Chapitre 4 : Le Mariage, Partie 1

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Je ne sais pas à vrai dire comment je suis rentré à ma tour. Tout ce que je me rappelle, c’est qu’après m’avoir annoncé mon très prochain mariage avec la fée, Némésis nous avait congédié, Rodrygal et moi, en fixant la cérémonie de fiançailles à demain ici même à son palais.

  • Le mariage suivra trois jours plus tard, avait-elle ensuite achevé alors que Rodrygal et moi nous nous inclinions. Cela nous permettra de rassembler la noblesse et d’organiser les festivités. Pendant ce temps, la fée restera ici où elle se préparera pour ce grand moment…

Rodrygal cette fois-ci n’avait même pas tenté de protester, encore sous le choc de l’annonce de la reine avant que nous ne nous éclipsions. En quittant la salle du trône, j’avais senti les regards étonnés qui nous dévisageaient, moi et le Vicomte de Clairecorail. L’expression que nous affichions tous les deux devait certainement être stupéfiante pour les autres nobles qui attendaient avec impatience de savoir à quoi cette audience privée avec la reine rimait.

J’avais ensuite traversé la salle comme dans un rêve, alors que le flot de nosferatus s’écartait prestement devant moi. Une main m’avait alors agrippé fermement l’épaule. Sans me retourner, j’avais immédiatement compris à l’intensité de la poigne qu’il s’agissait de Rodrygal.

  • Elle est à moi, m’avait-il sifflé à l’oreille d’une voix emplie de haine. Jamais je ne te la laisserai !

Je n’avais même pas répondu. Je m’étais simplement contenté de me dégager sèchement et de quitter l’antichambre au pas de course.

Après cela, je me souvenais de rien… C’est comme si je m’étais téléporté directement du palais royal jusqu’à mon lit dans lequel j’étais à présent étendu, le regard tourné vers le lustre de crystal doré qui éclairait ma suite. Je ne sais pas exactement combien de temps je suis resté ainsi, à essayer de démêler le fil de mes pensées… mais ma réflexion fut finalement interrompue par trois coups discrets frappés à ma porte.

  • Monseigneur ? m’appela une voix masculine à l’autre bout de la pièce. Puis-je entrer ? Je vous apporte votre diner…
  • Entre, ai-je répondu dans un grognement.

Le serviteur, qui était en fait l’intendant de ma résidence urbaine, entra sans se presser dans ma chambre et m’envisagea avec un mélange de prudence et d’inquiétude. C’était un esclave servilis du nom de Laïus qui avait diligemment servi mon père et son grand-père avant lui. Quand j’avais tué mon père et que j’étais devenu le Comte d’Abyssombre, il avait été prompte à m’accorder sa loyauté immédiate en débarrassant ma résidence de tous les biens de ma chère belle-mère (que j’avais également éliminé peu après) et en m’ouvrant grand les portes de la résidence alors même que ma succession n’avait pas encore été confirmée par Némésis. Pour le récompenser, je lui avais laissé ses privilèges afin qu’il continue de gouverner ma demeure d’Adamas (d’autres esclaves, que j’avais jugé trop proche de mon père ou de ma belle-mère, avaient au contraire été envoyés travailler dans mes mines). Et jusqu’à présent, il ne m’avait jamais fait regretter ce choix : discret, consciencieux et attentif, Laïus anticipait toujours le moindre de mes désirs.

  • Du sang de vierge humaine, dix-neuf ans d’âge à peine, annonça-t-il en déposant sur ma commode une coupe d’or remplie d’un liquide sombre. Extrait il y a moins de dix minutes de son poignet droit.

J’ai émis un grommellement pour manifester mon appréciation. Comprenant aisément le message, l’intendant s’éloigna un peu… puis après une demi-seconde d’hésitation, il me demanda :

  • Désirez-vous de la… compagnie ce soir, Monseigneur ?

