Chapitre 4 : Le Mariage, Partie 2

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Trois jours plus tard, je me tenais à nouveau sur les marches du trône Atlante, juste à côté d’un autel blanc spécialement dressé pour l’occasion. J’étais encore une fois paré de mes plus beaux atours, face à la noblesse nosferatu au grand complet dont les conversations excitées emplissaient l’atmosphère. A mes côtés se trouvait Élisabelle, elle aussi resplendissante, et qui contenait difficilement son excitation. Je l’avais mise au courant des détails du plan de Némésis, et si la baronne de Véresbaba n’avait pas manqué de me faire la leçon (« si tu t’étais marié avec une dame respectable, tu ne serais pas dans une situation pareille, Forlwey ! »), il semblait néanmoins que l’annonce de mon prochain mariage l’avait enchanté. Elle avait exigé d’être non seulement mon témoin de mariage (je n’aurais jamais songé à qui que ce soit d’autre), mais également la future marraine de mes enfants (à quoi j’avais répondu qu’il lui faudrait disputer ce titre à Némésis elle-même).

De l’autre côté de l’autel se tenait Sorticia, avec qui j’avais bien sûr échangé un regard méprisant avant de nous ignorer superbement.

  • Aucun des Nocturii n’a fait le déplacement, me glissa alors Élisabelle en parcourant l’assistance du regard. Curieux, sachant que c’est Némésis elle-même qui a planifié ce mariage…
  • Je ne suis pas sûr qu’elle les ait invité, ai-je corrigé en me souvenant de ma conversation avec la souveraine trois jours plus tôt. Sans compter que les Nocturii ne peuvent pas quitter leurs domaines aussi facilement.

En effet à leur majorité, chacun des six enfants de Némésis avait reçu une des plus grandes cités du Royaume Submergé (auxquelles s’ajoutait également un vaste territoire) à gouverner selon leur bon vouloir. La reine espérait ainsi contenir leur désir de pouvoir, tout en limitant les risques qu’ils se battent entre eux… car les princes et les princesses Nocturii toléraient mal la concurrence. Ce qui en disait loin sur la puissance de leur mère, la seule au monde capable de les fédérer.

C’est alors que trois coups frappés avec force sur le sol attirèrent l’attention de toute l’assistance vers les portes. Le hérault royal fit signe à deux shinobis d’ouvrir ces dernières tout en proclamant d’une voix claire :

  • Sa Majesté Némésis la Reine de la Nuit, souveraine du Royaume Submergé, maitresse légitime de la Surface… et la princesse Aïna de Gaïa !

La reine fit alors son entrée dans la Salle du Trône, suivit de deux dames de cour et d’une troupe de shinobis encadrant ma promise. Mon regard s’est aussitôt posé sur cette dernière, car c’était bien la première fois que j’entendais le prénom de ma future épouse. Aïna… J’allais me marier avec cette fée dans quelques minutes, et je venais à peine d’apprendre comment elle s’appelait. L’ironie de la situation ne m’échappait pas…

Chose surprenante ; malgré la présence de Némésis à ses côtés, c’était bien la princesse Aïna qui attirait tous les regards. Elle était habillée d’une robe écarlate aux broderies d’or formant des roses, s’ouvrant à la taille et serrée par un ruban doré sur une jupe blanche. Son décolleté dénudait ses épaules en découvrant ma magnifique parure accrochée à son cou, et ses cheveux étaient coiffés en un chignon bas accompagné d’une couronne de tresses, piquées de petites roses rouges. Mais si sa toilette était magnifique, ce qui séduisait était son attitude : son regard fier qui n’arrivait pas à cacher son angoisse et sa démarche légèrement défaillante, comme si elle n’était pas habituée à porter des vêtements civilisés… tout cela la nimbait d’une aura d’innocence et de pureté, que sa beauté naturelle ne faisait que rehausser. La princesse avait l’air d’une fragile rose resplendissante, qu’on mourrait d’envie de cueillir avec délicatesse pour pouvoir goûter à son délicat parfum.

Je devais reconnaitre qu’elle était extrêmement désirable…

La procession traversa la salle et arriva jusqu’au trône Atlante. A ce moment, les deux dames de la cour rejoignirent les rangs des nosferatus, et les shinobis se mirent au garde-à-vous de part et d’autres du trône, tandis que la reine poursuivait son ascension avec ma promise. D’un signe de tête, Némésis laissa cette dernière aux mains de Sorticia pour aller se placer juste devant son trône, dominant ainsi toute la foule.

