Lèvius - 5.2

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Les allées se trouvaient encadrées par des armures provenant de temps révolus. Elles se succédaient les unes aux autres en étant entrecoupées par des toiles de maître dont la beauté se surpassait à chaque tournant. Elles présentaient par endroits des paysages connus uniquement en rêves ou au travers des écrits du passé. Des plantes d'un vert irréel et ce ciel si, bleu. Quelques soldats parsemaient également la multitude de décors du couloir. Le service d'ordre de Sa Majesté se trouvait au garde-à-vous. Chacun se voyait équipé de longues hallebardes. Ces armes de parade étaient agrémentées par d'impeccables pompons aux couleurs de la maison Impériale variant entre le bleu et l'or.

Plus le Baron s'enfonçait dans le bâtiment, plus le son ambiant devenait clair.

Tels des papillons de nuit attirés par une lumière, les membres des deux augustes familles se voyaient convier à la fête par les sonorités musicales qui résonnaient avec douceur à travers les murs de l’édifice.

Lèvius, qui menait sa délégation, laissa Horace et les siens s'engager en premier dans la vaste salle d’accueil de leur hôte. Leur réception était à la hauteur de leur maisonnée. Puis ce fut au tour des Devràn. L'un des gardes armés de sa longue hallebarde fit un signe de tête au Baron qui entra donc à son tour.

L’endroit circulaire était noir de monde, les musiciens et leurs instruments à cordes se firent silencieux petit à petit pour laisser parler le héraut impérial qui se tenait au deuxième étage du lieu. Sur le balcon dédié à l’Empereur et ses proches. Il s’exclama alors avec force :


“ Baron Lèvius de la maison Devràn !”


Le temps d’un instant, les voix avaient subtilement mué des discussions bruyantes aux discrets chuchotements. Tous les regards étaient rivés sur la famille des Devràn. Sur les représentants de l’Ours et quelques applaudissements couraient dans la foule présente. Pour certains, il fallait voir en cela toute la puissance et le respect engrangé par Lèvius et les siens. Pour d’autres, tout le danger que représentait leur aura dans le palais même de Sa Majesté.

Sous ces signes de respect et autres regards de défiance, Lèvius et les siens dévalèrent les quelques marches qui menaient à la salle. De nombreuses tables parsemaient les planches laquées du sol. Des pyramides de verres se portant à presque trois mètres composaient de véritables fontaines. Ces contenants en cristal étincelant avaient fière allure. Quelques plats étaient également dispersés avec des couverts en argent parfaitement astiqués qui brillaient juste au-dessous des luminaires du distant plafond.

Comme pour refléter toujours plus l'opulence du palais, les éclairages à pétroles avaient cédé la place à d'antiques bougies parfumées qui imprégnaient la pièce de réception de leur odeur enivrante. Il semblait régner un air pur venu d'un autre monde.

Les membres de la famille Devràn ne restèrent pas longtemps seuls. Ils se mélangèrent à la foule, rencontrant amis et connaissances.

Lèvius observait de son œil les nombreuses figures d’importance qui se tenaient entre les larges tables. Outre les nobles, certains commerçants avaient été invités. Les fameuses compagnies de négoceimpériales, reconnaissables à leurs insignes de balance ironiquement à son juste équilibre, devaient étirer leurs vastes toiles d'influence. Où simplement conclure de nouveaux contrats pour enrichir toujours plus leurs grasses institutions.

Quelques membres des collèges arcaniques étaient aussi de la partie avec leurs longs manteaux, ils échangeaient avec les officiers de l’armée présents coiffés de leur bicorne si particulier. Les plus inhabituels se trouvaient être les délégués des colonies méridionales. Ils étaient des plus reconnaissables avec leurs habits typiques des déserts de cendres qui alliaient un mélange de différents vêtements fins et amples. Leur visage, quant à eux, se révélait être plus sombre que celui des résidents d’Alidus ou ses environs. Leur peau était tannée, marquée par cette partie de l’Empire où le soleil perçait les épais nuages de Céresse en ne s'éclipsant que rarement.

