Plusieurs jours passent. Je vaque à mes occupations et me dispute légèrement avec Tiana qui ne m’écoute pas, têtue comme toujours.

La prisonnière vit désormais chez Margaux, ce qui me permet de respirer un peu, de retrouver un semblant de paix dans ma propre maison, sans cette étrange sensation de tension permanente.

Aujourd’hui, je pars courir avec plusieurs membres de la meute.

Nous discutons et passons un bon moment. Quelques combats amicalement menés, une course de vitesse. Le vent sur notre peau nous rappelle qui nous sommes. Je me pose un instant sur un tronc d’arbre. Mais alors que je bois un coup, mon cœur loupe un battement. Mon côté loup s’agite.

Malgré l’adrénaline, la sueur et la fatigue, quelque chose me serre la poitrine. Ce n’est pas normal. Un frisson me parcourt sans raison logique. Mes muscles se tendent. Je me redresse lentement, tous les sens en alerte.

C’est subtil et brutal à la fois, comme si un fil invisible venait de se tendre…puis de se rompre.

Une certitude me frappe de plein fouet : Quelque chose d’étrange vient de se passer.

Sans un mot, je me relève et commence à marcher vers le village. Une seconde sensation étrange me prend, cette fois, j’en connais l’origine. Un intru sur le territoire.

Alpha ? M’interroge Jill, en attente de ma réaction.

Je traverse la forêt à toute vitesse, me transforme au passage tandis que les autres me suivant de près, certains déjà en éclaireur. Je donne des directives par le lien de meute.

Jill, sur la droite, en croisé. Vix, à gauche avec Stephan, en position colibri. Je prends le face avec Fabien.

Nous avançons en formation, sur le qui-vive. Personne n’ose entrer sur le territoire ainsi. Une présence, deux, cinq…Pourquoi autant de loups arrivent ?

Plus nous avançons, plus les présence persistent avant de s’éloigner. Et lorsque nous sommes à quelques mètres de la fin du territoire, les loups s’en vont. Je croise le regard de l’un deux. Pourquoi est-elle venue jusqu’ici ? Nous n’avons pas rendez-vous. C’est étrange…

Les autres me regardent dans l’incompréhension. Jill s’avance jusqu’à la limite et les regarde partir tandis que Fabien et Vix échangent un regard intrigué.

Ethan, qu’est-ce qu’on fait ? Me demande Stephan.

Là, pour être honnête, je reste sur le cul. Répondais-je

Mais pourquoi la bêta de la meute du nord vient avec d’autres loups puis repartent sans un mot ? Y a un truc qui ne va pas. Ajoute-t-il.

Par la suite, nous faisons une ronde pour trouver des traces et essayer de comprendre. Le plus simple serait de leur poser la question, mais ils ne sont pas très loquasses.

Durant l’après-midi, une sentinelle me fait son rapport. J’essaie de me contenir mais impossible. Mes pas me mènent droit à la maison de Margaux. Je débarque, mon regard croise ceux des sentinelles.

Margaux tente de me calmer et de me faire sortir d’ici avant que je n’explose et que je ne fasse quelque chose d’inapproprié, que je regretterais par la suite.

Je finis par quitter la maison et je me transforme pour aller courir dans la forêt, histoire de m’éclaircir les idées. Tout est confus dans mon esprit. J’en ai marre ! Je crois que je suis à bout et que je n’arrive plus à me canaliser correctement. Mon loup est complètement fou également, plus rien ne va. Et pour couronner le tout, le fait d’avoir vu cette femme, avoir sentie son odeur de manière plus nette me perturbe davantage. Je ne comprends pas pourquoi ni ce qu’il se passe dans ma tête. Son odeur ne me quitte pas, son regard est comme imprimé sur ma rétine. Je n’arrive pas à effacer l’image que je viens d’avoir d’elle. Je lui ai fait peur. Elle était sur ses gardes et moi je lui ordonne de se déshabiller pour voir de mes propres yeux ce qu’on m’a rapporté. Je ne suis qu’un imbécile. Toutes sortes de pensées m’envahissent, contradictoire. D’un côté, je m’en veux d’avoir agi ainsi et d’être autant sur les nerfs, ce qui ne me ressemble pas en temps normal. Et de l’autre, je me dis que c’est ce qu’il faut que je fasse, c’est mon devoir de prendre soin de ma meute, qu’importe ce qu’il faut faire.