Cette question me rappela la décision de la reine. Bientôt, je n’aurais plus le loisir de choisir la compagnie que je voudrais mettre dans mon lit… Et le pire, c’est que je n’aurais pas le temps de faire le deuil de ma liberté de célibataire : demain, je serais fiancé, et dans trois jours je serais marié. Plus question ensuite de chercher mon plaisir ailleurs que dans les bras de ma future… femme. Némésis avait été très claire à ce sujet : si la fée ne cédait pas, elle voulait des héritiers qui la serviraient avec loyauté. Et si elle apprenait que je ne remplissais pas mes devoirs conjugaux avec assiduité pour fréquenter d’autres maitresses, sa colère serait terrible…

J’aurais donc dû profiter de ces dernières nuits de liberté pour justement boire jusqu’à la dernière goutte de mon célibat bientôt achevé… cependant le cœur n’y était tout simplement pas.

  • Je préfère rester seul, ai-je répondu d’un ton contrarié.

L’intendant, sentant clairement que ma mauvaise humeur n’allait pas s’arranger, s’inclina et commença à s’éclipser discrètement.

  • Laïus, le rappelai-je soudain, sachant qu’il fallait quand même que je prévienne ma maisonnée de ce changement pour le moins bouleversant dans ma vie qui affecterait aussi chacun de mes serviteurs, afin qu’ils s’y préparent.
  • Oui, Monseigneur ? s’enquit le vieux servilis en se tournant vers moi.
  • Je vais me marier.

Laïus était un serviteur stoïque qui entre mon grand-père, mon père et moi, avait vite compris qu’il valait mieux ne pas afficher ses émotions quand on servait son maitre (histoire d’éviter d’attirer sur soi la colère de ce dernier). Et pourtant à cet instant, il ne put contenir l’étonnement qui se peignit sur son visage. Proprement stupéfait, il soutint mon regard bouche bée, comme si je venais de lui annoncer que j’avais décidé de rendre la liberté à tous mes esclaves et de devenir ermite. Son attitude aurait pu passer pour de l’insolence aux yeux d’un autre nosferatu, mais elle m’arracha un sourire aigre : c’était la première fois de ma vie que je voyais le vieux serviteur aussi émotif.

  • Suis-je si repoussant pour que tu sois à ce point surpris à l’idée que je puisse me marier ? ai-je lancé, mi-moqueur, mi-irrité.
  • Veuillez me pardonner, Monseigneur, s’excusa immédiatement Laïus en reprenant contenance. Je ne m’attendais pas à une annonce si soudaine et… surprenante. Permettez-moi s’il-vous-plait d’être le premier de vos serviteurs à vous féliciter pour cette merveilleuse nouvelle. Je vais de ce pas annoncer l’évènement au personnel, et je ferais également le nécessaire pour prévenir Abyssombre. A moins que vous ne préfériez l’annoncer vous-même, bien entendu…
  • Non. Si je te l’ai dit, c’est pour que tu te charges de tout cela.
  • Bien, Monseigneur. Afin que je prépare au mieux votre maisonnée à ces changements, puis-je me permettre de vous demander le nom de… la future Comtesse d’Abyssombre ?

La question, venant de lui, était plus profonde qu’elle n’en avait l’air. Etant mon majordome, il savait pertinemment quel était mon opinion sur le mariage, ainsi que mon désir de ne me lier à personne d’autre que l’inatteignable Reine de la Nuit. En me demandant le nom de ma future épouse, c’était en réalité une autre question qu’il me posait : avez-vous obtenu la main de Sa Majesté ?

Comme j’aurais aimé lui répondre par l’affirmative ! Mais hélas…

  • A vrai dire je… je ne le sais pas moi-même, ai-je déclaré, après un instant de réflexion où je me suis rendu compte qu’effectivement, je n’avais aucune idée du nom de la fée avec qui j’étais sensé me fiancer demain.
  • Oh, je vois…

Laïus avait immédiatement saisit que cette union n’était pas de mon fait et que je n’en tirait aucune joie. En conséquence, son commentaire demeurait neutre, comme se devait tout serviteur en présence de son maitre, mais laissait poindre une pointe de déception qui faisait écho à la mienne, histoire de me montrer qu’il avait mes intérêts à cœur. Malgré ma déception, je ne pus m’empêcher de sourire devant cette subtilité de mon intendant. S’il n’était pas né servilis, Laïus aurait assurément fait un courtisan redoutable !

