L'appel de l'autre côté

16 minutes de lecture

Anasteria lâcha un immense rire lorsqu’elle se retrouva au-dessus Yvona. Elle maintenait les poignets de son amie pour l’immobiliser et savoir sa troisième victoire de suite.


— 3 à 0 ! J’ai encore gagné.


Yvona esquissa une moue peu convaincante qui ne fit qu’amplifier le fou rire d’Anasteria.


— Tu es vraiment arrogante, et insupportable.

— C’est aussi la troisième fois que tu me dis ça de la journée.


Anasteria se redressa et enleva la poussière de son pantalon. Elle ramassa son épée émoussée dans sa main droite, et tendit l’autre pour aider Yvona. Cette dernière détourna la tête et se releva toute seule. La fierté mal placée de son amie l’amusait autant que sa victoire, et Anasteria avait envie de la taquiner encore un peu plus.


— Allez Yvi, reprit-elle. Ce n’est pas si mal, tu n’as pas trébuché aujourd’hui.

— Ana, je le jure devant les fondateurs que la prochaine fois que tu viens geindre et te plaindre de tes révisions, tu te débrouilleras toute seule !

— Quel caractère ! Pour une fois que je te bats dans un domaine…

— C’est facile pour toi ! Tu t’entraînes au combat à l’épée depuis que tu es enfant. Pas moi !

— La magie semble bien facile pour toi. Tu apprends depuis que tu es enfant.


Yvona croisa les bras, et combla la distance entre elles. Leurs visages ne se trouvaient plus qu’à quelques centimètres, et Anasteria affichait toujours son sourire satisfait. C’était si simple de faire sortir de ses gonds Yvona, et elle adorait ça.


— Un jour, je te battrais.

— Continue de rêver, reprit Anasteria.

— Arrogante.

— Réaliste, corrigea-t-elle.


Elle posa son épée d’entrainement sur son épaule et savoura la lumière matinale. Elle n’avait pas pratiqué autant d’exercice physique depuis si longtemps, et elle se sentait particulièrement en forme. C’était vraiment une très belle journée.


— Ma sœur ne me bat pas, tu sais. Enfin, sauf quand elle triche.

— Si elle gagne, elle triche. Pourquoi ne suis-je pas surprise ?

— Tout le monde n’est pas aussi intègre que moi, lâcha Anasteria, amusée.

— Insupportable.

— Vous êtes tous les deux insupportables.


Les deux adolescentes se tournèrent vers Johan. Il était assis en tailleur dans l’herbe, et lissait un immense grimoire ouvert sur ses genoux. À côté de lui, une pile d’ouvrages aussi imposants attendait d’être lue. Il lança un regard noir à ses amis et pointa les livres.


— Aidez-moi à finir ces livres au lieu de vous disputer et de vous rouler dans l’herbe.

— On ne se roule pas dans l’herbe, s’offusqua Anasteria. On s’entraine au maniement des armes.

— Vu le niveau d’Yvona, ce n’est clairement pas une réussite.


Yvona leva les yeux au ciel et usa de tout son calme pour ne pas envoyer sa propre épée émoussée sur la tête de Johan. Au lieu de ça, elle la planta dans la terre et lâcha un juron.


Pesca.

— Qu’est ce que ça veut dire ? demanda Johan, confus. C’est une insulte Iniscane ?

— Oui, répondit Yvona, d’un ton sec. Et tu perds ton temps. Tu ne trouveras rien dans ses bouquins.

— Je pensais honnêtement que tu me soutiendrais, avoua-t-il. On doit comprendre ce qui s’est passé la dernière fois.

— Je doute qu’un livre tiré de la bibliothèque de l’académie contienne une information utile.

— Tu dois admettre que ce n’est pas normal.

— Oublie Johan, intervint Anasteria. Ce n’était rien.

— Rien ? Écoute, je t’adore, Ana. Mais clairement, rien de ce qui nous est arrivé n’est normal. Les licheurs n’auraient jamais dû se trouver ici, sans parler de ce que tu as fait. Et je ne mentionne pas la voix que tu as entendue. Entendre des voix ce n’est jamais bon signe !

