Point de vue Inconnu 15 décembre 2022

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Point de vue Inconnu

15 décembre 2022


L’amour était un mystère. Parfois, c'était un souffle chuchoté qui pouvait tout consumer en un instant. Ou alors un message sur le téléphone de son ex que j'avais laissé soigneusement visible.

Submergée par la révélation qu'elle avait déclenchée, elle avait fui, sans un mot d’explication, délaissant même le déjeuner qu'elle avait planifié avec Sami. Pendant ce temps, Sami la noyait sous un flot incessant de messages inquiets depuis plus d’une heure. C’était un mystère pour moi qu'elle n'ait pas encore choisi de mettre en silence cet incessant rappel.

Après deux ans tissés de chimères et de fraudes, elle avait enfin compris l’impossibilité de continuer à manipuler l’avenir. Refusant désormais de subir en silence, elle se dressait, intrépide, face aux tempêtes à venir. C’était à cet instant précis que je retrouvai l’éclat de la femme qui me faisait craquer. Peu importait si nos destins semblaient écrits, si nous étions uniquement les pantins d’une trajectoire prédéfinie — une idée à laquelle j'étais jadis résigné.

Sa détermination la mena à l’abri de ses réflexions, dans ce sanctuaire de calme et de sérénité qui l’avait si souvent apaisée. Telle une sculpture minutieusement façonnée au fil des jours, elle prit enfin la décision qui devenait inévitable — celle que, dans l’ombre, j'attendais avec une patience feutrée. L’heure propice que j'avais baptisée avec un certain recueillement : mon instant de vérité.

J'avais découvert que la véritable force n’était pas seulement physique. Elle résidait dans la capacité à comprendre les autres, à percevoir et à décrypter leurs désirs cachés. Il fallait beaucoup de patience et un contrôle de soi pour trouver cette faille chez l’autre. Cela pouvait être un désir, une phobie, l’objet de son amour, un secret inavouable, une culpabilité… Pour quelqu’un comme elle, cette brèche était bien plus difficile à trouver, mais tout le monde avait un talon d’Achille. Connaitre les secrets inavouables de quelqu’un signifiait pouvoir le manipuler, le doubler ou même le saboter. Et j'étais doué, vraiment très doué. Très jeune, j'avais compris que même nos amis pouvaient devenir nos ennemis et qu’il valait mieux avoir une longueur d’avance.

C’était tellement mystérieux, l’Amour. Un mot n'était qu’un mot, juste un mot. Un ensemble d’adjectifs défilait dans sa tête, mais aucun ne reflétait réellement ce qu'elle éprouvait. Trahie de nouveau, elle se promit que cette fois-ci serait la dernière. Je la voyais assise sur ce banc, dos aux arbres blanchis, sa tristesse l’engloutissant à chaque battement de cœur. Elle dissimulait son chagrin en arborant un masque impassible. Elle s'imaginait sûrement que personne ne le remarquerait. Mais, je la connaissais, je pouvais voir à travers son jeu. Je l'observais frénétiquement écrire dans son journal, déchirer une ébauche après l’autre de cette lettre qu'elle ne savait comment adresser.

Promenons-nous dans les bois…

Pendant que le loup n’y est pas…

Un frisson lui parcourut le dos lorsqu'elle perçut une comptine étrange, s’enfonçant avec insistance dans l’atmosphère autour d'elle. Elle ferma brusquement son journal, laissant s’échapper une feuille qui tomba sur le sol. Je la ramassai discrètement, la gardant pour le moment où elle me serait utile. Elle savait manier les mots, ma douce. Après avoir lu la lettre, j’ignorais quel genre de folie elle comptait faire. Dans les profondeurs de son sac, elle échangea son journal, l’un des rares cadeaux utiles qu'il lui avait faits, pour un appareil photo. Tout en soupirant bruyamment, elle se redressa, déterminée à percer mon mystère. Cette chanson douce qui, pourtant, semblait être une mise en garde. Je trouvais bien plus amusant d’ajouter des éclats de rire d’enfants.

Si le loup y était…

Il nous mangerait…

En toute insouciance, elle continua son chemin, ne s’arrêtant que pour saisir quelques photos. L’une de ses nouvelles passions consistait à capturer des instants. À ses yeux, une image bien prise ne saurait mentir, au contraire. Elle avait toujours aimé capturer les moments, comme s’ils révélaient des secrets autrefois bien cachés. Il lui avait offert cet objet sans réaliser l’impact qu’il aurait sur nous. Je l'avais toutefois prévenue, ma belle. Certaines choses devaient rester enfouies. Comme cette photo d’eux dans un moment intime qui fut la goutte qui avait fait déborder le vase.

