Chapitre 5 : Nuit de Noce, Partie 1

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Lorsque mon automobilis s’est posée sur la plus grande terrasse de ma tour qui abritait un jardin suspendu, ma « femme » et moi n’avions pas encore échangé un seul mot. Conservant un silence outré, la fée avait fait mine d’observer le paysage qui défilait, refusant obstinément de tourner la tête vers moi. Je m’en moquais, à vrai dire. Dans mon esprit tournaient encore les images de Némésis et Sorticia se mêlant ensemble aux invités, discutant entre eux avec une complicité qui m’irritait au plus haut point. Quand ce n’était pas ce parvenu de Jorenn Aleyran, c’était cette vipère de sorcière qui se dressait entre moi et la reine…

Sitôt que mon serviteur ait ouvert ma portière, je suis descendu du véhicule et j’ai commencé à traverser la terrasse jusqu’à l’alcôve menant à l’intérieur de ma demeure… avant de me rendre compte que j’allais une fois de plus oublier ma femme. Je me suis alors tourné en arrière pour voir que mon chauffeur avait également ouvert la portière de la fée, qui refusait toujours obstinément de descendre. Embarrassé, l’esclave demeura immobile, mais son regard trahissait sa terreur quand je m’étais tourné vers eux, terrifié à l’idée d’être la cible de ma colère. Heureusement pour lui toutefois, ça n’était pas vers lui que je dirigeais mes foudres.

Revenant sur mes pas en ravalant un juron, j’ai tendu la main à ma femme, laquelle m’ignora superbement.

  • Vous savez que votre petite rébellion ne durera que le temps que je le permettrai, n’est-ce-pas ? lui ai-je lancé avec agacement. Descendez et comportez-vous dignement… à moins que vous ne souhaitiez que je vous porte encore une fois ?

Cette fois-ci, la princesse rougit et serrant les dents à ma plus grande satisfaction. Enfin, j’obtenais une réaction !

Avec une infinie lenteur qui ne cachait rien de son mépris à mon encontre, la fée fit descendre lentement sa main dans la mienne… laquelle s’évada juste avant que je ne referme mes doigts dessus. Prenant appui sur la portière, ma femme descendit de l’automobilis en passant juste sous mon nez, ignorant ma main tendue prête à l’aider.

« Sale petite peste » ai-je grommelé.

L’esclave qui tenait la portière avait aussitôt baissé les yeux pour me faire croire qu’il n’avait pas été témoin de cette humiliation. Je n’étais pas dupe, cependant il me donnait l’opportunité de faire semblant de l’être. S’il ne l’avait pas fait, j’aurais dû lui arracher la tête ; hors de question de perdre la face devant un servilis.

Je me suis dépêché de rattrapper ma « chère » épouse avant qu’elle ne franchisse l’alcôve. C’était toujours moi le maitre des lieux ici, et il fallait que je le lui fasse comprendre rapidement avant que ne lui viennent d’autres idées de rébellion. Mais j’eus à peine le temps de la rattrapper qu’un tonnerre d’applaudissements nous figea sur place alors que nous entrions dans l’atrium.

Nous étions entourés de plusieurs dizaines de serviteurs qui nous avait réservé une véritable ovation, comme si nous venions de rentrer vainqueurs d’un quelconque champ de bataille. Stupéfait, la fée et moi sommes restés parfaitement immobiles pendant au moins une bonne minute, jusqu’à ce que Laïus se fraie un chemin parmi le cercle de domestiques pour se tenir devant nous. Comme si c’était le signal qu’ils attendaient, les serviteurs cessèrent aussitôt d’applaudir.

  • Monseigneur, commença-t-il en inclinant respectueusement la tête vers moi, avant d’adresser un large sourire à la fée. Madame la Comtesse, au nom de tous vos serviteurs, permettez-moi de vous féliciter pour votre mariage. La maisonnée toute entière est à votre serv…
  • De quoi parlez-vous ? le coupa abruptement ma femme.