— Yvona a déjà expliqué qu’un mage pouvait entendre des voix, argumenta Anasteria.

— Une minute. Je n’ai pas dit ça.

— Tu l’as dit ! Je sais que j’ai des soucis de concentration, mais je me souviens de ça !


Yvona croisa les bras et prit appui contre un des arbres de la cour. Le soleil commençait à taper si fort qu’elle le supportait difficilement et chercher un peu d’ombre.


— J’ai dit que ça pouvait se produire, mais pas que c’était courant. Les esprits ne parlent pas souvent. Mais ça peut arriver. Si tu possèdes un lien assez fort avec l’autre côté, tu peux l’entendre.

— Mais cela n’explique pas le reste, pointa Johan. Tes yeux, ton pouvoir, l’esprit de feu...


Anasteria laissa tomber son épée à ses pieds et soupira très longuement. Elle en avait assez de voir que les discussions de leur groupe tournaient exclusivement autour de ça. D’un geste de la main, elle réfuta les arguments d’Yvona et Johan.


— Tout va bien.

— Tu es dans le déni, remarqua Johan.

— Je ne suis pas dans le déni ! Et j’ai déjà raconté tout ce que je savais à Iselia. Est-ce qu’on peut avancer, ou on doit encore parler pendant trois mois ?

— Je dis juste que —

— Yvona !


Les trois amis arrêtèrent aussitôt leur débat. Et Yvona poussa un long soupir. Un jeune homme blond courait vers eux, et Anasteria reconnut facilement Adreïs, le grand frère d’Yvona. En réalité, elle ne l’avait vu que dans le songe d’Yvona. Adreïs avait beau se trouver à l’académie, elle ne passait guère de temps avec lui. Du peu qu’avait entendu Anasteria, il était un frère distant. Ils ne partageaient rien, ne discutaient pas, semblaient s’apprécier juste assez. Lorsqu’il se posta près d’eux, la première chose qui frappa Anasteria, ce fut sa taille. Adreïs restait plus âgé qu’eux, et avait pratiquement fini son apprentissage, et par conséquent, sa croissance. Il dominait facilement le groupe d’adolescents d’une tête et demie. Enfin, il partageait un air de famille évident avec sa sœur. Les mêmes yeux bleus, la chevelure dorée, la peau pâle, il demeurait aussi beau qu’Yvona. Il lui adressa un sourire un peu gêné, et bégaya légèrement, ne sachant visiblement pas comment lui parler.


— Hey, Yvona.

— Qu’est-ce que tu veux, Adreïs ?


La froideur d’Yvona surprit Anasteria. Elle ne semblait jamais vraiment chaleureuse de prime abord, c’était un fait. Mais elle s’attendait quand même à un tel accueil pour son frère. En réalité, Yvona n’avait aucune envie de discuter avec lui, et d’avoir une énième conversation gênante qui tourne en rond.


— J’ai parlé à certains de tes camarades, ils m’ont dit que tu te trouverais ici avec…


Adreïs sembla se souvenir de ses bonnes manières et adressa un large sourire à Johan et Anasteria.


— Je suis Adreïs, ravi de vous rencontrer. Je suis son grand-frère.

— Adreïs, soupira Yvona, que veux-tu ?

— Je sais que tu ne vas pas aimer ça, mais mère arrive.


Anasteria ne se rappelait pas avoir déjà vu une telle expression sur le visage d’Yvona. Même face au cauchemar, ou contre les licheurs, elle avait manifesté moins de peur et de terreur.


— Quoi ? bafouilla-t-elle. Pourquoi ? Pourquoi vient-elle ici ?

— Et bien… Je crois que tu sais pourquoi.


Adreïs regarda un instant Anasteria et Johan avant de reporter de nouveau son attention sur sa sœur.


— Les récentes attaques ont remué le collège, et ils ont demandé l’aide de mère. Alors…


Yvona passa sa main sur son visage dans un soupir. Nerveusement, elle commençait à effectuer les cent pas. C’était un contraste effrayant et saisissant pour Johan et Anasteria. Yvona possédait presque un don pour garder son calme dans n’importe quelle situation. Mais pas face à sa mère. Rien qu’en sachant qu’elle viendrait, Yvona sentait ses mains devenir moites et son estomac se tordait dans tous les sens. Elle pouvait déjà imaginer le regard méprisant qu’elle allait recevoir. Adreïs poussa un soupir à son tour.


