27 novembre 2022
Le temps est le plus grand des voleurs parce qu'il vole le passé pour toujours. D'abord les détails, ensuite les souvenirs, jusqu'à ce qu'il ne nous reste que de lointains échos du monde d'avant.
27 novembre 2022
Les lumières de Londres formaient une mer d'étoiles brillantes, un écrin parfait pour le concert des Érudits. Les musiciens jouaient avec une intensité passionnée, synchronisant leurs mouvements avec la musique. Leurs doigts dansaient sur les cordes des guitares, les baguettes frappaient les peaux des tambours avec une précision presque militaire, et les touches du clavier glissaient sous des mains expertes. Chaque note, chaque accord était maîtrisé à la perfection, créant une harmonie musicale qui semblait toucher l'âme de chaque spectateur. Les mélodies envoûtantes remplissaient l'air, s'infiltraient dans chaque interstice, résonnaient dans chaque cœur, et la foule entière était en transe.
Devant la scène, la mer humaine était une entité vivante. Un fan, bras levés, se balançait en rythme avec la musique, son corps se mouvant comme une vague synchronisée avec les pulsations des basses. Son visage, illuminé par les éclats des projecteurs, montrait des expressions de béatitude pure, les yeux fermés pour mieux absorber chaque note, chaque vibration. Les cris de joie, les chants passionnés des paroles bien connues se mêlaient, formant un chœur puissant qui montait vers le plafond de la salle de concert.
La salle, majestueuse et imposante, baignait dans une pénombre délicate, propice aux rêves et aux émois. Les voûtes hautes et les balcons dorés conféraient un caractère presque sacré à l'endroit. Seules les lumières scéniques perçaient l'obscurité, éclatant en faisceaux multicolores qui zébraient l'air lourd de sons et de sueur. Les projecteurs balayaient la scène et le public, créant des ombres en mouvement, des silhouettes fugaces dans un jeu d'ombres et de lumière, comme une danse effrénée entre le clair et l'obscur.
L'excitation était palpable, électrisant l'atmosphère. Chaque battement de tambour, chaque riff de guitare accentuait cette intensité vibrante, comme si l'air lui-même frissonnait sous l'effet de la musique. La tension montait et descendait en vagues, s'accordant aux crescendos et aux accalmies des morceaux. Le jeune homme, entièrement captivé, se laissait porter tel un courant électrique, vibrant à chaque pulsation, chaque note. Matthew, le chanteur charismatique des Érudits, se tenait au centre de ce maelström d'émotions, une figure magnétique qui attirait tous les regards. Les notes de sa voix chaude et puissante résonnaient dans la salle, transcendantes, en parfait accord avec les instruments. Il observait les visages éclairés du public, ses yeux brillants d'excitation et de fierté. Il réalisait son rêve, et le partageait avec chaque âme présente, ressentant cette connexion profonde avec eux. Ce soir, la musique n'était pas simplement une performance, c'était un lien qui unissait tous les présents dans une euphorie collective, une communion des âmes sous les voûtes dorées de cette salle de concert enchantée. Perdue dans la mêlée, Hailey sentait son cœur pulser en harmonie avec les battements de la musique. Une vague de joie et de fierté la submergeait alors qu'elle posait son regard admiratif sur les membres du groupe. Elle était consciente de toutes les heures de travail acharné et de dévouement qu'il avait fallu pour en arriver à cette apothéose. Elle ressentait une profonde connexion avec eux, une famille qu'elle avait acquise grâce à Matthew. Elle se sentait honorée de partager ce moment avec lui, de le voir franchir une nouvelle étape de sa carrière, ayant suivi leur ascension depuis le début. Elle se sentait enveloppée par cette énergie positive. Elle savait que cet instant, ce concert mémorable à Londres, resterait à jamais gravé dans leurs mémoires. Hailey éprouvait une sensation d'euphorie indéfectible. Elle était à la fois spectatrice et actrice de ce moment incroyable, son esprit s'enivrant de la magie de la scène. Elle ressentait une profonde gratitude d'être aux côtés de Matthew, de le voir se surpasser sur scène et de partager son bonheur et son succès. C'était un rêve devenu réalité pour eux, et Hailey savourait chaque note de musique comme une caresse sur sa peau, chaque cri de la foule comme une vague d'admiration qui la portait à son tour, chaque sourire complice échangé avec Matthew, comme une promesse d'avenir radieux. Ce concert à Londres était bien plus qu'un événement musical ; c'était une démonstration de détermination, de persévérance, et de l'amour profond entre Hailey et Matthew. La musique les avait unis, et cette soirée inoubliable était une célébration de tout ce qu'ils avaient accompli ensemble. À la fin du spectacle, l'euphorie régnait toujours dans les coulisses. Tous étaient en effervescence, échangeant des rires et des accolades, désireux de prolonger ces instants magiques. Hailey, emportée par la fougue du moment, se laissait bercer par le rythme cardiaque de la