Chapitre 18

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Le retour au village s’avère bien plus long que prévu. Nous devons nous arrêter à plusieurs reprises : faire le point sur notre route, réparer une des voitures dont le moteur rend l’âme dans un râle d’agonie, et surtout, faire une halte dans cette maison… celle où ils ont trouvé la femme. Décidément, pas un jour ne passe sans que quelque chose ne vienne entraver notre avancée…

Lorsque nous arrivons sur place, plusieurs de mes hommes se dispersent, certains pour fouiller les environs immédiats, d’autres pour inspecter les bois à proximité. De mon côté, je pénètre à l’intérieur de la maison.

Elle est modeste, mais pas minuscule. Cinq personnes pourraient y vivre sans se marcher dessus, du moins, si la maison était en bon état. Or, ce n’est clairement pas le cas. L’étage est bien abîmé et menace de s’effondrer : Le toit est percé en plusieurs endroits, laissant le froid et la lumière filtrer en faisceaux poussiéreux. Les seules pièces plus ou moins entretenues sont la cuisine, rudimentaire mais propre, une minuscule salle de bain carrelée de blanc jauni, et la cave.

Je renifle l’air avec attention et remarque que l’odeur de la femme est beaucoup plus forte dans la cave. Une fragrance qui mélange le bois froid, le cuir vieilli des livres, le papier, l’encre… et une touche douce et sucré de vanille, sans doute celle d’une bougie. Intrigué, j’ouvre la porte grinçante et descends les marches.

La cave est plongée dans une obscurité presque totale, à peine troublée par les rayons de lumière provenant de l’étage. Mon regard de loup s’accoutume vite et je vois d’innombrables livres entassés dans des bibliothèques, au sol et sur une petite table. Au fond, un vieux lit en bois, un balai usé abandonné près du mur à ma gauche et à ma droite, un petit tas d’habits usés trône sur une chaise à ma droite, étonnamment larges même pour moi.

Une odeur de sueur, discrète mais tenace, dénote du reste. Un mélange entre l’odeur de Owen, Clarsch et de cette femme. Être ici me perturbe. Je ne saurais dire pourquoi, mais mes sens sont perturbés alors que les odeurs les plus fortes sont celles du bois et de la vanille.

Alpha, nous n’avons rien trouvé dans la forêt. S’il y a eu du passage, cela doit dater de plusieurs mois. L’odeur de la femme s’arrête net à l’endroit où elle a dû être capturée. M’informe l’un de mes subordonnées, par le lien de la meute.

Bien, nous partons. On a suffisamment trainé ici. Répondis-je.

Rester plus longtemps ne servirait à rien. Ce genre de lieu ne mérite pas plus d’attention que nécessaire.

Je remonte les marches sans un mot, referme la porte derrière moi et m’installe dans la voiture. Sans tarder, nous reprenons la route en direction du village.

Le moteur de la voiture agonise une nouvelle fois, contraignant tout le convoi à s’arrêter pour la nuit. Le froid mord et nous avons faim, alors nous faisons un feu, loin de la route et à l’abri.

Je m’éloigne un instant, je les entends rire, chuchoter, se chambrer. Une fois loin de la rigueur des missions, la joie et la tranquillité reviennent.

Fabien lâche une remarque moqueuse à propos de Jill qui réplique avec le sourire en coin. Même les plus renformés et discret du groupe se détendent un peu.

Après quelques minutes je reviens de mon moment intime avec mère nature. Je finis par les rejoindre et m’assoie sans un mot. Ils me laissent une place près des flammes. L’un d’eux me tend un bol de soupe instantanée et une brochette, que j’accepte avec plaisir.

Plus tard, alors que tout le monde dort ou monte la garde, je m’éloigne une nouvelle fois et compose un numéro que je connais par cœur.

– Tu vas encore me dire que tu n’as pas le temps de dormir ? Répond une voix familière.

Un sourire furtif étire mes lèves. Elle me connait trop bien.

– Tu sais que je dors peu. Je voulais juste entendre ta voix et être sûr que tu ailles bien.

Elle soupire doucement mais je sens qu’elle sourit malgré tout, inquiète.

