Chapitre 14 : En mémoire du passé, Partie 2

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Élisabelle se permit un sourire attendri.

  • Tu aurais dû le voir… il était magnifique, auréolé de sa fureur vengeresse ! Mais évidemment à ce moment-là, c’était la dernière personne que je voulais voir venir à mon secours… Alors tandis que mes ravisseurs terrifiés se disputaient pour savoir comment réagir à l’ultimatum de Ciarán, je suis venue à leur secours et j’ai conclu un marché avec eux. Puis je suis descendu à la rencontre de ton grand-père. Il était soulagé de me voir en vie, mais il a très vite déchanté quand il a aperçu mon expression. Je lui ai dit que je n’avais pas besoin de son aide.
  • Pourquoi, par Némésis ? ai-je réagi en haussant un sourcil.
  • Par fierté, mon garçon. Je ne pouvais pas lui faire croire que j’étais une demoiselle en détresse qui attendait son prince charmant, alors que ce dernier l’avait rejeté pour en épouser une plus jeune… Cela aurait été humiliant ! Alors je lui ai dit que j’étais désormais fiancé à mon beau-frère, le nouveau Comte de Clamarine, et qu’il recevrait bientôt une invitation à notre mariage. J’ai fixé la date à l’instant même, ajouta Élisabelle. Je crois que ça a achevé ton grand-père, car il a quitté Clamarine sans se retourner. Il paraissait vraiment… blessé. Je pensais que cela me réjouirait, mais au final… je n’en ai tiré aucune satisfaction. La nouvelle a fait le tour de la noblesse nosferatu ; mon mari tué par son frère dans un duel d’honneur, et mon nouveau mariage. Bien sûr, beaucoup ont trouvé l’affaire étrange… mais ils savaient en tout cas que mieux valait ne pas s’en mêler. Le clan de Clamarine avait un nouveau chef, entériné par la reine, et cela suffisait aux autres nosferatus.
  • Sauf mon grand-père j’imagine.
  • Lui n’était pas dupe, mais tu sais comme moi que le résultat d’un duel d’honneur entre nosferatus est toujours considéré comme faisant loi entre les belligérants. Ciarán ne pouvait pas prouver que le duel n’avait pas eu lieu, surtout que mes belles-sœurs s’étaient déclarées comme témoins. Le seul témoignage qui aurait pu faire éclater la vérité, c’était le mien.
  • Némésis aurait tout de même pu intervenir, ai-je répliqué. Je doute que ta belle-famille aurait continué à mentir si Sa Majesté s’en était mêlée.
  • Némésis s’en moquait, mon garçon. Elle considérait que si mon premier mari s’était fait poignardé dans le dos, c’est qu’il était trop faible pour diriger le clan de Clamarine.

J’ai hoché la tête d’un air entendu. La Reine de la Nuit favorisait ceux qui avait les moyens de leur ambitions, et méprisait les faibles qui n’étaient ni capables de s’élever, ni capables de garder ce qu’ils avaient. A ses yeux, la mort de l’ancien comte de Clamarine n’avait sans doute provoqué rien de plus qu’un haussement de sourcils vaguement intrigué.

J’ai attendu qu’Élisabelle continue son histoire. Je n’étais pas friand de ragots comme mon amie et la plupart des nosferatus, néanmoins l’histoire tumultueuse d’Élisabelle de Véresbaba avait alimenté bien des rumeurs depuis des siècles... Mon amie n’avait pourtant jamais cherché à nier ou confirmer ces rumeurs, même à moi qui l’avait déjà questionné quelques fois sur son passé.