Promenons-nous dans les bois…

(Je guettais le moindre de tes faits et gestes, mon amour.)

Elle ne m’entendait pas, évidemment. En bon petit Chaperon Rouge, elle ne se rendait pas compte du danger et nous continuions chacun notre chemin. Elle était triste et tourmentée. J'étais tendu et empli d’adrénaline. Le chasseur et sa proie. J'étais à l’affût du moindre changement d’air, des vols d’oiseaux ou encore du bruissement des feuillages. Elle aurait pu, une fois encore, changer d’avis et s’en retourner les rejoindre. Chose qui me contrariait beaucoup, car aujourd’hui, nous étions dans l’une des rares fois où je n’avais aucun contrôle sur la situation. J'aperçus la rivière, aussi calme et lisse que pouvait l’être un cours d’eau en ce début d’hiver. Et nous continuâmes sur le chemin. J'étais suffisamment proche pour entendre les clics du capteur de merveilles et elle, les craquements des brindilles restantes, cachées sous la neige, qui annonçaient une présence.

Promenons-nous dans les bois…

Pendant que le loup n’y est pas…

(J'étais là, devant toi.)

Soudainement, j'étais devant elle et son regard s’élargit, manifestement choqué. Elle n’avait pas anticipé cette rencontre, et les révélations subséquentes bouleversèrent tant sa compréhension de la situation que son sens de l’identité. Elle avait une stature moyenne, des cheveux bouclés taillés en un court carré qui encadraient avec éloquence son visage. Et une teinte rousse qui, à mon sens, sublimait sa peau claire, ses lèvres légèrement rosées et ses yeux en amande qui portaient la couleur changeante de la noisette. Cependant, ces détails étaient ineptes — un embellissement frivole à notre récit.

Un silence nous enveloppa un moment, seuls les battements irréguliers de son cœur troublé brisant la quiétude de cette scène suspendue dans l’instant.

Promenons-nous dans les bois…

Pendant que le loup n’y est pas.

Si le loup y était.

Il nous mangerait.

(Il était trop tard.)

Pardonne mon approche, Hailey, mais il était impératif qu'elle me suive sans tumulte. Rapidement, elle s'évanouit. Sa chute était souple, ses cheveux éparpillés sur l’épaule improvisée que je lui fis, tandis que je récupérai son sac tombé avec une célérité perturbée — soucieux de chaque fragment d'elle.

La nuit engloutit nos silhouettes dans son opaque étreinte. Je la transportai à travers l’enceinte du bois, où les flocons de neige commencèrent à danser avec lenteur, dissimulant nos traces, les transformant en mémoire floue de notre passage. Là où nous allions, personne n’avait besoin de la retrouver.

La chanson se dissipa dans l’air frigorifié, l’écho d’un ancien mystère qui restait entre les mains prudentes du destin.

C’était tellement mystérieux, l’amour. Le lendemain, elle se réveilla en sursaut, une sensation d’effroi parcourant son corps. Son dernier souvenir la ramena à cette forêt, avec les arbres blanchis encerclant son chemin. Sa vision tournait légèrement, et un vertige désagréable l’envahit lorsqu'elle se leva. La vision d’une robe légère en remplacement de ses vêtements la surprit. Elle se sentit perdue et confuse, cherchant frénétiquement des indices pour nier cette étrange réalité, clignant des yeux à plusieurs reprises dans l’espoir de se réveiller chez elle ou aux côtés de Matthew. Cependant, aucune issue ne se présenta, plongeant son esprit dans une inquiétude grandissante.

J'observai tes réactions depuis la caméra fixée au plafond. Je connaissais ta réticence à la nouveauté, d'où cet endroit. J'avais mis quelques années à le peaufiner et j'espérais qu'il serait à la hauteur de tes attentes. Tu ne devrait pas trop abîmer tes cordes vocales ; ce sous-sol était complètement insonorisé. Tu observais le plafond pour narguer la caméra et son faisceau rouge, signalant sa mise en marche. Tu leva ton majeur en signe de défi, mais c'était une tentative pitoyable pour te rassurer.

— C'étaient quoi ces conneries ?

