Chapitre 13 : Duel amical, Partie 2

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L’arène d’Abyssombre était située au sommet d’un des gigantesques pics sous-marins qui jaillissaient de la faille. La pointe, polie par le courant, avait été taillée en un grand cercle d’une quarantaine de mètres de diamètre, protégé de l’océan par une bulle d’air similaire à celle qui entourait Abyssombre. Un tunnel souterrain reliait l’arène au domaine, et on pouvait également y accéder par vaisseau, pour ceux qui auraient eu peur de se mouiller.

Bien entendu, j’y suis allé en nageant.

Je n’avais pas pris la peine de me changer, persuadé que ce duel amical tournerait court dès qu’Élisabelle s’en lasserait. Il est vrai que c’était une nosferatu… mais je connaissais ma propre force et même si j’adorais me battre, je n’avais aucune intention de faire du mal à mon amie. Alors jusqu’à ce qu’Élisabelle abandonne d’elle-même, je me contenterai de me défendre en lançant deux ou trois attaques légères, histoire qu’elle ne me reproche pas ma passivité.

Je n’ai pas eu à attendre bien longtemps. Mon sixième sens pressenti son arrivée bien avant qu’une nuée de chauve-souris ne jaillisse du tunnel pour se transformer à l’intérieur du cercle de l’arène, redevenant la baronne de Véresbaba que je connaissais si bien.

Elle avait troqué sa robe contre une tenue de combat noire, sans fioritures et plus moulante. Où diable avait-elle trouvé ça ? Je n’en avais aucune idée… mais manifestement, Élisabelle était on ne peut plus sérieuse concernant notre duel.

  • Tu avais peur de te mouiller ? l’ai-je apostrophé avec un sourire moqueur.
  • Je n’avais aucune envie d’abîmer ma coiffure, répliqua Élisabelle en replaçant son chignon sans se démonter. J’aime rester élégante et distinguée… surtout si je dois te faire mordre la poussière, mon garçon.

Je n’ai pas pu retenir un nouvel éclat de rire, avant de claquer des doigts. Les symboles runiques qui délimitaient l’arène s’illuminèrent aussitôt, matérialisant un dôme d’énergie écarlate au-dessus de nos têtes. Cette barrière enchantée était une précaution nécessaire pour protéger les environs d’une arène de combat magique… surtout quand deux nosferatus s’affrontaient.

  • Mettons quelques règles en place, ai-je ensuite déclaré en retrouvant mon sérieux. Je ne veux pas te faire de mal, Élisabelle…
  • C’est… tout à ton honneur, mon garçon, commenta mon amie avec un sourire carnassier.
  • ...Alors pour éviter ça, je ne vais pas me servir de ma magie, continuais-je en ignorant l’interruption de la baronne. Et je propose que nous…
  • Avant de me détailler tes règles passionnantes, Forlwey… ne voudrais-tu pas enlever au moins ton costume ? Ce serait dommage de l’abîmer…
  • Pourquoi ? rétorquai-je, agacé d’être à nouveau interrompu. Ce n’est qu’un vêtement. Je me moque de ce qu’il pourrait bien lui arriv…
  • C’est moi qui te l’ai offert.
  • … Je l’enlève tout de suite.

Je me suis prestement exécuté avant de contrarier davantage Élisabelle, qui semblait déjà extrêmement irritée. Une fois le costume plié, j’ai tourné la tête en cherchant un endroit où le déposer à l’extérieur de l’arène.

Mal m’en a pris.

C’est mon sixième sens qui fit réagir mon corps avant même que mon cerveau n’enregistre ce qu’il venait de se passer. Instinctivement, mon bras se leva pour parer le poing d’Élisabelle, qui était passée à l’attaque à la seconde même où j’avais détourné le regard.

  • Je n’ai pas le souvenir qu’on ait donné le coup d’envoi, ai-je lâché, étonné par son impulsivité.
  • C’est aux dames qu’il revient l’honneur de lancer le bal ! répliqua Élisabelle.

