Chapitre 25 - Oswald - Bastien

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— Bien. Vous allez devoir me faire confiance.

— Évidemment.

Qu'est-ce que je pourrais faire d'autre de toute manière ? J'ai commencé, alors autant aller jusqu'au bout.

— En êtes-vous certain ? Je ne vous apprendrais rien en vous disant que, malgré le nom péjoratif de votre rôle, vous êtes là pour protéger le système, j'ai donc besoin de votre confiance pleine et entière. Sinon, il est fort probable que je ne puisse accéder à aucun autre alter.

Cette fois, je le fixe dans les yeux. Longtemps.

Là, c'est un sacré pari. En même temps, je sais pas pourquoi je le sens bien ce gars-là. Et puis, une fois rentré en France, c'est pas comme si j'allais le recroiser tous les jours. Probablement jamais, en fait.

Archy appuie pour nous embarquer avec ce thérapeute.

— C'est entendu, je vous suis.

— Pouvez-vous m'indiquer ce qui vous amène ?

— Je...

Par où commencer ? Je ne sais pas dire ce qui est important ou non... Et merde, ça sortira comme ça doit sortir.

— C'est le bordel pour nous, en ce moment. On est plusieurs à savoir qu'on est pas seuls dans... ce corps. Mais l'hôte est dans le déni total et il commence à partir en vrille. On a besoin... J'ai besoin qu'il comprenne. Je vois pas comment on peut avancer autrement. Pour lui, et pour nous tous.

— Comment vous appelez vous ? Et comment s'appelle l'hôte ?

— Moi, c'est Oswald. Lui, c'est Bastien.

Il galère à prononcer nos noms, surtout le sien. Je me transforme en "Oswaldeuh" et pour Bastien, c'est tellement compliqué que je lui propose Bas' qui devient aussitôt "Basseuh". Dans un autre contexte, j'aurai sûrement éclaté de rire mais là, le coeur n'y est pas.

— Vous allez suivre ma voix, je vais vous guider.

***

J'ai toujours aussi mal à la tête. Et j'ai encore changé d'endroit ! C'est qui ce type en face de moi ?! Je comprends rien à ce qu'il me dit !

Je lui fais de grands gestes pour lui indiquer que je ne parle pas japonais. J'ai qu'une envie : m'enfuir, loin.

— English ? me demande-t-il avec gentillesse.

— Yes.

Il m'explique en anglais qu'il est là pour m'aider, me demande si j'ai des amnésies. J'acquiesce. Il poursuit en m'expliquant qu'il peut m'aider à y voir plus clair à ce sujet, il est hypnothérapeute. Mon angoisse diminue au fur et à mesure que nous échangeons. Je suis incapable d'expliquer pourquoi, mais je me sens en sécurité et en confiance avec lui. Et si je peux y voir plus clair dès maintenant concernant mes pertes de mémoire, pourquoi m'en priver ? Ce n'est plus vivable ! Je n'arrive même pas à rentrer en France pour commencer la batterie d'examens qui ne manquera pas de m'être prescrite pour tenter d'y voir plus clair.

J'ai quand même de sérieux doutes sur le fait qu'il puisse m'éclairer, mais j'arrive à la conclusion que cela ne me coûte rien hormis un peu de mon temps et six mille yens.

Ce n'est pas simple de parler de moi dans une autre langue et je vois bien que pour lui aussi l'exercice n'est pas aisé. Il commence par me demander ma situation professionnelle et familiale.

— Je travaille dans la logistique, je vis seul avec mon...

La sonnerie d'un téléphone retentit ce qui me coupe dans mon élan. L'hypnotiseur attrape son smartphone posé sur son bureau, regarde, s'excuse et décroche.

— Oui, dans le frigo, tu peux faire réchauffer. Je termine ma consultation et je rentre.

Mon palpitant bat la chamade. J'ai chaud. J'ai froid tout à la fois. Je m'attendais pas à celle-là, j'ai l'impression d'avoir reçu un coup de masse sur la tête. Je dois stopper ma main qui s'apprête à venir toucher la zone afin de vérifier la grosseur de la bosse. Elle a été plus rapide que mon cerveau, qui est parfaitement conscient que le seul choc subi vient de la nouvelle qui s'est abattue sur moi. Je... je parle japonais ?!