  • Mes chers sujets, déclara-t-elle. Nous sommes aujourd’hui réunis pour célébrer l’union qui marquera le début de notre conquête du monde. C’est donc un jour heureux pour tout vampire… ou sorcière dévoué à notre cause, ajouta-t-elle avec un petit sourire complice à l’intention de Sorticia (j’ai serré les dents pour contenir mon irritation).

Une salve d’applaudissement fusa aussitôt. La reine les laissa s’éterniser un peu, avant de réclamer de nouveau le silence d’un geste de la main.

  • Commençons sans plus tarder, reprit-elle en descendant alors les marches pour se placer juste derrière l’autel, entre moi et la princesse, afin de présider la cérémonie.

Tournant la tête vers ma promise, Némésis poursuivit :

  • Aïna, princesse des fées et de Gaïa, souhaitez-vous épouser le Comte Forlwey d’Abyssombre ici présent et lui jurer fidélité tout au long de votre vie ?
  • Quand bien même je refuserais, cette union sera quand même scellée, répliqua la princesse en soutenant bravement le regard de la reine. Mon consentement vous importe peu.
  • Pas du tout, à vrai dire, répondit Sa Majesté avec amusement.

Cette réplique déclencha les rires de la noblesse. De bonne humeur, Némésis laissa les rires se poursuivre jusqu’à ce qu’ils finissent pas se dissiper d’eux-même. Quand enfin ils se calmèrent, la reine put reprendre en se tournant cette fois-ci vers moi :

  • Forlwey d’Abyssombre, souhaitez-vous épouser Aïna la princesse des fées et de Gaïa ici présente, et lui jurer protection et fidélité tout au long de votre vie ?

J’ai fixé pendant quelques secondes le visage de ma future femme qui me dévisageait avec un mépris non dissimulé.

« Non, je ne veux pas », aurais-je voulu répondre. « C’est vous que je désire épouser, pas cette sauvageonne d’une contrée isolée… Je refuse de m’abaisser à cette mascarade. »

Mais comme je tenais à ma magnifique tête sur mes épaules, c’est donc avec un léger soupir de résignation que je répondis sans quitter des yeux ma future femme :

  • Oui, je le veux.

La reine esquissa un sourire ravi. Elle prit alors les mains de la fée pour les placer dans les miennes, puis d’un claquement de doigt, fit tomber ses menottes magiques. Le soulagement de la princesse était évident ; ce devait être la première fois depuis sa capture qu’elle n’était plus entravée. Pas pour longtemps ceci dit, car Némésis saisit alors la chaine d’or qui reposait sur l’autel pour l’enrouler autour de nos mains jointes.

  • Par les liens maudits du mariage, je vous déclare mari et femme.

La chaîne se scinda aussitôt en deux pour s’enrouler autour de nos annulaires, où elle se transforma alors en marques dorées ressemblant à des alliances. Ces dernières brillaient de mille feux, symbole éclatant de notre union solennelle, pendant que la foule applaudissait. C’était fait. Némésis avait libéré la fée de ses entraves avant de l’enchainer à moi.

Désormais, ce serait moi son mari… et son geôlier.

La Reine de la Nuit ouvrit alors le grand registre de cuir posé sur l’autel et saisit la plume immaculée qui se trouvait à l’intérieur. C’est bien entendu à moi qu’elle la tendit en premier. Je l’ai pris délicatement avant de m’entailler l’index avec la pointe, puis d’inscrire mon nom dans le registre avec mon sang. Jetant un regard à ma désormais femme qui fixait mon écriture avec un regard effaré, j’ai compris qu’elle ne consentirait jamais à signer ainsi. Voilà l’occasion de m’amuser un peu… Avec un sourire des plus sadique, je me suis alors penché au-dessus de l’autel pour lui murmurer :

  • Permettez que je vous aide…

J’ai ensuite planté la plume dans son propre index, lui arrachant une grimace de douleur, avant de refermer ses doigts sur l’objet et de lui tenir le poignet jusqu’à ce qu’elle consente à signer à côté de mon nom d’une main tremblante.

C’est ensuite au tour de Sorticia : la sorcière pinça la joue de ma femme (je me suis retenu de lui briser les doigts pour cet affront, car la fée était désormais ma propriété) avant de signer à son tour, puis ce fut ensuite Élisabelle qui prit la plume. Les époux et les témoins ayant signés, il ne manquait plus que le sceau de sa reine. Cette dernière se perça délicatement l’index avec son ongle, avant d’apposer son empreinte ensanglantée sur le registre. Presque aussitôt, l’entaille se referma d’elle-même.