Mon amie enchaîna aussitôt avec un puissant coup de pied qui me força à lever les deux avant-bras pour encaisser l’attaque. Le choc, porté par la force d’une nosferatu, me fit reculer de plusieurs mètres en arrière… mais déjà Élisabelle bondissait à nouveau sur moi, alternant entre coup de pieds et de poings que je m’efforçais de parer ou d’esquiver. Seulement il était bien difficile de contenir l’assaut aussi surprenant que furieux auquel me soumettait mon adversaire…

Rompant l’engagement, j’ai pris le parti de m’échapper d’un bond à l’autre bout de l’arène, alors que le poing d’Élisabelle faisait éclater le sol à l’endroit où je me trouvais un instant plus tôt. Je tenais toujours mon costume dans la main… ou plutôt la moitié qui restait, car l’autre gisait en confettis sur le sol, victime des attaques d’Élisabelle.

  • Regarde ce que tu as fait, grommelai-je en lui montrant le morceau de tissu désormais inutile. Je croyais que tu tenais à ce que je n’abîme pas ce costume !
  • Ah ! Si tu étais malin, mon garçon, tu te souviendrais que je ne t’ai jamais offert ce costume ! rétorqua Élisabelle d’un ton triomphant. Il appartenait à ton père !

J’ai aussitôt lâché le vêtement déchiré avec un grognement de dégoût.

  • Je comprends mieux pourquoi je flottais dedans… ai-je grommelé, avant de lancer d’un ton incrédule à Élisabelle. Et comment cela se fait-il que tu connaisses mieux ma garde-robe que moi ?
  • Mon pauvre garçon… Si je te laissais gérer ton domaine tout seul, tu vivrais dans une ruine et tu n’aurais pas plus de trois tenues différentes à te mettre sur le dos ! Réfléchis-y la prochaine fois que tu me manqueras de respect !
  • Te manquer de respect ? ai-je répété, stupéfait par sa véhémence. C’est au contraire par considération que je voulais te ménager, Élisabelle !
  • Par considération, hein ? répéta la baronne de Véresbaba avec un sourire sinistre tout en faisant craquer ses jointures. Je n’ai pas besoin de ta considération, mon garçon. J’ai participé à la Conquête… J’ai contribué à la chute de l’Empire Atlante aux côtés de ton grand-père et Némésis. Je n’aime peut-être pas me battre, et tu m’es sans aucun doute supérieur dans ce domaine… Mais cela ne veut pas dire que je ne peux pas te donner du fil à retordre, Forlwey !

Un instant surpris par son éclat, j’ai finalement esquissé un sourire amusé. Peut-être que ce combat allait s’avérer plus divertissant que je ne l’imaginais…

  • Très bien, l’ancêtre… ai-je ironisé en me massant la nuque d’un air décontracté. Je vais te montrer à quel point je respecte mes aînés… en te rappelant gentiment que le champ de bataille n’est plus de ton âge !

Élisabelle éclata de rire.

  • C’est bien mieux comme ça, mon garçon ! s’exclama-t-elle en bondissant sur moi.

Cette fois-ci, je l’attendais de pied ferme, et je n’eus aucune difficulté à saisir son poing au vol avant qu’il ne m’atteigne. Serrant les doigts de ma main droite, j’ai répliqué par un crochet rapide qu’Élisabelle esquiva avec l’agilité d’un serpent. Sa jambe se tendit… et s’écrasa contre l’avant-bras que j’avais levé en protection. Élisabelle se dégagea avant que je ne saisisse sa cheville et recula pile au moment où je balançais à nouveau mon poing dans sa direction. Mes phalanges n’effleurèrent que le vide.

Ce schéma se répéta plusieurs fois pendant quelques minutes : Élisabelle attaquait, je parais… et elle s’échappait avant que ma riposte ne la touche, rompant l’assaut pour mieux rattaquer deux secondes plus tard.

J’ai enduré ses assauts avec calme et assurance, certain de ma victoire. Quand Élisabelle attaquait, j’encaissais ses coups sans broncher, alors qu’elle devait éviter les miens et reculer pour m’échapper. Je me contentais pour l’instant d’augmenter petit à petit la rapidité et la puissance de mes attaques, acculant lentement mais sûrement mon adversaire vers une défaite inévitable. Dès que je le désirerais, il me suffirait alors de changer complètement mon rythme d’attaque pour surprendre Élisabelle, qui devait à présent s’être habituée à la cadence de mes assauts… et alors là ce serait la fin. J’avais tout mon temps.