— Je voulais juste te prévenir. Pour que… Tu te prépares un peu. J’ai beaucoup de choses à faire.


Adreïs n’attendit même pas une réponse de sa sœur, qu’il s’éclipsa avec un simple signe de la tête en guise de salut. Yvona leva les yeux au ciel. Comme toujours, son grand frère fuyait.


— C’est tout ? s’étonna Anasteria. Il va juste partir et te laisser avec ta mère ?

— Comme d’habitude, répondit Yvona, avec déception. Adreïs n’est pas un mauvais frère, mais… disons qu’il n’a jamais eu à subir ma mère. Pas vraiment. Je ne peux pas lui en vouloir de la fuir.

— Est-ce que ça va aller ? demanda Anasteria.


Yvona posa ses mains sur ses hanches, et lâcha un rire ironique.


— Non. Évidemment que non. Vous savez au moins ce que ça signifie, non ? Le Collège trouve que quelque chose ne tourne pas rond. Ce qui est évident ! On ne devrait pas subir autant d’attaques. Et ils envoient la meilleure mage de l’Empire pour enquêter. Elle va être tellement en colère contre moi…

— Tu n’es pas responsable, commenta Anasteria. C’est de ma faute, on le sait.

— Essaye de le dire à ma mère.


Yvona recula jusqu’à ce que son dos heurte un tronc d’arbre, et elle se laissa glisser lentement au sol, déjà fatigué par la journée qui s’annonçait. Tous les sentiments qu’elle avait enfouis ressurgissaient, accompagnés d’une voix qu’elle avait pourtant appris à ignorer. Elle ramena ses jambes vers elle avec ses bras, et cacha sa tête à l’intérieur.

Tu es tellement une déception.

La main chaude d’Anasteria sur son avant-bras chassa cette voix, mais elle ne trouva pas la force de la regarder.


— Hey, Yvi, tout va bien aller.


Si seulement cela pouvait être aussi simple.

***

Alors que la journée continuait son chemin, Anasteria pouvait sentir qu’Yvona se tendait à chaque heure qui s’écoulait. Et ni elle ni Johan ne parvenaient à la faire rire. Durant le cours de combat, Anasteria ne pouvait s’empêcher de jeter quelques coups d’œil à Yvona alors qu’elle effectuait quelques passes d’armes paresseuses avec Johan. Heureusement que le jeune adolescent n’était pas vraiment doué, cela permettait à Anasteria de ne pas se concentrer. Le visage d’Yvona était dur, et elle ne laissa pas vraiment de chance à Davos de la toucher. Un brouhaha commença à s’élever, mais l’inquiétude qu’elle ressentait l’empêchait de détourner le regard d’Yvona. Elle voulait lâcher son arme, et trouvait les mots justes pour effacer les craintes de l’adolescente. Mais avant qu’elle ne parvienne à se décider, la voix de Johan coupa ses pensées :


— C’est l’impératrice !


Anasteria tourna finalement la tête, comme le reste des étudiants. Deux personnes se dirigeaient vers eux, en traversant la cour. À côté du premier enchanteur, une femme en robe rouge s’avançait et riait visiblement aux paroles du mage. Avant qu’elle ne puisse cligner des yeux, Iselia ordonna que le cours s’arrête, et elle se déplaça. Son visage dur fixait le duo qui marchait, puis elle lança un regard à Anasteria. Cette dernière déglutit, elle avait compris.

Anasteria n’avait jamais vu l’impératrice Viviana Trivaly de ses propres yeux. Bien sûr, même dans son village, elle avait entendu parler d’elle, de sa bonté, de son sourire. Beaucoup la comparer à sa défunte belle-sœur, Lucia et elle semblait porter le nom Trivaly avec honneur et fierté. Et comme Lucia, elle demeurait d’une beauté, et d’une prestance saisissantes. Sa longue robe rouge et or descendait jusqu’à ses chevilles pour dévoiler des chaussures vernies qu’Anasteria ne pourrait jamais se payer. Ses cheveux blonds se retrouvaient coincés dans un chignon parfait, et le soleil éclairait quelques mèches blanches. Sa peau semblait dépourvue du moindre défaut, et même les quelques rides formées par son sourire ne faisaient que l’embellir. Lorsqu’elle se trouva devant les étudiants, Eyron leva la main et sa voix forte résonna :


— Votre cours est terminé. On doit discuter avec Horne, Eis, les De Vila et Johan.