  • Que les célébrations commencent ! s’exclama alors Némésis, s’attirant les vivats de la foule.

De la musique entrainante commença à retentir, tandis que des serviteurs servilis se mettaient à circuler parmi les groupes de nosferatus pour offrir des rafraichissements. Bientôt, la fête battait son plein. Némésis s’installa confortablement sur son trône pour observer les réjouissances. J’ai fait un geste dans sa direction avec l’intention de lui parler, mais je me suis retrouvé devancé par Sorticia qui s’installa sur l’accoudoir du trône pour parler avec la reine sur un ton complice, tout en me jetant un coup d’œil triomphant. En réprimant un grondement de colère, j’ai offert mon bras à Élisabelle pour descendre les marches et me mêler à la foule, plantant là mon épouse dont je ne voulais pas.

  • Tu sais que tu es normalement sensé offrir ton bras à ton épouse pour faire le tour des invités ensemble et les remercier d’être venus, me glissa mon amie. Puis, vous devez normalement mener la première danse.
  • Aucune importance, ai-je grommelé, tentant de chasser le petit sourire triomphant de Sorticia de mon esprit. Tout le monde sait que ni moi ni elle ne voulons de ce mariage. Je ne vais pas me couvrir de ridicule en lui tenant la main comme à une petite fille pour faire le tour de la salle. Et puis… ni moi ni elle n’avons tes talents de diplomate pour faire croire à mes invités que leur présence a eu une quelconque importance à ses yeux.
  • Alors en plus d’être ton témoin, je dois aussi te servir d’ambassadrice ? fit mine de s’offenser Élisabelle, bien que je savais pertinemment qu’elle adorait mettre sa maitrise de l’étiquette et ses talents de badinage à l’épreuve. Il serait plus que temps que tu apprennes à te débrouiller tout seul en société, mon garçon ! Oh mais bien sûr, tu n’écoutes jamais mes conseils…

Elle n’eut pas le temps de continuer sa tirade, puisqu’un attroupement commença à se former autour de nous, les nobles se pressant pour me féliciter malgré ma réputation de loup solitaire. J’ai laissé Élisabelle répondre à ma place, me contentant d’esquisser un bref sourire, un hochement de tête où une réponse expéditive quand mon concours était demandé. Une serveuse passa soudain à ma portée, et j’en profitais pour saisir une coupe de cristal afin de me rafraichir. En portant le verre à mes lèvres, j’eus soudain l’impression d’être observé, et je croisais alors le regard de Rodrygal, adossé contre une colonne à l’autre bout de la salle. Il était entouré de membres de son clan engagés en pleine discussion, mais lui n’y prêtait aucune attention. Ses yeux débordant de haine étaient rivés droit sur moi. Il n’avait apparemment pas digéré le fait que je lui avais dérobé (bien malgré moi il est vrai) la femme qu’il désirait. J’aurais même juré qu’à tout instant, Rodrygal allait finir par fendre la foule pour se jeter sur moi…

Avec un sourire débordant de perversité, j’ai levé ma coupe dans sa direction, mettant bien en évidence la marque de mon alliance. Le visage de Rodrygal se durcit, et la coupe qu’il tenait dans sa main éclata brusquement sous la pression de ses doigts, provoquant les exclamations de son entourage.

Je n’eus toutefois pas le temps de savourer ma victoire, car Élisabelle me tira le bras pour me faire signe de me joindre avec plus de conviction aux conversations. Avec un soupir, j’ai obtempéré.

La fête promettait d’être longue…

Au bout de ce qui semblait une éternité, le flot d’invités venus me présenter leurs félicitations se tarit, et nous pûmes enfin profiter d’un moment de quiétude à observer les danseurs. De temps en temps, je ne pouvais m’empêcher de jeter un coup d’œil à Némésis qui circulait parmi les invités en compagnie de Sorticia. Cela aurait dû être moi à ses côtés…

