Chapitre 1 - Bastien

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Encore ce foutu trou noir !

Je suis accoudé à un bar. Quelques clients échangent tout en dégustant un bol de nouilles au bouillon, dans une langue qui m'est complètement étrangère. Pourtant, j'y perçois quelque chose de familier. Un serveur avec un bandana aux couleurs du Japon sur le front pose une assiette devant moi.

Ai-je commandé ce plat ?

Je ne le comprends pas. Cette langue m'est complètement inconnue. Face à mes yeux ahuris, il insiste puis hausse les épaules avant de retourner servir d'autres clients.

J'observe les baguettes posées entre ma tasse de thé fumant et l'assiette.

Je ne sais pas m'en servir. Qu'est-ce que je fiche ici, à plusieurs dizaines de milliers de kilomètres de chez moi ?

Comme je ne vois pas de fourchette et que je ne peux communiquer avec personne, j'attrape les baguettes et contre toute attente, je plonge avec précision mes baguettes dans le riz où repose un morceau de viande panée couvert d'une sauce marron. Une sauce au curry à ce qu'en jugent mes papilles.

Comment suis-je arrivé ici ? Par où commencer ?

Voyons un peu mon dernier souvenir. Il remonte à... Quel jour sommes-nous ? Je consulte mon smartphone. Vendredi 25 mars !

Mon dernier souvenir remonte à cinq jours ! Je rentrais du travail et, à peine ma sacoche posée au sol, me dépêchais de servir la gamelle de Suki dont les miaulements ne s'arrêteraient qu'une fois les premières croquettes avalées.

Je sens une goutte froide couler le long de ma nuque, suivie rapidement de quelques autres. J'essaie de réfléchir. La moiteur sur mon col vient me parasiter, tel un moustique en quête de sang frais qui passe et repasse près d'une oreille. J'essaie de faire abstraction : c'est le vide absolu.

Où sont passés ces putains de jours ?

Avant que la terreur ne prenne davantage d'ampleur, je me ressaisis. Je respire un grand coup et récite mon mantra. Trouver le fil. Suivre les indices.

Me rattacher à la rationalité me rassure, je commence par regarder devant moi.

Des rangées de bouteilles s'étalent sur des planches de bois fixées au mur, et au-dessous, un plan de travail où deux serveurs s'activent à porter la dernière touche avant de servir les plats. Je suis le seul client installé au comptoir. Deux hommes discutent sur une petite table derrière moi et une femme est assise seule, dans le fond de ce boui-boui. Je ne vois pas comment définir autrement ce restaurant où une unique personne peut circuler entre le comptoir et les tables collées au mur. Quelques feuilles sont accrochées, recouvertes d'idéogrammes japonais. Je suis incapable d'en déchiffrer ne serait-ce qu'un seul, mais je capte quelques mots du serveur. Je peux remercier les heures passées à dévorer des séries animées, "Itadakimasu!" et "dôzo".

Je regarde par la fenêtre, la lumière dorée m'indique que nous sommes en pleine journée. L'établissement donne sur une rue peu passante à en juger par les trois personnes qui sont passées par là en une bonne dizaine de minutes.

Une pensée interrompt mes observations et entraîne une vague d'angoisse me nouant les tripes : Comment a fait Suki ces cinq derniers jours ? Je déglutis avec difficulté, j'imagine déjà mon chat gratter faiblement à la porte avant de s'effondrer, inerte. J'attrape mon téléphone. Je m'apprête à appeler avant de réaliser qu'il fait peut-être nuit. Je vérifie à l'aide de la 5G, huit heures de moins en France, il est donc six heures trente.

— Allo, Bastien, tu es bien matinal.

— Bonjour Yvette. Désolé de vous déranger de si bonne heure.

— Tu venais prendre des nouvelles de Suki ? Je viens de lui mettre à manger, j'allais commencer mon petit-déjeuner.

— Je... Comment va-t-elle ?

— Oh, elle est habituée à tes absences même si je vois bien que tu lui manques, et ne t'inquiète pas, je la bichonne depuis cinq jours. J'ai déposé une petite tranche de saumon dans une écuelle, ça lui a fait très plaisir.

Ma voisine s'occupe donc de la nourrir depuis mon amnésie. Comment a-t-elle su ?

— Par contre, tu ne m'as pas écrit dans ton message quand tu serais de retour. As-tu du nouveau ?

Je l'ai donc prévenue...

— Je... Je devrais pouvoir te dire sous peu. Merci Yvette.

— C'est avec plaisir tu le sais, et puis, c'est grâce à toi que je peux reposer mon dos à ne plus entasser mon bois pour l'hiver. Ah ! Ma bouilloire sifflote.

— Bon petit-déjeuner, je te tiens au courant très vite. Prends soin de toi.

— Toi aussi mon petit. Bonne journée, Bastien.

Je pose mes coudes sur le comptoir et ma tête entre mes mains. Je ferme les yeux pour essayer de retrouver ne serait-ce qu'un fragment de mémoire. Rien. Pourtant, je suis à même de détailler la journée du vingt et un mars avec précision. Fichues amnésies !

Je ne sais pourquoi, je remonte mes manches et observe mes bras sous toutes les coutures comme si je m'attendais à y trouver des marques d'aiguilles ou que sais-je encore. Pourtant je devrais le savoir, ma peau est aussi immaculée qu'à l'accoutumée. Je tâte mon cuir chevelu en quête d'une bosse ou d'une trace de trauma. Rien.

Soudain une main se pose sur mon épaule.

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