Anasteria pouvait entendre les chuchotements des autres élèves, mais très vite, ils se dispersèrent, et seul leur groupe habituel resta. Johan se posta à sa gauche, Yvona à sa droite. Et caché derrière eux, Davos observait. Johan voulut s’incliner par respect, mais Iselia s’interposa devant les étudiants, et son bras interrompit le mouvement de l’adolescent.


— Un mage ne s’incline jamais, expliqua-t-elle. Même devant la famille impériale.


Johan fut décontenancé. Il apprenait encore les us et coutumes des mages et des Iniscans, mais jamais il n’aurait imaginé ne pas s’incliner devant un dirigeant. Il hocha doucement la tête, et son regard se concentra sur ses pieds alors que l’impératrice parlait d’une voix calme.


— Johan Grims. Enfin, anciennement Grims. Maintenant que tu es pupille, ce nom comme ta vie en Méridie est révolu.


Viviana reporta ensuite son attention sur Yvona. Un petit sourire en coin apparut, puis elle fixa Davos.


— C’est un plaisir de te voir Yvona, bien que j’imagine que ta mère est peu satisfaite des nouvelles. Comme ton père, Davos


Les mains d’Yvona se nouèrent et elle se tendit un peu plus. Finalement, Viviana posa son regard sur Anasteria. Et chaque détail de son visage, et de sa tenue s’en trouvait décortiqué par ses yeux marron. Elle finit par esquisser un sourire énigmatique.


— Tu dois être Anasteria Horne.


Anasteria croisa les bras et hocha en silence la tête. Son pied droit tapait nerveusement le sol et trahissait le stress qui la rongeait de l’intérieur. Le sourire de Viviana s’élargit.


— Est-ce que par hasard, tu serais lié à Enora Horne ? demanda-t-elle.

— C’est ma mère, répondit Anasteria, confuse. Je suis surprise que vous la connaissiez.

— J’ai bien connu Enora lorsqu’elle travaillait à la capitale. Elle possédait tellement de talents. Je tuerais pour avoir de nouveau ses vêtements. Quel dommage qu’elle soit partie !


Anasteria fronça doucement les sourcils. Sa mère n’avait jamais vraiment parlé de sa vie à Astela. Tout cela s’était passé avant sa naissance, et elle lui avait conté la même histoire. Elle et son mari étaient venus à la capitale dans l’espoir d’établir un petit commerce de couture, mais il n’avait jamais marché. Anasteria avait toujours trouvé ça incroyable compte tenu des compétences de sa mère. Dans ses mains, chaque bout de tissus devenait une étoffe fabuleusement belle.

Anasteria n’eut pas le temps de répondre qu’Iselia poussa un long soupire et sa voix dure effaça le sourire de Viviana.


— Sauf votre respect, que faites-vous ici ?

— Surveillez vos paroles, Iselia, prévint Eyron. Vous parlez à l’impératrice.

— Allons, intervint Viviana. Iselia s’inquiète juste pour ses élèves. Je peux lui pardonner. Mais je suis venue pour comprendre ce qui se passe. Je ne voudrais pas que quelque chose arrive à nos futurs mages. Nous avons besoin d’eux, et c’est notre devoir de les protéger.

— Ils n’ont rien fait. On les a déjà interrogés, et j’aimerais qu’ils puissent étudier en paix. Et je n’apprécie pas vraiment de ne pas avoir été prévenue.


