Chapitre 1 ~ Descente aux enfers (5/5)
*Alice*
— C’est trop bruyant ! hurlai-je à Jaya pour essayer de me faire entendre au-dessus de la musique.
Les basses des enceintes vibraient au rythme de nos pas à travers la foule.
— Non, c’est parfait !
Je repoussais un homme qui dansait mollement pour me frayer un passage derrière Jaya. Des jets de lumière éclairaient mon chemin par intervalles réguliers. Quand ils quittaient mes pieds, j’avançais à l’aveugle. Mon corps était bousculé de tous les côtés. Ce fut une très mauvaise idée de porter une robe bustier à paillettes dans ce genre d’ambiance. Je devais constamment la remonter et les strass me grattaient.
Nous montâmes vers les banquettes avec vues sur la salle. Jaya me fit signe d’attraper sa main. Je m’en saisis et elle m’attira à ses côtés. Je jetai un coup d'œil sur la place vide. Sophie n’avait pas souhaité se joindre à nous. Elle détestait ce genre de soirée. À vrai dire, moi aussi. Mais il fallait bien que je tente tout ce qui était en mon pouvoir pour oublier Mattheus, non ?
Rien faire me plongerait dans le noir, dans l’abîme. J’avais la sensation qu’un poids me poussait au fond de l’eau. Et que, si je cédais, j’en resterais prisonnière. Alors, je me débattais tant bien que mal. Peut-être que la méthode Jaya m’aiderait ? Car sinon… Comment faire pour réparer mon cœur brisé ?
— Tiens !
Jaya me tendit un verre. Je le soulevais pour observer son contenu à la lumière. Sans grand succès.
— C’est quoi ?
— Ma potion spéciale fête !
Sans me poser de question, je portais le verre à mes lèvres et le bus d'un trait.
Berk, dégueu !
Même l’eau des chiottes devait être plus agréable. Je tirais la langue en grimaçant. Jaya me lança un regard amusé.
Ma gorge me brûlait légèrement. Puis les jets de lumière me parurent plus lointains, la musique plus sourde. Sa fameuse potion faisait son effet.
Jaya me tira par les poignets comme l’on tire les ficelles d’une marionnette et me guida sur la piste de danse. Il y avait une odeur de transpiration, de chaud et d’alcool. Je n’y prêtai pas attention. Mon amie posa ses mains sur mes hanches et nous dansâmes ainsi pendant ce qui me semblait être des heures.
Au début, personne ne prêtait attention à nous. Mais je sentais maintenant des hommes se rapprocher de nous. Leurs regards me transperçaient comme des lasers. Je les ignorais et continuais de danser avec Jaya.
Ils n’eurent pas l’air de comprendre mon désintérêt et avancèrent vers moi. L’un d’eux se déhanchait à mes côtés, me fixant avec un intérêt non dissimulé. Un autre homme se plaça derrière Jaya. Elle attrapa les mains de l’homme et fit quelques pas avec lui, comme si elle le connaissait de longue date.
Quand l’homme qui me dévorait des yeux glissa ses doigts sur mon dos, j’eus un frisson de dégoût. Automatiquement, mon corps se recroquevilla et je reculais maladroitement. J’écrasais le pied d’une femme qui dansait derrière moi et je me confondis aussitôt en excuses.
Je lançai un regard paniqué vers Jaya qui fronça les sourcils. Elle abandonna l’homme qui secoua la tête de déception.
— T’es venue pour oublier l’autre con, oui ou non ?
— Oui, mais pas comme ça.
— Viens.
Une nouvelle fois, elle m’entraîna vers notre banquette et me poussa dans les fauteuils. Mes fesses les heurtèrent. Ils étaient durs et inconfortables. Mais je n’en dis rien.
Jaya s'éclipsa quelques secondes avant de revenir avec deux bouteilles en main. Pendant qu’elle faisait ses mixtures, j’observais en contrebas. Les danseurs paraissaient heureux. Ils étaient entourés, ils profitaient de la fête.
Soudain, j’eus la sensation d’être seule. Malgré la foule, l’euphorie générale, je me noyais dans mes idées noires. Ce moment, cette soirée… Tout ça était éphémère. Même si j’oubliais ma vie pendant quelques heures, dès que je sortirais d'ici, mes problèmes m’attendraient sagement devant la porte. C'était comme mettre un pansement sur une fissure de 3 mètres. Ça ne servait à rien.
Qu’est-ce que je suis venue foutre là ?
Je me levai, prête à partir. Mais Jaya posa une main contre ma clavicule et me poussa une fois encore dans la banquette.
— Tiens.
Elle me tendit un verre, qui ressemblait à s’y méprendre au premier.
— Hors de question, c’est dégueu ta merde.
Ses yeux roulèrent vers le plafond.
— Allez ! Ça va te détendre, j’te promets.
Je poussais un long soupir en saisissant le verre. Après tout, j’étais venue ici pour m’amuser à la Jaya, non ? J’inspirai un grand coup avant de boire cette eau des chiottes cul sec. C'était toujours aussi immonde. Je fis la même grimace.
