles de nobles créaient de discordants échanges devant l’entrée du palais. Les défenses d’acier étaient coupées en leur milieu, juste au niveau des marches, par une porte ouvragée plaquée d’or. Une couronne avait été façonnée pour représenter la maisonnée impériale dans son Saint des saints au travers d'une reprise de ruban, il y avait écrit la devise des Dirigeants d'Aldius:

" D'un sang pur, nous sauvegardons les hommes "

Des mots bien présomptueux même pour les plus puissants du monde.

Le transport de Lèvius faisait partie d'une longue succession d'engins. Sa famille sortait petit à petit des trois véhicules qu’ils avaient été affrétés pour cette soirée. De nombreux berlines et fiacres, qui rivalisaient en décorations et ostentations se suivaient par la suite en une interminable file.

Les soldats en uniformes, les gardes, qui accueillaient ces augustes visiteurs, ne bougeaient pas face aux arrivantes. Ils étaient comme les statuts des marches. Impassibles. La montée allait être la première épreuve et pas une simple formalité pour le Baron qui allait avoir bien des difficultés à grimper contrairement au reste de sa maison.

— Nous y voilà, fit Alina en ne boudant pas son plaisir aux côtés de son mari qui ne semblait pas apprécier l’événement de la même manière. Quoi !? Pour une fois que notre quotidien change un peu, tu devrais sourire…

— Je le fais.

— Hum…

— Ça te fera du bien, j’en suis sûr, continua-t-elle en prenant le bras de Lèvius.

Le Baron se retourna vers l’avant de son transport.

— Braggs !

— Monsieur, répondit le capitaine de la milice en avançant vers son maître.

— Vous savez quand revenir. Ne nous faites pas attendre.

— Jamais monsieur.

Il s'effaça pour regagner la berline, les fouets claquèrent et les trois véhicules partirent pour faire place aux prochains. Les jumeaux ainsi que Louise, la fille d’Alina et Lèvius, s’approchèrent pour se joindre à leurs parents. Vilius semblait toujours désabusé comme à son habitude, mais Louise et Paul étaient dans de tout autres dispositions.

— On dirait que Sa Majesté a encore vu grand pour sa cérémonie.

— Profites-en Paul, on ne sait pas ce que peut nous réserver la course.

— Vilius ! gronda Alina.

— Quoi ? Je ne fais qu’annoncer des faits…

— Comme si mère n’avait pas assez de soucis comme ça.

Vilius avait cet air de défiance face à sa sœur.

— Tu devrais plutôt te concentrer sur la soirée, après tout, tu ne vas pas tarder à être offert pour une alliance. C'est ton rôle, non !?

— Pense au tien, finit juste par dire le Baron Devràn.

La réponse rêche de Lèvius mit fin à cet échange stérile de pics.

La fête allait avec de la chance rendre moins acerbe l'héritier de la maison. À ce stade Lèvius n’y prêtait plus trop attention, Vilius avait un droit d'aînesse. Mais ce qui allait avec sa future fonction comme la bonté ou la réflexion lui faisait cruellement défaut. Tourmenter son frère à propos de la course n’était pas des plus appréciable, ni se moquer du destin de sa sœur. Malgré tous les efforts que pouvait faire Lèvius quant à son éducation, il connaissait une vérité inaltérable. On ne naissait pas dirigeant, on le devenait. Vilius ne semblait pas être fait pour le dur rôle de Baron. Lèvius allait devoir le mettre à l'épreuve et si cela ne portait pas ses fruits, il allait devoir réfléchir à une issue. Mais toutes les considérations d’héritage et leurs lots de prises de tête pouvaient bien attendre encore un soir.

Lèvius observait ses trois enfants, il se rappelait du premier Bal de chacun. Le temps passait vite, trop…

— Contentez-vous de bien vous tenir à présent.

— Oui père, fit sa fille.

— Et Paul ?

— Oui.

— Pas d’excès, il faut que tu sois reposé pour demain.

Lèvius remarqua Paul hocher la tête. Il ne se faisait pas trop de soucis, ses héritiers malgré leurs défauts étaient éduqués. Tous savaient que cette soirée rimait avec politique. Des affaires allaient être conclues et des alliances scellées. Chacun d’eux allait être observé par le moindre noble ou bourgeois d'importance.

Le Baron fut le premier à se mettre en marche, toujours accompagné par sa femme, il ouvrit la voie en dépassant les grilles. Lèvius remarquait les nombreux soldats en s'attaquant à la volée de marches.

Il mit un moment à gravir cet obstacle menant au palais. Personne ne parla, mais chaque membre de la famille escorta Lèvius en s’accordant à ses pas lents. De multiples groupes se pressaient autour d’eux pour rejoindre la réception en les dépassant. Ce fut l’un de ceux qui attendaient devant les magnifiques battants de bois gravés qui attira le Baron Devràn

Parmi les familles présentes, celle des Ryther drainait bien des regards. Il semblait que leur maison était presque toute de la partie.

— Lèvius.

— Horace, c’est plaisant de voir un visage amical parmi ce nid de serpents (le Baron lui serrait la main vigoureusement).

La femme d’Horace lui fit un signe de tête en remerciement avant de parler avec Alina.

Hormis Adrian qui servait avec Malden au front, le fils aîné du Baron Ryther était de la partie ainsi que ses deux sœurs. Les deux familles se mêlèrent et Lèvius se mit à échanger avec son homologue du parlement. La discussion tourna vite autour des éternels sujets de la politique et des affaires, mais c'est quand ils entrèrent dans le bâtiment que le discours d’Horace capta toute l’attention de Lèvius.

— L’Empereur sera là.

— Quoi !?

Lèvius avait écouté machinalement son ami, mais cette simple nouvelle résonnait dans son esprit. Et pour cause. La fête avait certes lieu dans le palais d’Ortianus, mais ce dernier n'assistait plus au bal depuis au moins dix ans.

— Ça va faire bizarre de le voir, je dirais que je m’étais presque habitué à l'unique présence de Klüg…

— Cet animal prenait plaisir à jouer les Empereurs, je me demande quelle sera sa réaction aujourd’hui. Et pourquoi le vieil homme daigne-t-il se montrer enfin en public ?

— Bonne question…

— Peut-être la tournure de la guerre ?

Lèvius secouait la tête.

— Non, ça fait un moment que nous pataugeons dans un statu quo des plus coûteux.

Le Baron Devràn semblait réfléchir pleinement alors qu’il marchait aux côtés de son homologue.

— À moins que ce soit la situation de notre cité nation qui l’oblige à honorer ses devoirs. Il n’y a plus une semaine sans grève ou révolte dans les quartiers industriels.

— Possible. Mais l'honneur et le devoir ne doivent pas être des mots compris dans le vocabulaire de Sa Majesté.

— Ha ! fit alors Horace avec un air victorieux. Je crois que tu as trouvé une piste.

— Peut-être (Lèvius réprimait un léger sourire). Les divisions de plus en plus claires de l’assemblé doivent peut-être troubler sa garde rapprochée. Les indisposer assez pour lui demander de réaffirmer sa présence. C'est assez fin de leur part. Le moindre homme d’importance de l'Empire sera des nôtres ce soir.

— Ça sent à plein nez les manigances de Klüg si tu veux mon avis.

Horace associait à ses mots un geste de ses doigts à son nez.

— Klüg ou Kardoff…

Le Baron Ryther semblait adouber ces dernières conclusions. Leur échange prenait fin tandis que les pas des deux familles progressaient de plus en plus au sein du palais. Les couleurs diverses se substituaient à la grandiose architecture extérieure.

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