salle, sentant la musique pulser dans ses veines. Elle fermait les yeux un instant, laissant chaque son imprégner son âme, chaque vibration la rapprocher de quelque chose de plus grand que soi. Le monde autour d'elle semblait tourner au rythme de cette symphonie urbaine, un hymne à la vie qui résonnait inlassablement en elle, restituant l'essence des heures investies, des espoirs et des rêves partagés avec Matthew et le groupe. La mélancolie du temps qui s'écoulait était loin d'elle ; pour l'instant, la musique était éternelle, et Hailey se laissait emporter par cette éternité. Alors que l'enthousiasme de la soirée battait son plein, l'insouciance flottait dans l’air comme une mélodie persistante. Hailey, emportée par la vague d'allégresse qui déferlait autour d'elle, sentit soudain son téléphone frémir dans la poche de sa veste. Les vibrations brèves lui causèrent un frisson d'anticipation. Peut-être un message de félicitations supplémentaire, songea-t-elle, un sourire en coin. Mais alors qu'elle écartait délicatement Matthew pour se frayer un chemin à travers la foule, la réalité tourna brusquement. Sa main plongea dans la poche, et elle ressortit l'appareil qui semblait à présent si lourd et si menaçant. Elle porta le téléphone à son oreille, son cœur battait la chamade, vibrant à l'unisson avec les notes finales qui résonnaient dans la salle. Sa joie, ce nuage de bonheur liquide, s'évanouit comme l’écume au contact des paroles à l'autre bout du fil.
— Hailey, c'est Sami... Jules... Il a eu un accident de voiture. Il est dans le coma, dit la voix à travers le téléphone, apportant un ouragan de réalité au cœur de son rêve.
Son monde s'arrêta de tourner, et elle se figea, droite comme une statue dont la base venait d'être érodée. Le bruit de fond, cette cacophonie festive et rieuse, devint un murmure distant, presque irréel. Les lumières qui scintillaient autour d'elle se fondirent en un halo trouble. Sa poitrine se serra, le souffle lui manqua, la stupeur mêlée d'angoisse griffa son visage autrefois rayonnant. Les membres du groupe et Matthew, en repérant le contraste violent entre l'Hailey radieuse d'il y avait quelques instants et cette version subitement blême et tremblante, se précipitèrent vers elle, leurs visages marqués par l'inquiétude et la confusion.
— Hailey ? Qu'est-ce qui se passe ? Demanda Matthew, la voix encombrée par la préoccupation, glissant sa main autour de ses épaules pour la soutenir. Elle les regarda, ses yeux écarquillés et humides parlant avant même que les mots ne franchissent les trémolos de ses lèvres.
— C'est Jules... Il a eu un accident... Il... Il est dans le coma, parvint-elle à articuler enfin, sa voix un fil de soie prêt à se déchirer à la moindre secousse.
Le silence s'abattit sur eux comme un drap froid, un silence lourd, aux contours aigus. Matthew enlaçait plus fermement Hailey, tandis que les autres membres du groupe se rapprochaient, comme pour former un bouclier autour d'elle, un rempart face à l'impensable. Hailey sentait les larmes poindre, des larmes qui peinaient à se frayer un chemin à travers le chaos de ses émotions. Sa peine se mélangeait à un sentiment d'impuissance. Elle savait qu'elle devait agir, partir, se précipiter au chevet de Jules, mais le sol semblait s'effondrer sous ses pas. Elle devait être forte, mais la tâche lui paraissait insurmontable. Matthew semblait comprendre sans qu’elle lui dise davantage, il la serra encore plus fort.
— Je serai là pour toi, Hailey. Quoi que tu aies besoin, murmura-t-il avec une douceur qui tranchait avec la cacophonie environnante. Elle hocha la tête, plongeant son regard dans le sien, lui offrant un semblant de gratitude qui se perdait dans la douleur. Les membres du groupe, soudés dans cet instant de détresse, murmuraient des mots de soutien, des promesses ténues qu'ils espéraient consolatrices. Dans la confusion des émotions, Hailey vacillait entre une profonde détresse et la nécessité impérieuse d'être présente pour Jules. Elle devait desserrer l'étreinte des regrets et se plonger dans l'action : quitter le lieu de ses triomphes, mettre de côté ce bonheur éphémère pour faire face à l'inattendu, à l'urgence. Alors que la salle continuait d’échoir les festivités, Matthew la guidait loin des regards. Ils préparaient dans une précipitation fébrile le départ de Hailey, un départ où chaque seconde semblait compter double. Elle s'accorda un dernier regard en arrière, et la musique, autrefois une source d'exaltation, était désormais le fond sonore d'une réalité très différente, teintée de peine et d'incertitudes. Quelques heures plus tard, Hailey se retrouva de retour chez elle à Villebrouch-sur-Mer. Les rues tranquilles formaient un contraste saisissant avec l'agitation frénétique de Londres. Envolé le vacarme de la ville, ici régnaient silence et sérénité. Debout devant le miroir, elle était tiraillée entre l'hésitation et la résolution. Choisir une tenue pour cette réunion devenait une pièce de théâtre où chaque vêtement représentait un personnage.
