Chapitre 16 - Oswald et Jonas

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Une sonnerie de téléphone.

La main du vendeur remonte d'un geste vif, je retiens ma respiration.

— Non, je ne pourrais pas passer ce soir, j'ai... autre chose de prévu.

Un court silence.

— T'as tout compris. J'ai réussi à lui faire acheter les deux premiers tomes, je pense qu'elle aura bien mouillé quand je vais arriver chez elle. Ouais, je vais prendre soin de ma cliente, t'inquiète. À plus !

Je lui foutrais bien mon poing dans la gueule. Mais ça impliquerait de le tuer ensuite. Discipline...

Il serait stupide de m'exposer et de prendre de tels risques pour du menu fretin. Je tente tant bien que mal de calmer la bête qui gronde en moi. Si elle me faisait face, je sentirais son haleine fétide souffler un vent chaud sur mon visage. Je sens une moiteur perlée sur mon front et humidifier mes mains. Le combat interne est intense, je dois lui montrer que je domine, sinon sa sauvagerie dévorera ma santé mentale en quelques coups de crocs. Je reste camper sur ma position. J'ai de plus en plus chaud. Une goutte roule sur la cicatrice de ma joue gauche. Soudain, l'animal recule et se tapit dans la caverne de mon subconscient. Je sens mes épaules s'affaisser d'un coup.

Un raclement de chaise.

Des pas.

Un claquement de porte.

Enfin seul.

Je patiente un bon quart d'heure après l'extinction des feux dans la pièce adjacente, au cas où ce débile aurait oublié un truc. Le silence est presque pesant, surtout quand je pense aux images qui m'entourent. Je retiens mon poing gauche de ma main droite. J'ai l'impression qu'une force a pris possession de mon corps et ce n'est pas la bête sauvage. Je transpire à nouveau tellement la lutte est acharnée. Je finis par mettre un violent coup sur le sol. L'onde électrique qui me parcourt me ramène au présent, à mon objectif.

Je me relève, envahi d'une douleur lancinante dans le bras, et retourne vers l'entrée de la pièce. Je tâtonne jusqu'à trouver le bouton salvateur. Dès que la lumière redonne vie à l'endroit, je m'avance vers le bureau et fouille méticuleusement le plan de travail puis les tiroirs. Je finis par mettre la main sur un calepin, on dirait un registre de ventes. Plusieurs noms, sûrement des pseudonymes reviennent régulièrement : Yuki, Goldorak, Le shogun,... Ce qui attire mon attention c'est la simple lettre qui se répète au fil des pages. Je l'ai déjà vu, elle était brodée sur ses mouchoirs, sur ses habits...

***

Il faut fuir cet endroit !

Je lâche le registre sur le sol. Un bruit mat retentit une fraction de seconde avant d'être recouvert par le silence. Tout mon corps souhaite arriver au plus vite à la porte puis redescendre les escaliers. Mais que dira Oswald s'il apprend que j'ai laissé ce tas de papiers ici ?

Je sens la peur réflexe de la proie fondre sur moi. In extremis, avant que mon corps se mette en branle de sa propre volonté, j'attrape le document et m'enfuit le plus loin possible de cet endroit. Je dévale les escaliers, manque déraper à plusieurs reprises. Je ne m'autorise aucune pause. J'ai l'impression qu'à tout moment les ombres du passé vont me rattraper. Je fonce dans l'artère principale, ma respiration devient sifflante. Tout à coup un choc. Je tombe par terre, les papiers glissent de mes mains.

— Désolé !

À quatre pattes, je récupère au plus vite le calepin et reprend ma course effrénée jusqu'à la première rame de métro. Je descends vers ce monde souterrain en me frayant un passage au milieu de la foule citadine de sortie ou de retour tardif d'une journée de travail. Je saute par-dessus les barrières. Je ne vois même pas les regards outragés qui se posent sur moi. Je cours. Le souffle me manque. J'accélère. L'ombre ne doit pas m'attraper !

J'entends l'avertisseur sonore résonner au moment où j'arrive sur le quai. Je saute alors que les battants se ferment. Je rebondis sur les corps d'autres passagers ce qui m'évite de m'étaler par terre. Je m'excuse tout en faisant une courbette.

Désolé Oswald, il fallait fuir.

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