… C’était en tout cas ce que je croyais.

Estimant au bout de quelques minutes que l’heure était venue de mettre un terme à ce duel, j’ai brusquement accéléré ma vitesse pour foncer sur Élisabelle après avoir paré une énième attaque de sa part. J’étais littéralement à deux doigts de saisir son cou… quand soudain Élisabelle s’écrasa brusquement au sol et m’envoya son pied dans le ventre, avec une puissance bien supérieure à celle qu’elle m’avait opposée jusqu’à présent.

Mon instinct de guerrier contracta mes muscles abdominaux avant que le pied de mon adversaire ne s’écrase dessus, atténuant considérablement la souffrance que je ressentis. En revanche, le choc fut suffisamment brutal pour m’envoyer planer plus d’une dizaine de mètres en arrière. Rompu à encaisser ce genre d’attaque, je me suis immédiatement réceptionné sur mes pieds en me redressant. Manifestement, je n’avais pas été le seul à retenir mes coups pour tromper mon adversaire en imposant un faux rythme à ce duel… J’avais été pris à mon propre jeu.

  • J’avoue que je l’ai senti passer, celui-là… ai-je admis en saluant de bonne grâce la dextérité de mon adversaire.
  • Je t’ai prévenu, Forlwey : si tu ne prends pas ce duel au sérieux, tu vas te prendre une correction ! m’avertit Élisabelle avec un sourire moqueur.
  • De quel duel parles-tu ? répliquai-je d’une voix faussement étonnée. Je suis encore en train de m’échauffer. D’ailleurs, merci de m’avoir aidé pour mes étirements… J’avais justement besoin d’un petit coup de fouet pour réveiller mes muscles.
  • Un coup de fouet, hein… Je crois que je peux te donner ça.

Je me suis aperçu que quelque chose s’était mis à bouger dans le dos d’Élisabelle. Un frisson parcourut ma colonne vertébrale. Je connaissais cette sensation…

Une poupée à la forme humanoïde, aux membres grossièrement cousus dans une toile brunâtre et avec une tête ronde qui faisait presque la moitié de son propre corps, grimpa alors sur l’épaule d’Élisabelle. Son sourire découvrait une rangée de crocs noirs redoutablement pointus, et ses yeux brillaient d’une flamme orangée, symbole de la cruauté qui animait ces détestables petites bestioles…

« Elle a osé… » ai-je grommelé intérieurement.

Mon sixième sens m’alerta soudain d’un rapide mouvement derrière moi. D’un geste vif, j’ai fait volte-face pour attrapper au vol la vicieuse petite poupée qui avait tenté de m’attaquer en traître, identique en tout point à celle qui était perchée sur Élisabelle. Ma proie se débattit en poussant des petits cris plaintifs, mais je l’ai ignoré pour resserrer davantage mes doigts sur son crâne de toile.

  • Tu sais que je déteste tes sales bestioles ! ai-je lancé à mon adversaire d’un ton agacé.
  • Ne me dis pas que tu as passé l’âge de jouer à la poupée ? se moqua Élisabelle en claquant des doigts.

La poupée que je tenais s’illumina alors d’un éclat ardent, prête à exploser sous mon regard impassible. Je connaissais très bien la magie d’Élisabelle, et je savais à quoi m’attendre avec ses petites marionnettes. J’aurais dû la jeter aussitôt pour éviter que l'explosion ne m'atteigne.

Mais j’étais Forlwey, le Comte Sanglant… et la prudence n’était pas mon blason.

D’un geste rapide, j’ai enfoncé la poupée dans le sol, avec tant de force que mon bras disparut jusqu’au coude. L’explosion qui retentit quelques secondes plus tard fit trembler la terre et fissurer la pierre, sans la faire éclater pour autant. J’ai alors retiré mon bras, blessé et sanguinolent… mais entier. Déjà, ma régénération naturelle agissait pour réparer les tissus endommagés et guérir mes blessures. Dans quelques secondes, elles auraient complètement disparu.

Hors de question d’attendre une éternité pareille pour contre-attaquer.

A suivre...

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