Surpris, Laïus me jeta un regard furtif avant de répondre à mon épouse sur un ton respectueux mais légèrement anxieux :

  • Eh bien, en tant que Comtesse d’Abyssombre, vous êtes la nouvelle maitresse de maison, et donc…
  • Vous faites erreur, rectifia sèchement la fée. Je suis la Princesse Aïna de Gaïa. Ce mariage était une mascarade qui n’a aucune légitimité, car je ne n’y ai pas consentie. Je ne me serais jamais abaissée à épouser ce monstre qui se prétend « comte ».

Le silence qui suivit était pour le moins glacial… mais c’était une brise de fraicheur comparé à la fureur qui m’embrasa. Une ronce noire jaillit aussitôt de ma main, et pendant une demi-seconde j’ai envisagé la possibilité de m’en servir pour lui lacérer le dos. J’avais fait saigner des esclaves pour moins que ça…

Seule ma loyauté envers Némésis (et bien entendu sa terrible vengeance si j’outrepassais ses ordres) m’empêcha de passer à l’acte. C’est donc avec des trésors de patience que je m’obligeais à faire disparaitre ma ronce et à déclarer d’une voix hachée :

  • La comtesse est… exténuée à cause du mariage. Préparez-lui un bain et laissez-la se reposer avant le diner de ce soir.
  • Je refuse de… s’indigna aussitôt mon épouse.
  • Montre-lui ses quartiers et présente-lui ses femmes de chambre, Laïus, ordonnai-je en élevant la voix.

« Et emmène-la vite avant que je ne lui arrache la tête ! » grommelai-je intérieurement.

Heureusement, mon intendant, habitué à me servir depuis maintenant des lustres, devina que j’étais sur le point de faire couler le sang et prit l’initiative de faire un signe à quelque servantes qui entourèrent aussitôt ma femme.

  • Je vous en prie, Madame, laissez-nous vous faire visiter la demeure. Pendant ce temps, nous vous ferons préparer un bain chaud afin que vous puissiez vous relaxer. La journée a dû être épuisante pour vous…

La fée sembla sur le point de répliquer à nouveau, mais elle parut se rendre compte que les servantes qui l’entouraient semblaient terrifiées. Aussi inclina-t-elle sèchement la tête et suivit Laïus dans l’un des couloirs attenants à l’atrium.

Les domestiques restants demeurèrent debout, droit comme des piquets. Ils attendaient l’ordre de prendre congé et n’osaient même respirer avant, de peur que je ne m’en prenne au premier impertinent venu.

  • Disparaissez ! ai-je ordonné.

Ils se sont aussitôt dispersés à l’intérieur de la tour, sachant très bien les tâches qu’ils avaient encore à accomplir, et manifestement peu désireux de me tenir compagnie au vue de mon humeur massacrante. Au moins, les esclaves savaient toujours où était leur place !

Enfin seul, je me suis affalé dans l’une des méridiennes de l’atrium en poussant un immense soupir désabusé. A peine arrivée chez moi, la fée commençait déjà à contester mon autorité. Et elle n’allait probablement pas s’arrêter là…

Je n’ai pu retenir un grondement de frustration. J’étais marié depuis quelques heures à peine… et j’avais déjà envie d’être veuf !


***


  • -Monseigneur ? s’enquit une voix douce qui me tira de ma somnolence.

J’ai ouvert les yeux pour envisager la jolie servante qui se tenait bien droite devant moi. Baissant aussitôt les yeux avec soumission pour ne pas soutenir mon regard (ce qui aurait pu être considérée comme une impertinence si je ne l’y avais pas autorisé), la jeune esclave continua d’une voix timide :

  • Veuillez m’excuser, Maitre. Laïus m’a chargé de vous signaler que le diner est servi dans la salle de réception.
  • Le diner ? ai-je répété en me redressant. Quelle heure est-il ?
  • C’est le soir, Maitre.

J’ai jeté un regard à l’extérieur, mais c’était parfaitement inutile, puisque les lumières artificielles de la ville brillaient quasiment en permanence.

  • Et ma… femme ?

J’avais presque craché ce mot en me rappelant l’esclandre qu’elle avait causé à peine le pied posé dans ma demeure.