  • Je vais me fiancer demain, ai-je continué. Et je vais ensuite me marier dans trois jours au palais royal, ordre de Sa Majesté. Je te laisse faire le nécessaire pour que ma maisonnée soit prête à accueillir ma future épouse comme il se doit.
  • Bien entendu, Monseigneur, acquiesça Laïus. Avez-vous une idée de la parure que vous souhaitez offrir à votre future épouse, ou bien est-ce également la reine qui s’en charge ?
  • La parure ? ai-je répété d’un ton incertain.
  • Oui… Celle que le futur mari offre à la mariée pour sceller leurs fiançailles.

J’avais oublié ce détail… Dans la société vampirique, il était effectivement de coutume pour un fiancé d’offrir une parure à sa future épouse. Si l’heureuse élue l’acceptait, elle la portait tous les jours jusqu’au mariage, afin de montrer à ses concitoyens le lien qui les unissaient. On prétendait que plus la parure était resplendissante, plus l’amour que portait le fiancé à sa promise était profond. En réalité, c’était surtout une démonstration de pouvoir. Les nobles se livraient depuis des siècles à une surenchère idiote : ils offraient à leur précieuse moitié des parures toujours plus sublimes en vue de gagner leur cœur et de prouver au reste de la société vampire à quel point ils étaient riches et puissants… parce que vraiment, qui d’autres qu’un puissant noble pourrait dépenser une fortune dans une chose aussi frivole qu’une parure, simplement pour gagner la main d’une dame ? Cela faisait partie des raisons pour lesquelles j’abhorrais l’idée du mariage : c’était une perte de temps, d’argent, et d’efforts qui n’avait qu’un seul objectif… éblouir les invités de la cérémonie.

Je fus un instant tenté de répondre à Laïus que la reine avait probablement déjà prévu une parure pour la fée, puisque ce mariage était son idée. Le problème, c’est que Némésis était connue pour n’en faire qu’à sa tête : elle lançait des ordres, et s’attendait à ce que ses sujets devinent ce qu’elle n’avait pas jugé utile de préciser. Et malheur à celui qui, n’ayant pas pris soin d’anticiper sa volonté, la prenait en défaut devant sa cour… En général, il ne se relevait pas de cet outrage.

J’ai retenu un grondement de frustration. Evidemment, c’était moi qui allait devoir dépenser une fortune pour offrir à cette promise dont je ne voulais pas une parure digne de ce nom. Impossible, bien sûr, de lui offrir un bijoux au rabais sachant que j’étais le plus puissant nosferatu de la cour : même si je me moquais complètement de ce qu’allait dire le reste de la noblesse nosferatu, Némésis, qui avait organisé ce mariage, prendrait cela comme un affront personnel.

  • Je te laisse t’occuper de cela aussi, grommelai-je en me retournant dans mon lit. Ne me dis juste pas combien elle m’aura coûté… Je crois que je ne m’en relèverais pas.
  • C’est que… objecta Laïus d’une voix hésitante. Une parure digne de votre grandeur ne pourra jamais être conçue en quelques heures. Il nous faudrait démarcher les meilleurs orfèvres, trouver les plus resplendissants joyaux… Et même ainsi il faudrait du temps pour réaliser une parure splendide que vous pourriez offrir à votre future épouse. Nous n’aurions jamais le temps de…
  • Dois-je donc dire à la Reine de la Nuit que je ne peux pas répondre à ses attentes ? ai-je rugit en me redressant brusquement dans mon lit pour fusiller l’intendant du regard.

Ce dernier, je dois le reconnaitre, était suffisamment brave pour demeurer parfaitement impassible malgré le fait que j’aurais pu lui arracher la tête d’un revers de ma main.

  • -Ce n’est pas ce que je voulais dire, Monseigneur, corrigea-t-il en soutenant mon regard sans insolence, mais sans peur non plus. Je souhaitais juste souligner que réaliser une parure convenable (pour votre statut) dans des délais aussi courts serait matériellement impossible. Et je doute que vous puissiez vous rabattre sur une solution moins… fastueuse, si ce mariage est la volonté de Sa Majesté elle-même. Les attentes de la reine sont difficiles à satisfaire…

A mon plus grand agacement, Laïus avait entièrement raison… une fois de plus. J’ai réprimé un grondement de frustration.