  • Tu as tout de même eu de la chance, Forlwey, me dit soudain mon amie en sirotant sa coupe de cristal. Pour un mariage forcée, ton épouse est on ne peut plus charmante… Bien que ses manières soient loin d’être aussi raffinées qu’elles le devraient, elle compense ses lacunes en bienséance par une innocence tout à fait adorable ! Et en plus, c’est une princesse !
  • La princesse d’un royaume isolé à l’importance négligeable, et dont le peuple passe manifestement plus de temps à regarder l’herbe pousser qu’à se préoccuper de sa propre survie, rétorquai-je d’un ton méprisant. Si elle est censée être l’une des plus puissantes fées qui existent, je n’ose imaginer le niveau des autres… Il n’y a aucune gloire à régner sur un peuple pareil.
  • Bon sang, mon garçon… tu étais de bien meilleure humeur le jour des funérailles de ton père !
  • Ce jour-là était digne de réjouissance… Tandis qu’aujourd’hui tout ce que je vois, ce sont des gens qui fêtent ma déchéance...
  • Forlwey…
  • Cela aurait dû être moi, Élisabelle… Moi, et non ce parvenu de Jorenn Aleyran ou cette vipère de Sorticia ! Je suis plus loyal que ces deux-là réunis ! Et pourtant Némésis ne m’a jamais accordé ses faveurs !
  • Tu crois à tort que la loyauté t’obtiendra automatiquement l’affection de la reine, mon garçon, répliqua la baronne. Mais tu ne te pose pas les bonnes questions : si Jorenn et Sorticia ont obtenu ses faveurs, c’est qu’ils pouvaient apporter à Némésis quelque chose que tu n’as pas. Je t’avais prévenu, Forlwey : Némésis sait qu’elle tient déjà ton cœur sans même avoir à le désirer. Elle n’a aucune raison de t’offrir son affection pour conserver ta loyauté puisque tu la lui donne déjà sans réserve.

Je n’ai pas répondu. Je n’avais rien à répondre, à vrai dire. Même si je refusais de l’admettre, Élisabelle avait entièrement raison depuis le début.

  • De toute manière ce qui est fait est fait, reprit cette dernière. Il vaut mieux maintenant que tu tournes la page et que tu te concentre sur l’avenir. Je te rappelle que Némésis s’attend à ce que ton union porte ses fruits très rapidement d’un manière ou d’une autre…
  • Je le sais très bien…
  • Tu le sais, mais il va falloir que tu t’y fasse ! Alors à moins que tu ne veuille encourir la colère de Némésis, je te suggère d’adoucir ta position et de te rapprocher rapidement de ton épouse afin de satisfaire la reine.

J’ai émis un grognement qui ne m’engageait à rien, mon regard balayant distraitement la Salle du Trône. C’est alors que je vis soudain à l’opposé de la salle mon épouse… en compagnie de Jorenn Aleyran ! Ils semblaient tous deux plongés dans une conversation passionnante… tellement passionnante que ma femme venait d’offrir à mon rival un sourire éclatant que je ne lui avait jamais vu.

La colère me submergea. Ce misérable parvenu m’avait déjà volé les faveurs de la reine… Il n’allait pas non plus me dérober mon épouse en prime !

  • Excuse-moi, Élisabelle, lui ai-je dit en lui tendant ma coupe d’un geste impérieux. Je vais devoir te laisser…
  • Où vas-tu ? s’étonna mon amie.
  • Faire mon devoir d’époux.

Ni une ni deux, j’ai traversé la salle en bousculant sans ménagement les invités qui me barraient le chemin, les yeux rivés sur les deux conspirateurs. Au moment où j’arrivais derrière la fée, Jorenn Aleyran levait la main pour lui effleurer délicatement la joue.

Mon sang ne fit qu’un tour. Saisissant le bras de ma femme, j’ai tiré brutalement cette dernière vers moi, lui arrachant un cri de surprise et de douleur mêlées. Sans prêter attention à la fée entre mes mains dont je sentais la respiration s’accélérer, j’ai fusillé Jorenn du regard, lequel en retour me dévisagea avec hauteur. Du coin de l’œil, j’ai alors vu que certains invités observait la scène avec intérêt. Ne désirant pas me donner en spectacle, j’ai décidé d’en rester là. A vrai dire, j’en avais assez de ces célébrations stupides.

  • Rentrons, ai-je dit à ma femme d’un ton froid et autoritaire. La fête est terminée.

Sans plus de façon, je me suis alors dirigé vers la sortie d’un pas rapide en la tirant par le bras. Mais je me suis bien vite rendu compte que la fée n’était pas capable de suivre le rythme lorsqu’elle manqua de s’étaler par terre pour la troisième fois. Avec un grognement de mépris, je l’ai fait basculer dans mes bras afin de la porter plus facilement. Stupéfaite et rouge d’embarras, la fée ne chercha même pas à se débattre.

Et c’est ainsi que j’ai déserté mon propre mariage, mon précieux chargement entre les mains.




A suivre...

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