Je laisse échapper un grognement et me retransforme. J’avance vers la rivière et dans un élan de frustration, je gratte vivement mon crâne, ébouriffant ma chevelure, dans l’espoir de faire sortir mes pensées.

Rien ne se passe comme prévu ces derniers temps. Si ce n’est ces derniers mois voire années. J’ai dû prendre la relève de ma mère et de mon père très tôt, une relève qui aurait dû être à ma petite sœur une fois qu’elle aurait eu seize ans. De nombreux loups disparaissent et sont retrouvés dans un état pitoyable si ce n’est mort, complètement vidé de leur sang et de leur aura. Les loups ne sont pas les seuls touchés, même les fées disparaissent tout comme d’autres races. Mes tentatives pour obtenir des alliances et maintenant cette femme…

Tout était déjà compliqué, mais depuis qu’ils ont ramené cette femme, tout me semble étrange. Et Tiana qui sympathise avec elle…Rien que d’imaginer Tiana de nouveau malade…ça me terrifie. Je ne veux pas la perdre une seconde fois.

Après avoir couru, je décide de rentrer et confronter Tiana.

Je monte deux à deux les marches de l’escalier, puis ouvre la porte de la chambre de Tiana.

– Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?! Tiana, tu n’as pas eu mon autorisation pour aller chez Margaux. En plus, j’apprends qu’elle a un problème sanguin !

Mon sang bouillonne. Je suis partagé entre la colère parce que Margaux ne m’a rien dit, l’inquiétude que Tiana ait été en contact avec elle et l’impatience de tout ce qu’il se passe ces derniers temps. Mon regard se pose sur Tiana. Ses yeux sont écarquillés et pleins de regret me voyant réagir ainsi. Je me calme directement.

– Désolé… Je ne voulais pas hausser le ton, c’est juste que…

Je soupire et m’avance doucement. Je m’assoie à côté d’elle, sur son lit.

– Tu sais à quel point je suis inquiet qu’il t’arrive quelque chose. Tu es tout ce qu’il me reste… je ne veux pas te perdre alors j’ai tendance à te surprotéger. Pardonne-moi s’il te plait.

Mes épaules s’affaissent, ma voix tremble légèrement. Je me frotte le visage, lessivé de mes propres agissement. Sa main se pose sur mon épaule droite. Je lève le regard et remarque son sourire.

– Moi aussi je tiens à toi frangin. Je sais que je peux être imprudente et trop curieuse… mais il ne faut pas que je m’empêche de vivre malgré tout. Sinon, comment vais-je rencontrer mon âme-sœur une fois que mon loup se manifestera réellement ? Tu comptes rester célibataire toute ta vie pour me surveiller ? Dit-elle d’un ton moqueur, ce qui me fait rire. Tu as toujours tout fait pour moi, encore plus depuis leur mort. Maintenant, laisse-moi grandir et faire des erreurs. Je dois découvrir le monde et toi tu dois gérer tous les soucis déjà présent.

Sa voix diminue, son regard se baisse avant de reprendre.

– Bien que j’aurais dû prendre le rôle de l’Alpha, je suis heureuse que ce soit toi le chef. Je n’aurais jamais réussi à gérer tout cela alors que toi…

Elle s’arrête et soupir.

– Tu prends tout sur toi, tu fais de ton mieux au point de t’oublier. Tu t’inquiètes pour moi alors que je vais bien. Encore beaucoup de fatigue mais ma santé est bien meilleure. S’il te plait, concentres-toi sur ta propre santé, tu m’inquiètes. Je te promets de faire attention et d’essayer de réfléchir à deux fois avant de faire quelque chose.

Elle a beau être ma petite sœur, dans ces moments, j’ai l’impression de revoir notre mère. Entêtée. Sincère. Curieuse. Malgré toute l’inquiétude que je peux avoir, elle arrive à me rassurer.

Je l’attrape et la sert fort dans mes bras. J’ai tendance à oublier qu’elle grandi et mûrie.