  • Toutefois si vous me permettez Monseigneur, j’ai peut-être une solution à notre dilemme, reprit Laïus d’un ton qui oscillait entre apaisement et hésitation.
  • Quoi donc ? ai-je lâché d’un ton rogue, quoi que teinté de curiosité.
  • Nous avons ici même une parure qui conviendrait très bien à votre future épouse, et qui serait assurément un cadeau digne de votre rang… Il s’agit d’une pièce d’exception que vous aviez commandé aux orfèvres les plus talentueux d’Adamas, conçue avec les plus beaux joyaux de vos mines. Monseigneur voit surement de quel bijoux je veux parler ?

Oh oui… Je voyais fort bien à quoi mon intendant si subtil faisait allusion. Bien que je méprisais l’idée du mariage, cela ne m’avait pas empêcher de rêver d’un futur (que j’espérais proche) où Némésis m’accorderait enfin sa main. Poussé par ces rêves que je pensais presque prophétiques, j’avais alors commandé la plus somptueuse parure imaginable en investissant une véritable fortune. Il était de notoriété publique que la Reine de la Nuit était obsédée par tout ce qui brillait, et parmi ces choses-là les joyaux les plus resplendissants avaient sa préférence. La parure que j’avais fait concevoir pour elle était un bijou digne d’une déesse : une constellation de gemmes étincelantes, parfaitement ciselées, pour illuminer le cou délicat de la Reine de la Nuit. Cela faisait des années que je possédais cette parure et que je la gardais précieusement… attendant le moment où Sa Majesté me permettrait de lui en orner le cou pour annoncer au Royaume entier que Forlwey d’Abyssombre avait conquis son cœur. Moment qui, hélas, n’était jamais arrivée…

Et n’arriverait peut-être jamais.

  • Je vois très bien à quelle parure tu fais allusion, ai-je répondu sur un ton qui ne m’engageait à rien.
  • Dans ce cas Monseigneur… je pense que vous avez compris comme moi qu’il s’agit de la réponse à votre prédicament. Toute la cour, la reine la première, sera éblouie par la majesté de votre cadeaux à votre future épouse, et personne ne remettra en question le fait que le Comte d’Abyssombre a tenu son rang.

Je n’ai pas répondu tout de suite, plongé dans mes pensées. Ma première réaction fut l’indignation : j’avais fait concevoir cette parure pour la Reine de la Nuit… je ne pouvais quand même pas la céder à une sauvageonne qu’on allait me forcer à épouser !

Mais d’un autre côté, ce mariage était la volonté de Némésis, qui s’attendait à ce que j’en conçoive des héritiers loyaux et capables d’accomplir son rêve. Elle désirait… elle exigeait que d’une manière ou d’une autre, ce mariage soit une réussite. Et si je ne jouais pas à la perfection le rôle du fiancé puis du mari modèle, déterminé à dompter cette sauvageonne de fée pour en faire une membre à part entière de la société nosferatu, sa colère risquait de s’abattre sur moi. Et puis d’un autre côté… peut-être était-ce un mal pour un bien. Élisabelle m’avait prévenu : Némésis appréciait trop ma loyauté pour la perdre en faisant de moi un favori qu’elle finirait par rejeter… et encore moins un époux. Depuis le début, j’avais gaspillé une fortune dans un bijou que jamais je ne pourrais lui offrir, vu la signification qu’il portait. Autant s’en débarrasser et tourner la page de mes illusions une bonne fois pour toute.

  • Fais le nécessaire, ai-je lancé à Laïus qui s’inclina avec déférence avant de s’éclipser discrètement, me laissant à mes sombres pensées de futur époux.

***

Contrairement à hier, la Salle du Trône était cette fois-ci on ne peut plus bondée. Les nosferatus de la noblesse se pressaient en masse sous ses arches de marbre pour assister à la cérémonie. Les murmures conspirateurs allaient bon trains : chacun se demandait en effet ce que Sa Majesté allait annoncer dans quelques minutes.