Je savais ce que tu te disait : « C'est sans doute une mauvaise blague, on va venir m'ouvrir d'ici à un moment… ». Navré, ma puce. Personne ne viendrait jusqu'ici. Jamais. Elle s'en apercevrait bien assez tôt. Ses paroles réconfortantes étaient vaines. Encore étourdie, sa tentative de se relever se solda par une chute douce, et elle finit par s'asseoir, massant ses chevilles avec hésitation.

— Qu'est-ce que c'est que cette chaîne, putain ? J'avais l'air d'un clebs ou quoi ?

La rage s'empara de ta voix tremblante tandis que tu inspectais avec incrédulité la lourde chaîne cliquetant sinistrement autour de ta cheville. Ta rage camouflait ta terreur, c'en était touchant. Tu étais toujours aussi amusante, mon ange. Là où d'autres se seraient horrifiés et auraient eu du mal à garder leur calme, tu prenais ça d'une manière bien trop légère, ce qui me surprenait d'autant plus. Finalement, tu te redressa avec détermination et commença à explorer la pièce, cherchant en vain ton sac, objet auquel tu tenais beaucoup.

Tu devait savoir qu'on en apprenait beaucoup sur une personne en examinant le contenu de son sac. J'avais pu m'en apercevoir à plusieurs reprises.

Au fond, s'y trouvaient les choses les plus importantes, celles qui n'en sortaient jamais ou très rarement. Des objets que tu qualifiais de vitaux, à tort. Ton appareil photo, ton cahier d'écrits et tes stylos favoris. Je n'avais connu personne d'autre qu'elle avec cette capacité. Avoir des stylos préférés, c'était saugrenu ! Mais cela te ressemblais bien, princesse. Venaient ensuite les objets de la vie courante, ceux qui te définissaient aux yeux du monde : ton portefeuille désespérément vide, ta carte d'identité et tes clefs. J'avais pris soin de jeter tes photos, qu'elle ne s'inquiète pas.

Tu continuais son inspection, mais tu ne voyais rien. Cet endroit était sombre et humide. Assez grand pour contenir une petite table avec une rame de papier et tes stylos favoris, ainsi qu'une chaise bancale. Tu m'excusera, mais c'était ce qui se passait quand on fixait du bois dans un sol de béton. Tu avais sans doute remarqué que tu étais sur un lit des plus confortables. Le sommeil était une chose importante, c'était pour cela que j'avais choisi de t’offrir ce matelas Bultex coûteux, celui-là même que tu convoitais lors de notre dernière visite en magasin.

Il n'y avait aucune fenêtre, tu n'en aurais pas besoin. Le peu de lumière filtrait par cette énorme porte en bois, qui, tu l'apprendrais bien assez tôt si tu restais sage, cachait un couloir muni d'une pièce contenant une petite douche, à laquelle tu n'avais bien évidemment pas accès, suivie d'une vraie porte. Les murs de la pièce semblaient être faits de briques. J'hésitais entre deux modèles : la plaquette de parement pierre naturelle multicolore élégance et celle en pierre naturelle beige/grise élégance. Tu trouvais la première plus amusante, originale. Je présumais qu'elle te plaisait autant que ce jour-là, à Leroy Merlin. Cela te rappellerait notre crise de rire interminable pour une raison des plus minables ! Amanda et ses manies. Elle ne nous gênerait plus, qu'elle en soit sûre.

Ce jour fatidique où Lùca t'avais baisée verbalement en la choissisant elle, se dessinait dans ta mémoire avec une netteté tranchante. Chaque détail, chaque émotion, tout était inscrit dans les recoins de son esprit comme une fresque indélébile. C'était une journée grise, le ciel alourdissait l'horizon de sa couverture nuageuse, parfaitement en phase avec la tempête émotionnelle qui se préparait en elle.

Lùca et toi avaient prévu depuis longtemps cette sortie. Une promesse de répit dans leur relation tumultueuse, un rituel pour raviver la flamme vacillante de leurs sentiments. Mais le matin même, une tension imperceptible planait dans l'air dès le petit-déjeuner. Les discussions, pourtant anodines, prenaient une tournure acrimonieuse, chaque mot devenant une braise susceptible d'enflammer le moindre désaccord. Ils avaient commencé à se quereller sur des banalités qui, sous bien d'autres circonstances, auraient suscité des rires, mais cela ne serait pas le cas ce jour-là.

À mesure que la dispute enflait, le ton s'éleva, perçant le murmure tranquille de leur quotidien devenu instable. Les accusations volaient bas, traversant la pièce avec une rapidité foudroyante, chaque phrase frappant l'égo et la confiance de l'autre. Lùca, d'ordinaire calme et posé, laissait apparaître une facette de lui qu'elle connaissait que trop bien — un côté qu'elle redoutait et espérait pouvoir changer. Il semblait qu'à chaque cri, une partie de leur histoire commune éclatait, dispersée comme des cendres au vent.

