Je me suis sacrément pris la tête avec toute la famille cette fois, mais au moins j'ai repris le contrôle de la situation. Cyrielle est en sécurité, je peux me consacrer corps et âme à ma mission.

Le temps file et je n'ai pas l'intention de laisser mes proies s'échapper. L'ironie de ce qualificatif me frappe de plein fouet. Mes proies... N'étaient-ils pas mes prédateurs dans le passé ? Un sourire carnassier se peint sur mes traits, j'ai une brusque envie de leur tordre le cou, non sans leur avoir fait subir quelques heures de supplice en guise de préliminaire.

Je sens un contact appuyé et chaud contre mon bras. Je n'ai aucune idée de qui est cette gonzesse qui se frotte à moi et j'ai aucune envie de le savoir. Je la pousse sans ménagement et me casse de cet endroit coloré et poilu. Encore une idée de Tempérance, je présume.

Il me faut un moment pour me repérer. Bonne nouvelle, je suis quasiment revenu sur mes pas, je me trouve dans le bon quartier et tout près de l'immeuble. La nuit va bientôt tombée, je dois me dépêcher avant que la boutique ne ferme. Je n'ai aucune envie d'entrer par effraction, d'autant que les peines au Japon ça rigole pas.

Arrivé devant le building, je grimpe les marches extérieures quatre à quatre pour passer de nouveau le rideau derrière lequel la frustration et le manque sont assouvis à grand renfort de seins démesurés et de femmes mouillées. Quelques hommes dénudés occupent le devant de la scène mais ils se perdent au milieu des courbes féminines.

Le vendeur est pile devant la porte. Je tempête intérieurement. Il discute avec une cliente. Il jette un coup d'oeil dans ma direction. Merde, si je reste planter comme un gland, ça va finir par attirer l'attention. Obligé de prendre une lecture. Je tombe sur une femme, la culotte arrachée alors qu'un tentacule se dirige vers son lieu sacré. Comment ça peut donner envie de bander ?

J'ai beau avoir l'étiquette du persécuteur qui a trop longtemps fait souffrir ses proches, je reste incrédule face à l'attraction provoquée par de telles images. Et puis, si j'ai fait du mal à ma famille, c'était pour la protéger. Je sais qu'ils ont du mal à le comprendre, certains m'évitent même complètement. Il fallait bien que quelqu'un se dévoue pour envoyer bouler les prédateurs qui tentaient de mettre la main sur l'un des nôtres.

De toute façon, tout cela est remisé aux oubliettes du passé. Je me suis engagé à ne plus faire de mal aux miens et à retourner ma colère contre nos persécuteurs. Après tout, c'est eux qui doivent payer. Les éradiquer. Ainsi nous serons tous en sécurité et j'aurai protégé ceux qui me sont chers. Le rire de Cyrielle et ses pleurs se mêlent dans mon esprit. J'ai la sensation d'avoir tout mon corps plongé dans une eau glacée qui draine une sorte d'apaisement par l'endormissement des sens et une vive sensation de brûlure. Ce paradoxe est déroutant. Je dois vite m'en débarrasser pour ne pas me laisser distraire. Encore moins me faire émouvoir.

Je continue de tourner les pages en prenant soin de poser le moins possible le regard sur ces illustrations. D'une, cela m'écœure plus qu'autre chose, de deux cela pourrait raviver des souvenirs qu'il vaut mieux garder enfui. Je risquerai de tout péter autour de moi.

Ma patience finit par payer. J'ai la nette impression que le vendeur a des vues sur sa cliente, il la guide vers une étagère, la main posée possessivement sur son épaule. Elle ne semble pas s'en offusquer et hoche docilement de la tête au monologue que ce dernier lui débite.

C'est le moment ! Je me faufile jusque derrière le comptoir, tape le code et referme aussitôt la porte. Me voilà de retour dans cet antre damné.