— Excusez-moi, ma fille.

C'est tellement sans dessus dessous dans ma tête qu'aucun son ne franchit mes lèvres.

Je vois une légère inquiétude dans le regard de mon interlocuteur.

— Est-ce que ça va ?

—Je... Je parle... japonais.

L'homme soupire, s'enfonce dans son fauteuil avant de me demander :

— Êtes-vous prêt à recevoir la vérité ? Quelqu'un de proche m'a demandé de vous aider à remettre de l'ordre dans votre esprit mais vous devez vous sentir prêt à affronter la réalité de votre situation.

Il me fout les pétoches d'un coup. J'ai un instant d'hésitation, fugace, car je sens comme un élan dans tout mon corps qui hurle d'accepter ce qui va m'être dit.

— Je vous écoute.

— Vos amnésies ont une explication logique et rationnelle. Elles sont... liées à un trouble, souvent difficile à détecter. Voulez-vous revenir sur votre enfance ?

— Non, j'ai besoin de savoir. Je ne sais pas ce qui m'attend mais je ne veux pas de gants. Je veux la vérité telle qu'elle est. S'il vous plaît.

Il me regarde puis entame un long monologue qui tournera des jours dans ma tête pour en saisir tout le sens et toutes les implications :

— J'ai peu de doute quant au diagnostic que je me permet de poser vous concernant. N'hésitez pas à aller faire des bilans auprès de professionnels spécialisés dans ce trouble spécifique, c'est important. Il y a encore de nombreuses méconnaissances à ce sujet. Vous êtes atteint de ce que l'on appelle un TDI, Trouble Dissociatif de l'Identité. Je... J'ai une personne de mon entourage proche touchée par ce trouble, raison pour laquel je suis... assez familier avec le sujet. Cela se met en place dans la prime enfance, on le situe vers les huit ou neuf ans à la suite de nombreux abus : sexuels, ou physiques ou psychologiques. Mais souvent combinés. Le cerveau, en mécanisme de survie, fragmente la personnalité afin de rendre supportable, si je puis dire, la réalité de l'enfant. C'est comme si plusieurs personnalités partagaient un même corps. Chacune peut prendre le contrôle, ou non, du système. C'est ainsi que l'on appelle l'ensemble des alters qui composent un même individu. Vous êtes, ce que l'on appelle l'hôte, c'est-à-dire l'alter qui prend le plus souvent le contrôle du corps. Cela explique les amnésies, la raison pour laquelle vous parlez et comprenez le japonais sans vous souvenir de l'avoir appris. C'est probablement l'un de vos alters qui l'a étudié alors qu'il était lui-même hôte.

— Comment suis-je arrivé ici ?

— L'un de vos alters voulait vous aider à prendre conscience de son existence ainsi que de celle des autres personnes du système.

— Puis-je communiquer avec lui ?

— Oui, cela s'apprend. L'hypnose est un bon moyen pour créer du lien entre vous.

— Combien je possède... Combien sommes-nous ?

— Je ne peux pas vous répondre aujourd'hui, il faut du temps, parfois des années, avant de prendre conscience de chacun des membres de la famille. Je préfère cette appellation à celle de système.

— Une famille ? Je n'en ai jamais eu...

Il me sourit avec une intensité qui bloque toute émotion qui pourrait survenir.

— Vous en avez une, et je peux vous aider à les rencontrer.

Sur le trajet du retour, je suis surpris de la facilité avec laquelle j'ai reçu toutes ces informations et du soulagement qui diffuse une douce mélodie dans tout mon être.

C'est en fermant la porte de ma chambre que je m'écroule. Les larmes inondent mon visage, mes habits, le sol. Des flashs envahissent mon esprit : une chambre spartiate et froide ; un homme asiatique en costume élégant, un H brodé sur la poche de son veston ; une décharge électrique de souffrance ; un homme blanc, le visage rubicond et le corps bien en chair...

Un long hurlement déchire le silence de la pièce.

On toque à la porte.

— Hey, tu vas la fermer !

Je me tais sans pour autantfaire tarir le flot de larmes.

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