– Prends soin de toi frangin… Et surveille bien tes gars, ils te suivraient dans n’importe laquelle de tes folies.

– C’est moi qui les retiens quand ils dépassent les bornes, crois-moi.

Un silence complice puis sa voix s’adoucit.

– La prochaine fois, utilise le lien au lieu de t’embêter avec le téléphone. Et…rentre entier, d’accord ? Tu t’inquiètes pour moi mais tu ne penses même pas au fait que moi aussi je m’inquiète pour toi. Tu tire trop sur la corde ces derniers temps.

Je fais la moue, les yeux rivés sur le ciel étoilé.

– J’y compte bien. Une fois tout cela fini…

Le lendemain, après avoir réparé une nouvelle fois la voiture, nous repartons.

Le trajet dure plusieurs jours, jalonné d’étapes et d’imprévus. Une semaine s’écoule avant notre retour.

Lorsque nous franchissons enfin les limites du village, l’accueil est chaleureux. Des cris d’enfants résonnent, des adultes nous saluent avec soulagement, et une pluie de questions se déverse sur nous. Sourires, accolades, mains tendues…Je réponds à quelques-unes, esquisse des sourires, mais mon esprit est ailleurs. Une fois les formalités passées, je regagne ma demeure. Owen et Clarsch ne tardent pas à me rejoindre dans mon bureau.

– Owen, je te laisse t’occuper de l’interrogatoire de notre prisonnière. Elle doit savoir quelque chose, j’en suis sûr.

Je me tourne vers Clarsch.

– Quant à toi, je t’envoie en mission. Prends une équipe avec toi et rendez-vous à l’est du continent. Plusieurs sous-bureaux ont été localisés récemment. Récupère un maximum d’informations. Capture ou élimine, tu choisis selon la situation. J’exige un rapport tous les trois jours. Commandai-je.

Ils hochent la tête, sans discuter. Une fois les ordres donnés, ils disparaissent, chacun déjà plongé dans sa tâche. Quant à moi, j’ai besoin de me vider la tête. Une bonne douche s’impose. Je monte donc à l’étage, me déshabille et entre dans la salle de bain. L’eau chaude glisse le long de ma peau et détend mes muscles noués, apaisant un peu cette tension constante. Être Alpha n’est pas de tout repos…Gérer une meute, ses membres, leurs besoins, leur sécurité… C’est déjà une énorme tâche en soi, mais si on ajoute à cela une guerre contre une organisation, des conflits politiques et des tensions interraciales…Cela devient un fardeau, que je porte seul.

Une fois propre, je sors de la douche. La chaleur a embué le miroir. J’essuie la surface du plat de la main et mon reflet me renvoie l’image d’un homme épuisé. Mes cheveux bruns sont trempés, plaqués sur mon front. Des gouttes roulent le long de mes tempes pour venir s’écraser sur mon large torse. Mes yeux verts, cernés, trahissent le manque de sommeil. Mon regard est lourd, chargé de fatigue…mais aussi de détermination.

Je m’habille à la va-vite, enfilant un caleçon, un short de sport, et je sors de la chambre. Mais à peine ai-je franchi la porte de ma chambre que je la sens.

Son odeur. Sa présence.

D’abord subtile, presque noyée dans les vapeurs de mon savon, une senteur fraîche de menthe aux notes boisées, puis plus présente et plus insistante. Elle s’insinue dans mes narines comme une caresse qu’on n’a pas demandée, mais qu’on ne peut ignorer la présence. Pourquoi suis-je troublé ?

Mon corps se tend et mon souffle s’alourdit. Une tension sourde me serre la poitrine, instinctive. Je regarde le couloir vide, mais mes sens me hurlent qu’elle est là. Pourtant je sais qu’elle est dans la cave mais c’est comme si elle avait frôlé les murs, glissé un soupir contre le bois…

Je serre la mâchoire.

J’ai besoin d’air et d’espace.

Je descends sans réfléchir, traverse le hall et file vers la forêt. Mes pas accélèrent d’eux-mêmes jusqu’à se transformer en course.

Mon territoire, mon exutoire.

Là où je peux, pour quelques instants, respirer et où rien d’autre n’existe.

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