Ma tête tourna. Mon crâne était lourd. Si lourd. Mes yeux se perdaient dans la foule, dans les lumières. Je perdis toute notion de mon environnement.
Mon visage se pencha vers Jaya. Je battis des paupières. Je crois qu’elle était en train de pianoter sur son Platphone.
Que faisait-elle ?
Ma bouche remuait mais aucun son ne sortait. J’eus la sensation de sentir ma bave se former dans le creux de mes lèvres.
Puis le flou me submergea plus profondément. Mes jambes bougeaient sans que je les contrôle. Mes paupières prenaient l’air sans que je ne cligne des yeux.
Qu’est-ce que Jaya avait mis dans mon verre ?
Je ne reconnaissais pas les effets habituels de l’alcool.
Mon corps me contrôlait. Mon cerveau lui avait laissé la main sur ses agissements. Les bribes de la soirée me venaient par flash, comme des photographies qui se chargent dans la pellicule. Elles se succédaient, sans avoir de sens les unes avec les autres.
Puis, des lèvres se posèrent sur les miennes sans que j’en ai pleinement conscience. Ma bouche était engourdie. Ou bien elle appartenait à quelqu'un d’autre. Je n’étais pas sûre.
— Alice… Tu es si belle…
Le contact s'interrompit. Un visage se détachait, l’air d'être une hallucination ou une apparition divine.
— Matt ? Qu’est-ce que tu fais là ?
— J’suis… Je… Je suis venue pour toi ma belle.
Ses yeux verts émeraude me fixaient. Ses sourcils étaient légèrement froncés. Il finit par m’adresser un sourire. Ensuite, il glissa ses bras dans mon dos et m’attira contre lui.
Son parfum n’était pas le même que dans mes souvenirs. Celui-ci était plus fort. Plus masculin. Je n’aimais pas. Il m’embrassa encore. Cette fois-ci, je lui rendis son baiser et passai mes mains derrière sa nuque. Mon buste se pressa contre le sien. J’étais heureuse de le retrouver.
Sa bouche n’avait plus le même goût. Là, c’était un mélange de transpiration et d’alcool. Et probablement de manque d’eau. Sa langue n'était pas aussi douce. Mais je m’en fichais. Tout ce que je voulais, c’était d’être avec lui. Je ne lui demandais pas pourquoi il était parti. Ça n’avait plus aucune importance. Non, aucune. Je me laissai aller dans ses bras.
— Tu veux qu’on aille ailleurs ?
— Oui.
Son sourire s’élargit. Il enveloppa ma main de la sienne et m’entraîna vers la sortie.
— Attend.
Je m’arrêtai brusquement. Il tourna la tête, la surprise dans les sourcils.
— Quoi ?
— Je vais prévenir Jaya qu’on part.
Ses yeux restèrent fixes pendant quelques secondes avant qu’il ne hoche la tête. Nous parcourûmes la salle avant de trouver Jaya de retour sur les banquettes avec deux filles à ses côtés. L’une d’elles me parut familière, avec ses cheveux blonds en chignon et une mèche qui lui tombait devant les yeux. J’aurais juré l'avoir déjà vu quelque part. Son regard marron fouillait le mien avec intensité. Nous maintenions notre échange quand je sentis la main de Mattheus dans le creux de mes reins. Je suivis la ligne de son bras avant de l’observer en souriant.
Puis je reportai mon attention sur Jaya qui embrassait la brune à sa droite. Je m’approchai d’elle.
— Matt et moi, on bouge, lui glissai-je dans l’oreille. Merci pour la soirée.
— Oh, belle coïncidence.
— Quoi ?
— Rien. Amuse-toi bien ma belle.
Jaya m’enveloppa et me serra contre elle. Ensuite, elle déposa un baiser sur ma joue. Elle me conseilla de bien faire attention et de me protéger. Et de l’appeler si besoin.
Mes pensées tournaient dans ma tête. Je me demandais si c’était elle qui avait appelé Mattheus plus tôt dans la soirée. Mais l’alcool embrouillait mon esprit. Tout était entremêlé, confus.
— Prête ?
— Oui. Mais avant…
J’attirais Mattheus contre moi et l’embrassais de plus belle. Je glissais mes mains dans ses cheveux. Ils n’étaient pas aussi soyeux. Mes doigts ne ressentaient pas leur chaleur familière.
Mon instinct me criait que quelque chose clochait, mais je ne l'écoutais pas.
Quand nous traversâmes la piste de danse, Mattheus s'arrêta et passa une main sous ma robe. Ses doigts rugueux trouvèrent ma culotte. Il tenta de me pénétrer avec maladresse. Je le repoussai du mieux que je le pus car mes bras étaient tout mous.
Qu’est-ce qui lui prenait ?
— Pas ici, criai-je dans son oreille.
— Alors partons.
J'observais ses yeux verts. Son visage si beau. Mon Mattheus. J’eus l’impression de retrouver mon bonheur.
— Je te suis où tu veux.
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