  • Les siècles se sont à nouveaux succédés, finit par reprendre Élisabelle. Au début mon second mari et ses sœurs, ivres de leur nouveau pouvoir, ont profité de leur position pour abuser les branches familiales les moins importantes de notre clan en réclamant privilège sur privilège. Bien sûr, cela a encore dégradé l’unité de Clamarine, déjà fragilisé à cause de ce coup d’état dont personne dans la famille ne doutait. En plus ces trois-là n’avaient aucune compétence pour gérer le comté, contrairement à mon premier mari. Rapidement, Clamarine commença à dépérir, tandis que l’animosité des membres de notre clan contre mon second époux grandissait. J’ai fini par prendre les commandes alors que nous étions au bord du schisme. Au début, je n’avais pas l’intention de m’en mêler car je n’éprouvais que du mépris pour mon second époux… mais une fois que je l’avais épousé, sa chute aurait entraîné la mienne.
  • Et mon grand-père aurait été heureux de savoir qu’il avait eu raison depuis le début, ai-je glissé avec un sourire amusé.
  • Je ne te le fais pas dire, grommela mon amie. Mais en ce temps-là, nous ne nous parlions plus vraiment. Tout au plus nous échangions quelques banalités lorsque nous nous croisions aux réceptions mondaines. Et lorsque j’ai officiellement pris la tête du clan de Clamarine, ton grand-père et moi étions devenus rivaux pour devenir le comté le plus influent du Royaume Submergé : ce qui n’était pas vraiment propice à une réconciliation.
  • J’ai du mal à croire que ta belle-famille t’ai laissé les rênes de Clamarine sans réagir, vu jusqu’où ils sont allés pour les obtenir…
  • Ils voulaient le pouvoir, ils n’avaient pas pensé une seule seconde aux responsabilités qui allaient avec. Mon second époux avait beau faire le fier, il a été soulagé quand j’ai pris les commandes du clan alors que notre famille était au bord de l’implosion. Il ne savait plus quoi faire pour redresser la barre… mais heureusement pour lui, son frère avait été un bon gestionnaire et moi une très bonne élève. J’ai su regagner la confiance de ses cousins et des branches familiales du clan pour éviter le conflit. Au début, cela convenait parfaitement à mon époux et ses sœurs, car ils n’avaient plus à se préoccuper de l’état du domaine. Quant à moi, je pouvais gérer Clamarine sans les avoir dans les pattes. Cette entente tacite a plutôt bien marché… jusqu’au jour où ils ont compris qu’ils n’avaient plus le pouvoir de diriger le clan à leur guise. Pour redresser nos finances, j’ai limité leurs dépenses, et j’ai ordonné aux membres de notre clan de ne pas céder à leurs caprices quoi qu’il arrive. Les autres ont été que trop heureux de m’obéir.

J’imaginais aisément à quel point les branches les moins puissantes du clan de Clamarine avaient dû s’empresser de se ranger du côté d’Élisabelle pour se venger des affronts de son époux et ses belles-sœurs. Ils avaient dû être trop heureux de pouvoir rendre à ces derniers la monnaie de leur pièce.

  • En voyant leur influence diminuer, mon époux et mes belles-sœurs se sont retournés contre moi. Ils ont multiplié les provocations : mes sœurs prétendaient que j’avais assassiné moi-même mon premier époux, et leur frère laissait entendre qu’il allait changer de femme car j’étais incapable de concevoir un hériter… Ce genre de bassesses. Je les ai ignoré, et ils ont encore moins apprécié. Un jour, mon mari est même allé jusqu’à levé la main sur moi alors que nous accueillons le clan entier à Clamarine…

La fleur que je m’amusais à faire tourner entre mes doigts fut soudain réduit en bouillie lorsque mes muscles se contractèrent.