Anasteria trouvait l’aplomb d’Iselia face à l’impératrice incroyable. Elle savait grâce aux cours que les mages ne se courbaient pas devant la famille royale ni aucun noble. Le Collège était un contrepouvoir si puissant que les mages pouvaient toiser les dirigeants comme leurs égaux. Anasteria enviait la prestance de sa professeure, et espérait secrètement qu’elle pourrait posséder la même, une fois devenue chevalière. Mais le regard d’Iselia quitta l’impératrice et en le suivant, Anasteria vit l’objet de son attention. Trois mages s’avançaient vers eux, chacun vêtu de différents uniformes. Une femme petite à l’uniforme centré et rouge, symbole de l’éducation d’Ignis, ouvrait la voie. Sa queue de cheval brune se balançait au rythme soutenu de sa marche. Et son regard sombre s’était verrouillé sur l’impératrice et le premier enchanteur. Derrière elle, un homme aux cheveux noirs teintés de blanc avançait à une allure plus calme. Ses yeux légèrement bridés trahissaient ses origines méridiennes. Néanmoins, son expression ne demeurait pas plus douce que la femme. Sa sacoche en bandoulière rebondissait sur ses vêtements verts, montrant son appartenance aux chercheurs. Et enfin, à la fin du groupe, une mage qu’Anasteria avait déjà aperçue dans le songe d’Yvona : Voxana Eis, sa mère, à une différence près cependant, son expression glaciale hérissa le poil d’Anasteria. Si un jour, elle avait trouvé qu’Yvona pouvait faire preuve de froideur, ce n’était rien en comparaison de sa mère. Ses yeux bleus ne dégageaient aucune sympathie. Sa peau blanche ne comportait presque qu’aucune ride, comme si elle n’avait jamais éprouvé une seule expression. Et ses cheveux blonds, presque platine n’aidaient pas à adoucir ses traits.

Anasteria se risqua un regard vers Yvona, et son visage laissait paraitre son effroi. Au bout de quelques secondes, le trio de mages atteint les étudiants, ainsi que l’impératrice et Eyron. Et même les ardents soleils jumeaux ne pouvaient réchauffer l’ambiance glaciale qui s’abattit à ce moment. Le sourire amical de Viviana disparut au moment où elle défia du regard l’une des mages, la plus jeune.


— Magistère Pavus, lâcha Viviana, acerbe. Quel plaisir !

— Je ne peux pas vraiment dire qu’il est partagé, votre Excellence, rétorqua la brune. Puis-je m’enquérir de la raison de votre venue ?


Viviana poussa un soupir avant de répondre avec un faux sourire.


— La même raison que vous. Je m’inquiète de voir nos étudiants en danger dans ce lieu qui, pourtant, se targue d’être le plus sûr de tout l’Empire. Ces jeunes représentent notre avenir Flavia, nous devons les protéger.

— Pour vous, c’est Magistère Pavus, exigea-t-elle. Et je suis venue pour m’en occuper, ne vous inquiétez pas.

— Soit, Magistère Pavus, siffla Viviana. Je vois que vous êtes bien entourée. Dame Eis, Magistère Kaeso.


Tous les deux inclinèrent respectueusement leurs têtes, mais décidèrent sagement de rester en retrait, comme tout le monde. La joute verbale entre l’inquisitrice et la magistère cristallisait l’attention de tous dans un silence presque religieux.


— Votre Excellence, reprit Pavus, l’académie se trouve sous la responsabilité du Collège, et non de la couronne. Vous n’avez nullement le droit d’intervenir, en vertu de la loi de la séparation des pouvoirs. C’est à moi qu’il incombe de m’occuper de cette affaire.

— Les mages ne sont pas aussi indépendants que vous et vos séparatistes aimeraient le croire, Magistère Pavus. Ce n’est qu’en travaillant ensemble que nous ferons avancer ce pays.

— Restez à votre place avec le sénat, persifla-t-elle, je me charge de cette affaire.


Viviana croisa les bras et afficha un sourire narquois qui contrastait avec son air amical présenté un peu plus tôt.


— Vous gérez tellement bien cette situation, railla-t-elle. Ce n’est pas la première attaque que ces étudiants subissent, et c’est seulement maintenant que vous décidez de prendre des mesures.


La magistère Pavus fulmina, mais ne rompit pas. Elle soutint le regard de l’impératrice, et elle ordonna d’une voix forte.


— Je vais devoir vous demander de partir, impératrice.

