Chapitre 1 ~ Descente aux enfers (3/5)
*Alice*
Le bruit de mes os qui craquent sur le bois froid me parvint. Le vide autour de moi me brûlait les tympans. Un liquide coulait de ma phalange droite. En le touchant, je remarquais qu'il était d'une couleur rouge avec des paillettes dorées.
J’avançais.
Personne.
Nulle part.
Mon corps était lourd, et m’entraîna dans une chute sans fin.
Où étais-je ?
Les environs n'étaient qu'une étendue infinie de blanc. Des formes se modélisaient dans l’espace mais je n’arrivais pas à les toucher.
J’agitais mes mains et essayais de m’accrocher à quelque chose. N’importe quoi.
Une brume noire se mêlait au vide, remplissant le lieu.
Je plissais les yeux.
Était-ce un rêve ? Avais-je perdu connaissance ? Étais-je bloquée dans un nuage ?
— Eh oh !
Eh oh, eh oh, eh oh…
Rien. Même l’écho se perdait dans le vide.
Mes poumons se resserrèrent. Ma respiration se bloquait dans ma gorge et refusait de sortir. Je me laissais tomber sur le sol. De mes ongles acérés, je grattais mon cou dans l’espoir de me libérer de ce poids.
Une crise d’angoisse ?
Un visage émergea de la noirceur. Au départ, j’eus l’impression qu’il s’agissait d’un visage féminin, dont les yeux aussi noirs que la brume me fixèrent avec intensité. Mais plus elle se rapprochait, plus ces traits évoluaient.
Mattheus était proche de moi, un sourire sur le coin des lèvres.
La sueur perlait sur mon front, tandis qu’un râle soulagé s'échappait de ma bouche. Je respirais enfin.
Son rire s’éleva et m’entoura de sa familiarité réconfortante. Autrefois, ce doux son me faisait fondre.
Son regard se perdit au loin. Il était statique. Je me demandais s'il m’avait vu.
Puis, une secousse frappa sous mes pieds. Je perdis presque l’équilibre. En relevant la tête, je m’aperçus que Mattheus avait disparu.
— Matt ? Matt ?!
La panique s'insuffla en moi. Je courus dans tous les sens, comme si ça servait à quelque chose. La vapeur noire s’était dissipée, mais ce blanc diffus me donnait mal aux yeux.
— Matt ?!
Des larmes remontèrent dans mes yeux, comme si nous rambobinions une cassette. Cette sensation était inédite, étrange. Les perles salées remontèrent sur mon front. Je sentis mes genoux cogner contre le sol, alors que je me tendais encore debout.
— Matt… Reviens… S’il te plaît…
Peu à peu, son visage réapparut. Il était accompagné de la vapeur noire, qui reprit possession des lieux. Il était vêtu de la même manière qu’à la soirée d’anniversaire de Melvin. Son costume portait notre parfum entremêlé.
J’approchais ma main et réussis à saisir sa cravate. Un rire de soulagement s’échappa d’entre mes lèvres. Je posais mon autre main contre son torse.
— Dégage, murmura-t-il, un sourire narquois sur ses lèvres.
— Pourquoi ?
— Je veux plus de toi, tu comprends ? Je voulais que ton cul.
Son rire emplit la pièce et résonnait dans ma tête comme les enceintes d'une radio mal calibrée.
Non. Ce n'était pas lui. Ce n’était pas son rire. Ce n’était pas sa manière de parler. Cette voix portait les marques d’une longue vie douloureuse. Elle vibrait d’une énergie sombre et rauque.
Dans un élan peu maîtrisé, je projetais mon poing contre son nez. Mais il s’évapora avant l’impact.
Mais c’est quoi ce rêve pourri ?
Le décor changea. Cette fois-ci, je me retrouvais dans sa chambre.
— Tu vois pas, Alice ?
Mattheus serra ma main dans la sienne et m’attira vers lui. Sa peau était aussi froide qu’un cadavre de trois jours.
— Que dois-je voir ?
Ma voix me semblait différente.
— Qui je suis vraiment.
— Qui tu es ?
— Oui. Au fond, tu le sais.
Mon regard se posa sur le sien. Je battais des paupières. Ses lèvres se posèrent sur les miennes. Elles n’avaient plus le même goût qu’autrefois.
— Ce n’est pourtant pas difficile. C’est ta nature.
Je l'observais avec un air de merlan frit. Le sens de ses paroles s’évanouissait dans un brouillard de contradictions.
Est-ce que mon subconscient tentait de me faire passer un message ?
Sur le bureau en bois trônait sa bague. Les deux rubis changèrent de couleurs plusieurs fois. Son livre noir était ouvert à côté. Sa voix fendit l’air.
— Tu veux pas le voir de plus près ?
— Pourquoi ?
— Regarde.
Il saisit son ouvrage et me le plaça entre les mains. D’un pas sans bruit, il s’installa derrière moi. Il devait être un fantôme de mon passé, car je ne sentais pas son souffle dans ma nuque.
Entre les pages, je constatais que rien n’avait changé. Le noms de mes amis étaient toujours présents, avec le mien pour finir. La différence, c’est que j’étais inscrite en italique. La date du 24 novembre était annotée sur chaque ligne.
— Je suis censée voir quoi ?
— Tu comprends pas, Alice ?
Il marque une pause, puis reprit :
— C’est la date de ta mort.
Sous le choc, le bouquin m'échappa des mains. Mattheus m’adressa un grand sourire en se replaçant face à moi.
— C’est la date de ta mort, répéta-t-il.
Je voulais me pousser, le faire partir, mais son corps était aussi dur que l’acier.
— C’est la date de ta mort.
— Ta gueule !
J’avais hurlé ces mots, pourtant, ma voix s'étouffait.
— C’est la date de ta mort.
— Pourquoi tu me fais ça ?!
Son visage se tourna lentement vers moi, un sourire figé sur les lèvres. Ses yeux étaient écartés, ses pupilles étaient tellement dilatées que son iris était noir.
J’eus un mouvement de recul. Mon pied heurta quelque chose. Je perdis l’équilibre.
Le décor disparut.
— Matt ?!
Je devais le retrouver. Ses paroles n’avaient aucun sens.
Pourquoi me dire ça ?
Je devais le retrouver. Oui, voilà. Le retrouver.
— Matt ?!
Il n’y avait plus rien. Ni son, ni lumière. Juste un écho de notre monde, étouffé par la noirceur de la nuit sans étoiles. Je n’existais pas. Je n’existais plus.
— Matt…
Mon corps tremblait de douleur. De fatigue.
— Je te l’avais bien dit !
Une voix envahit l’espace comme un concert en plein air. Je ne savais pas où poser les yeux puisqu’il venait de partout et de nulle part à la fois.
— Qui parle ?
— Je te l’avais bien dit, ma grenouille.
— Papa ?
Son rire résonna.
— Matt ?! S’il te plaît… Je t’aime…
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