Finalement, Lùca, après un silence pesant qui sembla durer une éternité, recula dans une posture défensive. D'un geste impatient, il balaya l'air de sa main, comme pour chasser des mots trop lourds pour être supportés. Son regard, qui autrefois la réchauffait par sa douceur, devint de glace, une barrière insurmontable dressée entre eux. « Je ne peux pas », murmura-t-il, avant de tourner les talons. Sa silhouette se faufilant dans l'embrasure de la porte la laissa avec un sentiment de vide abyssal.

Elle l'observa partir, ses pas résonnant comme un écho funeste de ce qu'ils avaient perdu — et de ce qu'elle pressentait irrévocablement détruit. Au départ, elle se persuada que ce n'était qu'une tempête passagère, un nuage noir vite dissipé par le souffle du renouveau. Mais, au fond d'elle, quelque chose s'était irrémédiablement fissuré. Cette dispute avait été le point d'orgue d'une collection de désaccords, la faille définitive qui menaçait de les engloutir.

Lorsque tu te retrouvas seule, la maison sembla subitement immense et vide, environnée par cette même grisaille extérieure qui avait envahi ton cœur. Ce que vous aviez envisagé, ce moment de réconciliation, était devenu une chimère fuyante, et toi, restée en arrière, n’avais d’autre choix que de faire face à ce désert de solitude et d’incompréhension. Pourtant, quelque part au fond de toi, une étincelle persistait — un désir de comprendre, de pardonner et de reconstruire.

Ce souvenir, tu l’as gardé précieusement, comme un rappel douloureux des complexités de l’amour, et tel un étendard, peut-être guiderait-il tes pas vers d’autres chemins, d’autres choix plus sains et plus sereins.

Au fond se trouvait le vieil escalier rongé par le temps que j'avais récupéré l'air de rien au Café. Ils comptaient le brûler, tu sais. En prenant appui sur le mur de pierre, tu montais lentement les marches et, arrivée en haut, tu cherchais en vain la poignée. Désolé, mon Amour, cette maudite porte, comme tu le hurlais, était fermée de l'extérieur. Tu n'étais pas suffisamment sage. Regarde-toi. Tu manquais de force, et pourtant, tu te mettais à gémir sans raison. Bon, peut-être pas sans raison : de ton point de vue, tu étais enfermée, on ne savait trop où, probablement perdue au milieu de nulle part et loin de toute civilisation. Ce n'était pas tout à fait juste, ma chérie. Et baisse d'un ton, tu me donnais mal à la tête. Je répondrais à tes questions au moment que je jugerais opportun. Où était donc passé ton détachement, l'impassibilité qui t'animait tout à l'heure ?

Je m'agacais lorsque tu commençais à hurler de frustration et à gémir bruyamment. Arrête de gueuler comme une truie, putain de bordel de merde ! Regarde ce que tu me faisais faire ! Un bruit sec retentit dans la pièce lorsque ma main heurta brusquement la table. Le résultat ne se fit pas attendre : ma tasse préférée bascula et s'écrasa violemment, libérant un fracas de débris. Tu allais payer pour ça, et ce n'étaient pas ces horribles cris d'incompréhension colérique qui t'aideraient, sache-le. Calme-toi, tu frôlais l'hystérie. C'était seulement moi, ton âme sœur.

Tu te recroquevillais sur toi-même, au plus loin sur le lit, même si cela te blessait un peu plus le pied enchaîné. Tu n'avais plus rien de différent de toutes ces autres petites putes, finalement. Tu étais maintenant terrorisée. La gorge nouée, tu pensais certainement que tu allais suffoquer. Respire, mon Amour. Voilà, comme ça. Prends une grande goulée d'air, inspire profondément, puis expire le plus calmement possible et recommence. Des larmes coulaient le long de tes petites joues et des sanglots s'échappaient. Mon joli petit hamster bouffi. Tu tentais de les contrôler, tu ne voulais pas abandonner la partie, mais tu ne comprenais pas l'inutilité de ta réflexion. Je restai indécis. Devais-je venir t'aider à contrôler les tremblements qui te prenaient, alors que cette vision de toi m'excitait d'autant plus que je te connaissais ? Tu serais difficile à briser, ma bouleversante amie.

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