  • La maitresse a pris possession de ses appartements, m’apprit ma servante. Elle a fini de prendre son bain et s’habille en ce moment même pour le diner. Désirez-vous retarder le service et profiter également d’un bain avant ?
  • Non, ai-je refusé en me redressant. Va dire à ma femme que je l’attend à table.

« Et si elle se permet de m’ignorer encore une fois, je l’étrangle », ai-juré intérieurement.

  • Bien, Maitre.

La servilis s’inclina devant moi et s’éclipsa discrètement. Je me suis levé à mon tour en rectifiant ma tenue dans le miroir en face de moi. Ce diner serait notre premier véritable tête-à-tête depuis notre rencontre il y a trois jours. C’était l’occasion de mettre les choses au clair : il fallait impérativement que je montre à la fée qui commande, sans quoi notre union allait se transformer en guerre de tranchée qui pourrirait la vie…

Traversant les couloirs de ma demeure sans même prendre la peine de lever les yeux pour voir où j’allais (J’en connaissais bien entendu les moindres recoins comme ma poche), je suis bientôt arrivé dans la salle de réception. C’était une grande pièce rectangulaire illuminée par des lustres dorées, et dont la baie vitrée de la façade nord dévoilait un panorama resplendissant d’Adamas. Six esclaves , s’inclinèrent bien bas à mon entrée, attendant au garde à vous contre les murs et prêts à assouvir le moindre de mes désirs. Laïus, également présent, me salua à son tour.

  • Monseigneur, déclara-t-il avec déférence. Le diner est prêt à être servi dès que vous le désirerez. Madame la Comtesse ne devrait pas tarder à venir vous rejoindre… les femmes de chambres finissent d’ajuster sa coiffure.

Je me suis installé au bout de la table devant le couvert qui avait été dressé à mon attention.

  • Que désirez-vous faire servir ce soir, Monseigneur ?
  • Du vin français, ai-je répondu après un instant de réflexion.

Je possédais en effet un domaine français à la Surface, dans lequel j’aimais à séjourner quand je quittais le Royaume Submergé. Près de mon somptueux manoir poussaient des vignes que je faisais cultiver par des humains pour obtenir un excellent vin. Ils ne savaient pas bien sûr que le propriétaire du domaine était un nosferatu vieux de plus de quatre-cent-ans ; pour tout ce qui concernait la gestion de mes affaires dans le monde humain, j’avais recours aux services d’un mandataire intermédiaire spécialiste des relations entre les mondes humains/magiques. Une grande partie de la production était vendue à la Surface, histoire de sauver les apparences aux regards des autorités locales (bien qu’étant plus riche qu’un roi, je n’avais nullement besoin d’une telle source de revenu). Mais je gardais les meilleures bouteilles pour ma consommation personnelle (et celle d’Élisabelle qui n’hésitait pas à prélever sa part sur ma production…).

Nous autres vampires, étions incapable d’avaler de la nourriture solide : la viande, les légumes, les fruits… tout cela était du poison pour notre organisme. Seul le sang nous nourrissait. En revanche, les vampires avaient depuis longtemps développé un goût prononcé pour les boissons, et surtout celles qui étaient alcoolisées (car nous étions pour ainsi dire immunisés contre l’ivresse). Les vampires avaient donc cherché à développer leur production de boisson alcoolisée afin d’assouvir leurs plaisirs. Et force était de constater que malgré son absence de pouvoir, d’intelligence, de dignité et de discipline, l’humanité se défendait fort bien dans ce domaine. Il était donc courant pour les vampires de remplir leurs caves avec les breuvages humains.

Tandis que j’étais perdu dans mes pensées sur mon approvisionnement en vin, je n’ai pas entendu Laïus me répondre « Bien Monseigneur » puis de faire signe à l’un des serviteurs qui quitta la salle avec empressement pour revenir plus tard avec deux bouteilles de vin. En fait, c’est quand les grandes portes de la salle de réception s’ouvrirent pour laisser passer ma femme accompagnée par deux femmes de chambres et précédée d’un solennel « Madame la Comtesse d’Abyssombre ! » de Laïus, que j’ai fini par sortir de ma rêverie pour relever les yeux.





A suivre...  

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