Pour ma part, sachant pertinemment ce qui allait suivre, je me suis mis un peu en retrait de la foule, près d’une colonne de marbre. D’ordinaire, je n’hésitais pas à bousculer mes semblables pour être au premier rang… Cependant sachant que j’allais bientôt occuper le devant de la scène bien malgré moi, je n’étais pas aussi pressé de mettre en évidence. Près de moi se tenait Laïus, qui portait le coffret contenant mon cadeau de fiançailles.

J’ai soudain aperçu parmi la foule Élisabelle de l’autre côté de la salle, en grande conversation avec trois autres dames qui débattaient avec excitation. Nos regards se croisèrent. Avec un petit sourire, la baronne de Véresbaba me fit signe de la rejoindre. Avant de partir pour Adamas, je lui avait promis de lui donner très vite des nouvelles, elle qui était friande de ragots. Mais je n’étais pas d’humeur à lui raconter mes déboires, sachant très bien qu’un cinglant « je te l’avais dit ! » suivit d’un sermon sur l’importance de prêter attention à « l’expérience de ses aînés » m’attendaient en retour. Heureusement une distraction m’évita de répondre à son invitation, car c’est à cet instant que Sa Majesté fit son entrée dans la Salle du Trône, suivie de la fée encadrée fermement par deux shinobis. C’est la cour tout entière qui s’inclina alors devant la Reine de la Nuit, laquelle accepta ces hommages avec un petit sourire. Cependant c’était bien la fée qui était cette fois-ci l’objet de toutes les attentions ; sitôt après le passage de la reine. Les membres de la noblesse ne manquaient pas de détailler cette intrigante captive (qui d’ailleurs, ne semblait pas avoir dormi de la nuit) dont la présence ici interrogeait forcément.

Sans se presser, Némésis monta les première marches de son trône avec sa captive, avant de se tourner pour s’adresser à la foule. D’un seule geste de la main, elle fit s’éteindre les derniers murmures.

  • Chers membres de ma dévouée noblesse, déclara-t-elle alors que le silence était total. Nous, les vampires, sommes les créatures les plus puissantes existant sur Terre. Une terre que nous aurions dominée depuis bien longtemps sans notre seule faiblesse : notre sensibilité mortelle au soleil. Un souci de taille qui semble sans issue, n’est-ce pas ?

Murmures d’assentiments intrigués dans la foule, qui ne sait pas où la reine voulait en venir.

  • Mais peut-être pas autant que nous le pensions, reprit alors cette dernière avec un petit sourire. En effet, grâce à la diligence du Vicomte de Clairecorail, nous avons pu mettre la main sur une fée dotée de grands pouvoirs de guérison. Cette créature serait capable de nous soigner de notre vulnérabilité au soleil. Nous serions alors invincibles.

Les murmures intrigués se transformèrent en exclamations où se mêlaient stupéfaction et espoir. Némésis leva alors la main pour exiger à nouveau le silence, et une fois de plus elle fut aussitôt obéie.

  • Encore faut-il pour cela qu'elle daigne servir nos intérêts. . . lâcha-t-elle sur un ton de reproche en fusillant la captive du regard. Mais je compte sur l'efficacité du Comte d'Abyssombre pour l’y inciter. Je sais qu'il saura la rallier à notre cause. . . et quand bien même il échouerait à cela, qu'importe. Leurs enfants ne me décevront pas, je m'en assurerai personnellement. Pour résumer, ce n'est qu'une question de temps pour que l'on étende notre domination au globe entier, mais cette union est une étape nécessaire. L'événement auquel nous allons assister à l'instant est donc historique.

Son puissant regard croisa alors le mien, et un léger sourire flotta sur ses lèvres tandis qu’elle m’appelait :

  • Forlwey ! C’est à toi de jouer, mon cher.

Inspirant une dernière fois, je me suis frayé avec autorité un chemin à travers les rangs de nosferatus qui m’envisageaient avec un mélange d’inquiétude, de mépris et de curiosité. C’était à présent à mon tour de captiver l’audience.