— Ne vous inquiétez pas, je m’en vais. Mais sachez une chose, si vous ne résolvez pas cette histoire, l’empereur prendra les mesures qui s’imposent. Je vous souhaite une bonne journée, magistères.


Elle se tourna un instant vers les étudiants et leur sourit une dernière fois.


— Faites attention à vous, leur lâcha-t-elle en guise de salut.

— Je vais vous raccompagner, proposa Eyron.

— Nous discuterons en privé de tout cela, l’avertit Pavus.


Le premier enchanteur ne broncha pas et acquiesça respectueusement de la tête. Jamais Anasteria n’aurait pensé le voir commander par quelqu’un. Lorsque l’impératrice et Eyron s’éloignèrent, Iselia ainsi que Pavus laissèrent échapper leur tension respective, et le visage de la magistère s’adoucit aussitôt.


— Vous auriez pu me prévenir, Iselia.

— Je ne savais pas, répondit-elle. Je suis aussi surprise que vous.

— Je vous crois, ne vous en faites pas. Je ne suis plus étonnée des manigances de l’impératrice.

— Si je puis me permettre, intervint Iselia, pourquoi êtes-vous venu en nombre ?


Le regard d’Iselia fixait clairement Voxana. La mage arqua un sourcil, visiblement peu impressionner. Pavus haussa les épaules avec un sourire. Elle paraissait si soudainement accessible et insouciante que ça en était troublant.


— Au vu des récents évènements, j’ai pensé que les compétences de Kaeso nous seraient utiles pour rechercher d’éventuelles failles. Concernant dame Eis, elle s’est proposé de m’aider, je ne pouvais pas refuser une telle offre.

— J’imagine que non, soupira Iselia. Je suis bien sûr disposée à vous répondre, mais j’aimerais que mes étudiants travaillent en paix. Ils ont déjà subi assez d’angoisses suite à ses attaques.

— Je comprends, répondit Pavus. Mais nous devons enquêter. Notre priorité est de contrer ses menaces.


Voxana décida d’effectuer quelques pas vers sa fille. Cette dernière tressaillit et Anasteria se sentit obligée de se mettre entre elles. Elle ne laissera pas Voxana exercer son influence comme elle avait l’habitude chez elle. Voxana haussa les sourcils de surprise, tandis qu’Anasteria tenta de paraitre la plus inamicale possible.


— Je suis sûre que vous avez beaucoup de choses à nous raconter, intervint Voxana.

— Nous avons dit déjà tout ce qu’on savait, répondit Anasteria, acerbe. Je ne vois pas pourquoi on vous parlerait.

— Tu aboies beaucoup pour quelqu’un qui se prétend innocent.

— Je ne vais pas —

— Anasteria, arrête, ordonna Iselia.


Sa professeure se plaça devant elle à son tour, et croisa les bras. Peu importe la réputation de la mage, cela ne semblait pas l’inquiéter.


— Laissez les respirer, dame Eis, demanda Iselia. Ils sont fatigués.


Voxana recula de quelques pas et soupira doucement.


— Je déciderai plus tard ce que je pense de leur histoire, mais oui. Ils peuvent partir, pour l’instant.


Anasteria remercia intérieurement sa professeure, et les adolescents s’écartèrent du groupe d’adultes qui continuait de discuter. Mais pour l’heure, ce qui inquiétait Anasteria, c’était son amie. Elle agrippa doucement la main d’Yvona.


— Hey, Yvi.


Cette dernière dégagea sa main sans ménagement et détourna son regard pour l’éviter.


— Je vais bien, lâcha-t-elle. Je ne veux pas parler.


Et sans un mot, elle accéléra le pas pour s’éloigner. Anasteria hésita à la rattraper, mais elle vit bien que son amie n’avait clairement pas envie de discuter. Elle soupira d’impuissance, et la regarda partir le cœur gros. Yvona avait quelques fois mentionné son enfance, mais Anasteria se doutait qu’elle lui cachait bien plus. Johan se posta à côté d’elle.


— La pauvre, lâcha-t-il. Je me demande ce qui s’est passé avec sa mère.

— Moi aussi, répondit Anasteria. Mais j’ai comme l’impression qu’elle ne va pas en parler.


***

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Justine "Klariana" Pouyez ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0