  • Je l’ai bien sûr arrêté avant qu’il me touche, précisa Élisabelle, à qui mon geste n’avait pas échappé. A voir l’expression qu’il a eu, je pense qu’il a aussitôt regretté son geste. Il a quitté la salle avec ses sœurs pour partir à Adamas. Je les ai laissé partir ce jour-là, néanmoins je savais que c’était la dernière fois que je les verrais. J’avais toléré leurs insultes, leurs messes basses et leurs coups bas contre moi… mais je ne pouvais pas permettre que mon époux fasse ne serait-ce que mine de me corriger comme une vulgaire esclave. Ils devaient mourir, lui et ses sœurs.
  • Tu aurais dû les faire tuer sur le champs, ai-je grommelé. Le clan t’obéissait, non ? Il aurait dû te protéger. Si j’avais été là… J’aurais repeint les murs de Clamarine avec leur sang !
  • Sers-toi de ta tête, mon garçon, répliqua Élisabelle. Nous avions beau avoir caché la vérité, ce n’était un secret pour personne que le dernier comte de Clamarine avait déjà été assassiné par sa propre famille. Si on avait appris que le clan venait de tuer son nouveau chef et ses sœurs, qu’auraient pensé les autres familles ?
  • Que le clan de Clamarine sait se faire justice ?
  • Que le clan de Clamarine est désorganisé et vulnérable… Tuer mon époux et ses sœurs devait rétablir l’unité de la famille, pas l’affaiblir davantage et la laisser à la merci des autres clans. Mon mari et ses sœurs devaient mourir, mais il était primordial que notre clan ne soit pas directement impliqué. Bien sûr notre hostilité étant connue, tout le monde supposerait que j’aurais quelque chose à voir dans leur disparition. Mais il suffisait qu’ils soient incapable de le prouver… Fort heureusement, mon mari et ses sœurs m’ont fournie le prétexte parfait. Alors qu’ils étaient retranché dans notre résidence à Adamas, ils ont décidé de partir sur l’un de nos domaines à la Surface, sûrement pour préparer ma chute. J’ai aussitôt fait joué les contacts de notre clan pour avertir discrètement les exorcistes de leur position, sachant pertinemment qu’ils ne résisteraient pas à l’idée de chasser trois nosferatus… Quelques semaines plus tard, j’apprenais leur mort à tous les trois suite à un raid des anges déchus. Les autres familles pouvaient penser ce qu’ils voulaient, j’étais hors de cause, et Clamarine a pu retrouver la voie de la grandeur.
  • Beaucoup de précautions inutiles, ai-je jugé. Si je les voulais morts, je les aurais tué moi-même. Et si quelqu’un pensait que j’étais vulnérable, il aurait connu le même sort.
  • Humpf ! Tu es plus puissant que ton grand-père ne l’a jamais été, mais tu n’as malheureusement pas hérité d’une once de son esprit diplomatique, mon garçon…
  • Parce que cela m’est inutile, ai-je grommelé en balayant ses critiques d’un geste de la main. Et donc ensuite ? Pourquoi t’es-tu retirée de Clamarine ? Tu étais de facto la cheffe du clan.
  • C’est vrai, admit Élisabelle en haussant les épaules. Mais au bout d’un moment, cette position m’a lassé… Comme je n’étais pas née dans la famille, ma légitimité était parfois remise en question. Les autres membres me pressaient pour que j’épouse l’un d’entre eux pour résoudre ce problème, mais je n’avais plus vraiment envie de me marier après ce qu’il s’était passé. Alors un jour, j’ai cédé ma place à l’un de mes cousins par alliance et je suis définitivement retournée à Véresbaba. Toutefois malgré ma mise en retrait, j’ai toujours gardé de bonnes relations avec le clan de mes défunts époux !

De « bonnes relations » était un euphémisme. Il était de notoriété publique qu’Herveris de Clamarine, le nouveau Comte qui devait sa bonne fortune à Élisabelle, la tenait en très haute estime. Elle était invitée à chaque bal et fête de famille, et ses anciens proches continuaient de quérir ses conseils, que ce soit en politique, en finance… ou en amour.

  • C’est à peu près à cette époque que ton grand-père et moi nous nous sommes rapprochés de nouveau, indiqua mon amie en reportant son attention sur la statue. J’étais veuve de nouveau, et lui… il n’était pas très heureux en mariage. Sa femme ne lui donnait toujours pas l’héritier qu’il convoitait tant. Ciarán m’a demandé pardon. Il m’a dit qu’il avait fait une erreur, que c’était moi qu’il aurait dû épouser. J’étais lassée des conflits, et je l’aimais trop pour lui en vouloir encore. Alors forcément nous avons finis par… raviver la flamme.

Je suis resté silencieux. Cette révélation était à vrai dire tout sauf une surprise pour moi. Au vue de l’affection qu’éprouvait encore aujourd’hui Élisabelle pour mon grand-père et de l’apathie avec laquelle mon père l’avait toujours traité… il n’était pas difficile d’imaginer que Ciarán n’avait jamais vraiment oublié son premier amour et n’avait pas non plus été le plus fidèle des maris.

  • Ce fut une parenthèse… idyllique. Nous étions à nouveau ensemble, et même si je devais partager ton grand-père avec son épouse… cela me suffisait. Malheureusement, cela n’a pas duré. Ta grand-mère a bien sûr fini par découvrir notre lésion, et elle a menacé de quitter Ciarán s’il n’y mettait pas un terme.
  • Et j’imagine qu’il a accédé à sa requête pour préserver ses liens avec le clan d’Enoména ?
  • Absolument pas. A vrai dire à ce moment-là, Ciarán était à deux doigts de la renvoyer lui-même, et peu importait si cela risquait de rompre ses liens avec Enoména. Il m’a assuré qu’il n’avait pas une once d’amour pour elle, et qu’il voulait m’épouser. Seulement au moment où il s’apprêtait à rompre son mariage… après des siècles de mariage, ta grand-mère est finalement tombée enceinte.


A suivre...

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