Laïus sur mes talons, j’ai alors grimpé les premières marches du trône jusqu’à me retrouver en face de la captive, que j’ai ignoré superbement pour m’incliner à nouveau devant la reine. D’un discret signe de tête, Némésis me fit signe de poursuivre. Mon regard croisa alors celui de la fée… cette sauvageonne qui était la preuve vivante de ma déchéance, et dont la seule existence m’empêchait désormais de rêver à conquérir la Reine de la Nuit. Oh, si seulement je pouvais serrer les doigts sur sa si charmante gorge pour lui briser la nuque et régler ainsi tous mes problèmes…

Détournant rapidement le regard pour ne pas laisser transparaitre l’aversion que j’éprouvais pour ma future épouse, j’ai fait signe à Laïus d’ouvrir le coffret. Mon serviteur s’empressa d’obéir, dévoilant son contenu à l’assistance entière. Des exclamations émerveillés s’élevèrent alors de la foule. La parure, une rivière de perles et de cristaux écarlates liés ensembles par de l’or pur, était aussi majestueuse que dans mes souvenirs, étincelant de mille feux à la lueur du jour. Je ne pus m’empêcher d’esquisser un rapide sourire méprisant en regardant les expressions à la fois stupéfaites, ébahies et envieuses des seigneurs et dames présents ici. Même la fée ne put retenir un hoquet de surprise.

Cependant le plus impressionnant restait la réaction de Némésis. Les doigts crispés sur les accoudoirs de son trône, elle fixait la parure avec des yeux brillants de convoitise et une avidité à peine contenue, comme si elle semblait à tout moment sur le point d’arracher la parure des mains de Laïus. Quoique surpris par l’intensité de sa réaction, j’en fus néanmoins secrètement ravi ; c’était la preuve que mon futur cadeau ne l’aurait pas laissé indifférente, si elle m’avait laissé la chance de lui demander sa main.

Me rappelant toutefois que ce n’était pas hélas à Némésis que j’allais me fiancer, j’ai continué à jouer mon rôle de soupirant en plaçant ma main sur mon cœur, puis en m’inclinant devant la fée, toujours interdite.

  • Je vous prie de bien vouloir accepter ce modeste présent, en gage de notre promesse de mariage, lui dis-je d’une voix que je voulais cordiale.

La fée, qui aurait dû me répondre par une courte phrase rituelle pour accepter mon cadeau et sceller nos fiançailles, demeura muette. Décidant de mettre fin à ce silence gênant avant qu’il ne s’éternise, je décidais alors de prendre le parure et de contourner ma future épouse afin de lui passer le bijoux autour du cou. En déplaçant ses cheveux, mes doigts effleurèrent sa peau tiède, provoquant un frisson chez la jeune captive. Sa réaction, si authentique et innocente, excita mon appétit. Alors que j’ajustais la parure à cou, je me suis penché vers elle pour lui susurrer à l’oreille :

  • Est-ce le froid de cet océan qui vous fait trembler de la sorte… ou bien autre chose de plus glacial encore ?

Je la sens déglutir, mais elle conserva un silence obstiné alors que je refermais les chaines d’or sur sa nuque. Puis je suis revenu me placer devant elle, prenant l’une de ses mains toujours menottées dans la mienne pour faire face à la foule. Normalement, il était de coutume d’applaudir les nouveaux fiancés… et pourtant l’assemblée demeura silencieuse, à la fois méfiante à mon égard et tout simplement trop surprise par les révélations de la reine pour réagir comme ils auraient dû. Nul ici n’ignorait que je briguais la place de favori royal. Alors en tant que premier des nosferatus et serviteur le plus loyal de Sa Majesté, toute la noblesse pensait que Némésis finirait tôt ou tard par m’accorder ce privilège… et voilà maintenant qu’elle me mariait à une sauvage échouée à nos frontières. Les nosferatus n’arrivaient pas à comprendre s’il s’agissait d’une punition de la reine pour un quelconque écart de ma part, ou bien si j’avais finalement compris qu’il était inutile de courir après l’inatteignable Reine de la Nuit et que j’avais rabaissé mes standards…

Heureusement, ce fut la reine qui décida de mettre un terme à ce moment gênant en annonçant d’une voix brève :

  • Le mariage sera célébré dans trois jours. Chacun d’entre vous recevra une invitation.