Avec un sourire ironique à son propre reflet, elle avait finalement trouvé sa paix dans une robe jaune pastel, simple mais élégante, suffisamment subtile pour souligner sa silhouette sans révéler ses intentions. En parfaite harmonie avec ses Converses noires, précieuses reliques d'une enfance révolue où le mot "Forever" semblait défier le temps.
Le trajet en avion de Londres à Villebrouch-sur-Mer avait été un ballet d'émotions contrastées : la nostalgie du concert triomphant, l'écho lointain des applaudissements, et l'inquiétude grandissante pour Jules. Assise dans son fauteuil, les yeux perdus dans le vide aérien à travers le hublot, Hailey avait senti une lourdeur oppressante l'écraser. Sa poitrine s'était serrée à chaque pensée de Jules, immobile dans un lit d'hôpital, son esprit combattant dans le silence d'un coma. L’air pressurisé de la cabine était devenu une métaphore de son état intérieur : un espace confiné où l'air manquait, où l'inconfort s'imposait sans pitié.
***
Lors de sa visite à l'hôpital, Hailey avait croisé le personnel en blouse blanche se hâtant dans les couloirs, symboles d'une urgence permanente. Les visages des médecins exprimaient un mélange de fatigue et de détermination. Elle s'était approchée de l'un d'eux, qui lui avait donné des nouvelles de Jules avec un mélange de professionnalisme et de compassion.
— Repassez demain, lui avait conseillé doucement le médecin. Nous devons attendre et observer sa réaction au traitement.
Hailey avait hoché la tête, les mots résonnant dans son esprit avec la lourdeur de l'incertitude. Les lumières de l'hôpital, blafardes et stériles, différaient tellement de celles sous lesquelles elle et Matthew avaient brillé à Londres.
Elle avait quitté l'établissement, les portes coulissantes s'évaporant derrière elle, comme pour clore temporairement l'épisode hospitalier. Les pensées sur l'état de Jules l'avaient accompagnée dans un silence qui résonnait jusque dans le taxi qui la ramenait à son domicile.
Elle se tenait maintenant devant la porte de l'appartement qu'elle partageait avec Matthew, tentant de rassembler le courage nécessaire pour affronter la situation qui l'attendait. La douleur qui lui serrait l'estomac était incommensurable. Alors qu'elle glissait la clé dans la serrure, une voix familière l'avait fait sursauter. Lùca était là, sur le seuil de sa porte, la scrutant avec des yeux chargés d'inquiétude.
— Lùca…
Sa voix s'était cassée, devenant un murmure fugace qui semblait emporter avec lui tout le poids des non-dits accumulés. Le choc des retrouvailles avec cet ancien amour avait fait battre son cœur avec une violence qui lui était presque étrangère, comme si les battements se synchronisaient avec la danse incertaine de leur relation. Cette brève rencontre, intense et inconfortable, avait été marquée par l'ombre de ce qui avait été et de ce qui aurait pu être.
D'un pas chancelant, Hailey avait franchi l'espace qui la séparait de Lùca, sa main tremblante cherchant son épaule tandis que sa tête cherchait instinctivement le réconfort à l'abri de son cou. Lui, tourmenté par la complexité de leurs émotions passées, ne l'avait pas repoussée. Et pourtant, ses bras étaient restés étrangement neutres, privant Hailey du soutien qu'elle espérait, de cette connexion qu'autrefois ils partageaient sans hésitation. Lùca, homme qu'elle osait encore nommer ami, s'était figé dans une neutralité qui semblait gravée dans la pierre, sa tension interne palpable. Enfin, il avait brisé le silence qui pesait lourd entre eux.
— Comment vas-tu ? avait-il dit, la voix chargée d'émotion.
Il avait expliqué à Hailey que Charlie avait organisé une petite soirée pour redonner des couleurs à l'âme attristée d'Emma, l'épouse inquiète de Jules. Dans les yeux rongés par l'incertitude de Hailey, une étincelle fugace de détermination était apparue ; elle avait hoché de la tête, pleine d'une compréhension muette, et l'avait suivi.
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