De tous ces gens d’importance, le Baron Devràn n’arrivait pas à percevoir l’Empereur Ovidius. Lèvius observait bien sur le balcon qui les dominait tous, mais à part la cour de Sa Majesté présente en nombre, il ne discernait aucunement sa tête couronnée.

Lèvius saluait les connaissances qui croisaient son chemin. Il continua sa route pour rejoindre l’une des grandes tables de la salle et y admira la pyramide qui prenait place avant de saisir l'un des verres. Tous se voyaient remplis d’une boisson rouge pétillante. Il était rare dans la cité nation, même pour un homme de sa stature, de se procurer autre chose que ses alcools vieillis ou les gnoles qui pullulaient dans les niveaux inférieurs. Il était plaisant de pouvoir changer. L’Empereur savait recevoir, il n’y avait pas de doute, il aimait garder siennes les choses d’importance…

La boisson du magnifique verre de cristal avait un goût des plus inhabituel. Une fraîche fragrance de fruit rouge envahit le palais du Baron, quelques touches subtiles de sucré se cachaient derrière ces premières notes.

Tandis qu’il dégustait l'alcool, Levius vit l’une des nobles dames de l’assemblée se diriger vers lui. L’esprit de Lèvius lui rappela bien vite à ses souvenirs. Le temps avait fait son office, mais le visage de la demoiselle avait gardé une partie de sa beauté telle une vivace fleur revêtant avec grâce ses derniers pétales. Il s’agit de Phénora Domont, l’une des potentielles promises au Baron Devràn il y a de trop nombreuses années de cela. Un autre âge pour ainsi dire.

— Lèvius quel plaisir de vous voir.

— De même madame.

Elle n'avait décidément pas perdu de sa superbe et sa robe l’aidait bien en ce sens. Le Baron fit une courte révérence en saisissant la main qui lui était tendue.

— Par les trois, depuis combien de temps ne nous sommes-nous pas vus ?

— Une éternité, je dirais.

— Alors, trinquons à cette heureuse rencontre.

Elle avait proposé son verre, imité dans la foulée par le Baron Devràn.

— Certains annonceraient que vous m’avez évité…

— Nullement Phénora. Je pense que la vie s’en est simplement chargée.

Il avait utilisé son prénom comme si c’était une habitude. Tout le poids du passé semblait rattraper Lèvius alors qu’il laissait Phénora poser l’une de ses mains sur son bras pour marcher.

— Je me fais juste rare dans les festivités.

— Je le sais.

Elle souriait, par empathie ?

— C'est triste, les seules nouvelles de vous ont été par mon mari. Il n'est pas peu de dire que son jugement est bien tranché quant à votre personne.

— Rien de surprenant, c’est un fervent soutien de ce bon Vadim. L’assemblée n'a jamais été autant partagée entre deux camps distincts. Nous sommes à l'opposé l’un de l’autre.

Phénora se laissa rire.

— Ha… Vos guerres de pouvoirs sont un récit qui ne paraît connaître nulle fin.

— Ainsi va la vie.

— Hum, je n’en suis pas convaincu. Vos différends ne sont pas si éloignés de ceux de vos prédécesseurs. La lutte des pères est devenue celle des fils et il semble que vous prévoyiez de la transmettre en héritage.

— Notre société repose sur la politique. Les conflits sont le propre de l’homme et des puissants.

Phénora buvait une légère gorgée de sa coupe comme pour réfléchir à sa future phrase.

— Regardons où cela nous a menés. De proche, nous sommes changés en d'inconnus, avalés par cette ville. Nous ne sommes que les pièces d’un échiquier sur lequel nous n’avons aucune prise.

— Belle métaphore. Il faut se rassurer en disant que notre destin était tout tracé. Un individu, peut-il seulement se soustraire au chemin qui lui a été dessiné par ses prédécesseurs ?

— Je le pense, ou du moins je l'espère, cher Baron.

Elle se rapprocha alors de Lèvius, juste à côté de son oreille.

