Chapitre 33 - Oswald - Bastien

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Je m'installe au café face au bâtiment avec une vue dégagée sur l'escalier. Je diffuse du bon son dans mes oreilles et guette. La journée passe lentement mais cela me ressource plus que ça n'attise ma colère. Lorsque le ciel se voile d'un rose orangée, une silhouette attire mon attention. Je décide de m'approcher, capuche sur la tête, lunettes de soleil sur le nez. Un européen blond aux yeux clairs, c'est un phare allumé en pleine nuit dans les rues nippones.

Je reconnais aussitôt mon tourmenteur. Je sens dans l'instant mon corps réagir en véritable bête sauvage. Je suis tendu au possible, une suée humidifiant mes vêtements. Je combats de toute ma raison la furie qui veut s'abattre sur ce H. C'est long ! Eprouvant. Aliéanant.

Je finis par mettre la bête en cage, le souffle court.

Je me cache dans un angle mort et attends.

Ces quelques minutes paraissent durer bien plus que la journée de surveillance.

Finalement, il passe près de moi, sans me remarquer. Je le file. H monte dans une magnifique Toyota Crown, je hèle un taxi qui s'arrête aussitôt. La politesse japonaise l'empêche de me demander ce que je fais à suivre cette voiture. Tant mieux. Il ne dira rien non plus. Le civisme et la discrétion de ce pays s'avère bien utile.

Mon chauffeur est habile, malgré les feux rouges et un trafic qui se densifie en passant par Akihabara, il ne perd pas la cible de vue. Nous finissons dans l'un des quartiers les plus huppés de Tokyo, à ce que m'en dit le chauffeur. Il se gare à l'angle de rue suivant, je paie cash, propose de garder la monnaie. Mon interlocuteur refuse et je me dois d'accepter afin de ne pas vexer. J'espère que la voiture sera toujours là.

J'attends qu'il démarre puis je file observer le portail se fermer devant moi. La berline de luxe a été happée derrière de hauts murs. Trop tard ! En mêm e temps qu'aurais-je fait une fois dans l'enceinte, me tance Bastien.

Restons constructif. Je fais une photographie mentale de chaque caméra et de chaque élément qui me permettra d'imaginer un plan pour accéder à la villa. Je demande à Jonas de mémoriser à son tour, son côté paranoïaque percevra sûrement des détails imperceptibles à mes sens.

Bastien insiste pour être de la partie. C'est la première fois qu'il interragit avec nous alors on ne se sent pas de lui dire non.

***

Je reviens aux commandes du système. J'absorbe le plus d'éléments concernant l'habitation de ce H, toujours sans trop comprendre le pourquoi du comment. Je sens juste au fond de moi que c'est important. Vital.

La nuit tombe. Il est temps de rentrer.

Sur tout le trajet retour des flashs explosent dans mon esprit.

Bras et jambes attachés dans mon plus simple appareil, électrochoc. Je sens mon corps tremblé à ce souvenir.

Mon tonton qui me gifle violemment. Puis le baiser humide sur mes lèvres. Il me pardonne ma maladresse après m'avoir réprimandé. Mon moi enfant l'aime : il est mon univers. Mon moi adulte le hais : il est mon tortionnaire.

La terreur dans les yeux d'un autre enfant. Il sait que ses heures sont comptées. J'en ai la nausée. Je cherche ma respiration. Je m'écroule sur la vitre du métro. Je vais mourir. Bouffée salvatrice. Court instant de répit.

H dénudé. Et je comprends. Je comprends l'horreur de mon enfance morcelée, le déni, l'oubli.

J'alterne bouffées d'angoisse, crises de tremblements et brusques envies de vomir.

Le métro à peine arrêté, je me précipite à l'hôtel, ferme ma chambre à double tour et vide mon estomac dans les toilettes. Ai-je bien fait de vouloir connaître la vérité ?

Je sens la crise d'angoisse déferlée, violente, immense, ravageuse. J'attrape ma trousse de toilettes et enfile deux somnifères dans ma bouche, avalés à sec.

Tout oublier.

Avant de sentir le médicament salvateur couler dans mes veines, j'ai le temps d'attraper un crayon et de poser quelques mots sur ce qui lacère mon esprit à vif et me dévore :

Éclaté en milliers d'éclats de moi-même

Je suis brisé, compartimenté ; mon âme

Fragmentée. Le reflet dans le miroir blême

Ravive la douleur des mutilations. Je sens la lame

Déchirer ma chair, chaque lacération entaille

Mon intégrité : santé mentale éparpillée.

Bercé par un amour pervers, le poison distillé

Dans mes veines, à jamais ma faille.

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