Les nosferatus comprirent aussitôt que la reine congédiait la cour. Ils se tournèrent donc vers la sortie en se lançant dans des commentaires endiablés sur les déclarations de Némésis. Sans un regard pour ma désormais fiancée, je me suis au contraire tourné vers la reine qui, d’un geste de la main, ordonnait à ses shinobis d’emmener la captive.

  • C’était un magnifique présent, Forlwey, me félicita-t-elle. Ta future épouse peut s’estimer heureuse d’avoir un fiancé aussi généreux… Je l’envie, à vrai-dire ! Cela dit, je suis curieuse : comment diable t’es-tu procuré une parure aussi magnifique en moins d’une journée ?
  • Je l’ai faite confectionnée il y a des années de cela, ai-je répondu d’une voix serrée par l’émotion. Mais ce n’est pas à cette sauvageonne que je l’avais destiné. C’est une parure digne d’une reine… destinée à orner le cou de la plus belle femme de l’univers. Vous seule auriez dû la porter.

Némésis sourit avec amusement. Elle se pencha alors vers moi, si près que je sentais son délicieux souffle sur ma nuque, pour me glisser à l’oreille d’un ton envoûtant :

  • Ta future épouse peut garder la parure… mais ton cœur demeure miens, Forlwey.

Elle me caressa tendrement la joue, m’arrachant un frisson de désir. J’ai déglutis avec difficulté, essayant tant bien que mal de réprimer l’attirance qu’exerçait cette déification vivante de la beauté face à moi. C’était vrai ; malgré le fait qu’elle ait repoussé mes avances et fait marier une autre pour servir ses intérêts… mon désir pour elle demeurait intact. J’aurais beau prononcer mes vœux et lier mon nom à celui de la fée, mon cœur était gravé pour toujours du symbole de Némésis.

Cette dernière s’écarta alors de moi, et je pus de nouveau respirer.

  • Sache que ta loyauté n’a pas de prix à mes yeux, Forlwey, m’indiqua-t-elle. Je sais que ce mariage n’était pas ce dont tu avais rêvé, mais il n’y avait personne d’autre à qui j’aurais pu confier une si précieuse fleur. Un autre nosferatu comme Rodrygal aurait succombé à ses charmes, et si je l’avais marié à l’un de mes enfants… ils auraient finit par la briser, voire peut-être s’en servir pour me surpasser.
  • Je doute que l’un de vos enfants ait la quelconque prétention de vous détrôner, Votre Majesté, ai-je protesté.
  • Bien sûr que si. Je ne peux leur en vouloir ; c’est dans la nature de leur sang… mon sang, de vouloir dominer les autres. A leur yeux je suis leur mère, leur reine… mais aussi un obstacle à leur ascension. Oh bien sûr, ils savent que c’est impossible de me détrôner… cependant cela n’empêchera pas certains d’entre eux d’y rêver. C’est pourquoi tu m’es aussi précieux, mon brave Forlwey. Et un jour, je veillerai à ce que ta dévotion sois récompensée à la hauteur de tes espérances…

Il s’agissait d’une promesse anodine, une simple marque de déférence pour honorer ma loyauté… et pourtant mon cœur ne put s’empêcher de ressentir un pincement d’espoir en entendant cela.

  • Votre Majesté est trop bonne, ai-je répondu.
  • A présent va, mon cher Forlwey, me congédia-t-elle avec son irrésistible petit sourire accentué par une pointe d’ironie. Profite de tes derniers jours en tant que célibataire… et prépare-toi aux joie de la vie matrimoniale.

Je me suis incliné devant elle, puis j’ai descendu les marches en me dirigeant vers la sortie de la Salle du Trône. Mais c’est alors qu’Élisabelle surgit devant moi pour me barrer le chemin.

  • Je crois que tu me dois quelques explications, mon garçon, déclara la baronne de Véresbaba d’un ton menaçant.

A suivre...

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