— Je regrette pourtant ce destin comme tu l’annonces. Peut-être que si nous avions…

— L’histoire est écrite, se torturer en conjecture ne fera que nous blesser.

Le visage Phénora revêtait son masque de façade, mais tout comme le Baron, les souvenirs d'un temps révolus étaient encore bien présents. Ils faisaient partie d’eux et formaient les êtres qu’ils étaient. La tristesse se trouvait être leur passager commun. Lèvius tenta alors de réorienter la discussion.

— D’ailleurs, où est votre mari ?

— Juste là.

Suivant le regard de Phénora, Lèvius observa Rémial Domont s'adonner à des négociations grandement engagées et secondées par d’amples gestes. Le noble se trouvait entouré par une large délégation d'officiers de la marine. Ils ne semblaient pas faire les fières faces à l'un des plus important fabriquant de navire d’Aldius. La récente débandade au front nord et la perte de certains cuirassiers devaient peser sur leur honneur pourtant habituellement porté bien haut avec leur uniforme d'un blanc immaculé.

— Je vais vous laisser, fit Phénora. Je pense que le Baron Domont vous pose déjà assez de problèmes à l'assemblée, je vous épargnerais donc sa présence ou la mienne. Ce fut un plaisir…

— Partagé.

Lèvius souriait alors qu’il l’observait s'éloigner. Le Baron entendit des voix autour de lui venant d’hommes qui se rapprochaient.

— Un bien joli lot malgré l'âge…

Otmar de Malausène se tenait à ses côtés. Il s'était extirpé de la foule pour rallier son ami. Le Baron s'était attendu à le voir. De Malausène n’aurait manqué pour rien au monde ce Bal.

— Comment un individu comme vous a-t-il pu rejoindre une telle réception ? L’Empereur est bien négligent de nos jours.

— Ou simplement absent. Il ne daigne même pas se montrer. On doit se satisfaire de son triste épouvantail.

Le conseiller Klüg discutait non loin avec un groupe de nobles. Des proches de la faction des Kardoff à n’en point douter. Certains portaient des uniformes. Des tenues de hussard colorées avec leur fameuse veste enfilée sur l'épaule. Leurs mains se trouvaient, elles, soit posées sur la garde dorée de leurs sabres ou en prise avec leurs colbacks d’un poil noir impeccable agrémenter de plumet aux nuances de leurs régiments.

Klüg se pavanait, prenait ses grands airs comme si cet événement était dédié à sa seule personne. Aucun ne semblait montrer le contraire parmi les invités.

Les regards du conseiller impérial et du Baron se croisèrent en étant comme attirés l’un à l’autre. Polarisé par toute la tension qui les liait. Le temps d’un court instant, tout le reste semblait abstrait. Même Otmar qui lui parlait  se transformait en un écho incompréhensible pour le Baron Devràn.

— Lèvius !?

Avant que le Baron ne lui réponde, il vit Klüg deserter son groupe pour se diriger vers le lui et Lèvius fit alors de même. Il se porta à sa rencontre de l’un de ses plus implacables adversaires au milieu de l’importante foule. Les deux prédateurs politiques s’observaient l’un l'autre sous toutes les coutures. Regardant les tenus impeccables de chacun ainsi que les visages qui ne trahissant aucune des pensées que recelaient leurs brillants esprits.

— Je vois que vous êtes venus avec votre cours, commença Klüg en s'arrêtant.

— Tout comme vous, je me trompe ?

— Hum, une répartie des plus recherchées…

Il avait ce regard mauvais qui dérangeait tant Lèvius.

— À défaut d'avoir du vice, je joue avec mes armes chères conseiller et vous avec les vôtres.

— Si vous le dites. Continuer à bloquer les votes à l’assemblée risque de vous mettre en danger, vous savez.

— Ainsi, nous nous portons déjà sur les menaces.

Les yeux de Klüg bouillaient d’une grande intensité. Son regard profond ne semblait pas se détourner de son adversaire.

— Ce n’est point une intimidation, mais bien un avertissement. Votre père se conformait à son rôle et titre. Il jouait sa partition dans notre système ô combien complexe. Vous au contraire n'êtes qu’un irréfléchi aux idées réformatrices. Un mal des plus insidieux qui risque de briser le fragile équilibre de notre cité nation. Cela pourrait impacter vos parents. Et si ce n’est pas assez clair cette fois, la menace est prononcée.

— Je ne m'attendais pas à une telle bassesse de votre part. Vous n’arrivez pas à faire rompre l’homme alors que vous présagez le malheur à ses proches.

— Nullement. Je ne m'abaisserais pas à ce point. Je dis juste que vous êtes contre l’Empereur et poursuivre dans votre voie n’aura aucun résultat positif pour vous, votre maisonnée ou notre nation.

— Il semble que vous confondiez Aldius avec votre personne. Votre pantin Kardoff n’est pas à la hauteur de sa tâche. Alors vous essayez de faire fléchir la seule voix censée qui résonne dans notre assemblée. Je ne suis pas contre Sa Majesté. Loin de là. Je suis un loyal servant d'Aldius se dressant simplement contre la disparition inutile de nos soldats au front.

— C’est ce que je disais ( le regard du prédateur politique qu'était Klüg semblait fixer la moindre action du Baron). Vous êtes contre lui. Ses morts cimentent notre cité nation.

Comment pouvait-il dire ça, lui qui n’avait jamais dû poser un pied sur les champs de bataille ? Il lui fallait quitter ce sinistre personnage.

— Cette discussion ne saurait mener à un résultat. Je m’en vais rejoindre ma famille. Je vous souhaite de profiter de la soirée cher conseiller.

— De même.

La crispation se sentait aisément. Sous ses airs polis, Klüg gardait tapie au fond de lui toute sa folie. Toute la violence qui mouvait chacune de ses pensées. La réception était politique, le conseiller impérial venait de le confirmer. Mais comme pour apporter plus de légèreté après l'échange qui avait fait battre le cœur du Baron, Lèvius observa Jean Debard pas loin. Le bourgeois s’adonnait au même œuvre que les représentants des compagnies de commerce, il étendait sa toile de contacts et de commandes.

La maudite politique de la soirée, la vie du Baron ne paraissait se limiter qu'à ça à présent…

Face à cet amer constat, Lèvius cacha habilement sa tristesse et son dégoût. Il devenait trop vieux pour ce genre de farce.

Avant de retourner à sa chère épouse, il se permit un regard sur le balcon à l’étage. L’obscurité qui y régnait l'empêchait de voir clairement ses occupants, mais il discernait la silhouette de Sa Majesté. Le visage dissimulé dans les ombres ainsi que sa forte corpulence.

Combien de temps cette situation allait-elle durer ? Les remous politiques et la grogne populaire n'avaient jamais été aussi élevés dans tout l’Empire. L’horloge du temps défilait et son effrayant tictac semblait mener à un dénouement qui allait secouer Aldius jusqu'à ses fondements.

Note :

Avec ce Bal, la fin du Livre I se rapproche à grands pas. Plus que quatre chapitres avant l'interlude qui verra un nouveau point de vue faisant basculer l'histoire avec notre cher Klüg et Kardoff. En parlant de point de vue, je pense faire la course vue par Lèvius pour ne pas en avoir trop dans cette partie. J'espère que ce ne sera pas une déception. Quelques retouches s'annoncent également.

Pour le début du livre II qui s'annonce, je prévois de créer un index développé avec comme Scifan l'avait proposé une partie géopolitique pour expliciter la situation de l'univers. J'en profiterais pour donner des définitions ou parler de sujets qui risquent d'alourdir les chapitres si je les mettais. Actuellement, je suis en train de réfléchir pour des livres et nouvelles se passant dans cet univers. J'ai déjà commencé quelques-uns de ces projets. Tout ça pour dire que je vais pas mal continuer à développer ce petit monde dieselpunk. La priorité sera bien sûr d'avancer la série dédiée à la famille Devràne et au sort de la cité nation.

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