Chapitre 20

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Assis derrière mon bureau, je grommelle seul, rumine et passe en revue toutes les informations recueillies depuis ces derniers mois. Je classe, j’ordonne dans l’ordre chronologique mais aussi selon la géographie. Des informations se croisent et se recroisent, des noms apparaissent et puis disparaissent. Mon bureau s’est transformé en un débarra à papier.

– Alpha ?

Je lève la tête et lui fais signe d’entrer. Owen pousse la porte et la referme derrière lui.

– Assis-toi, il faut qu’on parle de tout ça.

Owen est mon beta, l’homme le plus fidèle qui soit et il est d’un grand soutient dans cette guerre. Je n’aurais jamais rêvé mieux comme bras droit. En plus mon second bêta est sa compagne. L’un comme l’autre peut me remettre en place, et lorsque nous dépassons les bornes, Margaux intervient et le recadre. Puis, à deux, ils me font ouvrir les yeux.

– Explique-moi tout une nouvelle fois. Tout en détails. Lui demandai-je.

Nous discutons, échangeons sur tout ce qu’il s’est passé depuis le début de leur mission jusqu’à ce qu’ils trouvent et ramènent la femme. Tout au long de son rapport, j’annote les informations importantes, le questionne. Nous débattons sur les évènements qu’ils ont rencontré et la suite de tout cela.

– Voilà tout ce qu’on a vu, compris et repéré. Aucune personne ne correspond à la personne qu’on recherche. On a interrogé, menacés et torturés plusieurs scientifiques, fées et autres énergumènes participant à cette boucherie et à ces expérimentations qui tuent nos familles. Finit-il par dire.

Je me recule dans le siège et réfléchis, les bras croisés sur mon torse.

– Des fées, des humains, possiblement d’autres loups et peut-être d’autres races c’est bien ça ? Le questionnais-je pour être sûr.

Il acquiesce.

Quelque chose me perturbe dans tout ça.

Je fronce les sourcils, me frotte le menton puis attrape l’une des feuilles posées sur le tas déjà présent sur mon bureau. Je la tends à Owen qui la lit attentivement. Ensuite, je lui montre le tableau que j’ai élaboré. Il fronce également des sourcils, son regard passant de la feuille au tableau.

– Est-ce que c’est ce que je pense ? Me questionne-t-il

– Je n’en suis pas sûr, mais une fois qu’on relie les lieux trouvés, on obtient ça. Je lui montre le début de la figure. Puis reprend. Ensuite, en essayant plusieurs formes, on obtient celle-ci, celle-là ou cette dernière.

– Si c’est vraiment le cas, alors on a un plus gros problème. J’espère sincèrement que c’est une coïncidence et que ce n’est pas la dernière. Son visage est aussi sombre que le mien, le poing fermé et la mâchoire contractée.

– Je l’espère… Si ma supposition s’avère être vrai, on aura besoin de toutes les meutes possibles, surtout celle du nord. Finis-je la voix grave et lourde de sens.

L’après-midi passe en un clin d’œil. Je monte, m’allonge dans le lit et m’endors au bout d’un temps interminable.

Mon sommeil est agité. Plus rien ne va.

Cette femme me perturbe et je ne sais pas pourquoi. Ce qui me fruste encore plus !

Déjà l’odeur qu’il y avait dans la cave de la maison abandonnée et celle dans ma cave sont à la fois similaires et très différentes. Est-ce parce que son environnement a changé ? De plus, lorsque je l’ai eu en face, à quelques mètres de moi, tout était différent. Pas la même senteur, l’air était électrique, pesant.

Je sors du lit, me gratte le crâne ébouriffant mes cheveux, clairement irrité. Le pas lourd, je descends les escaliers et me pose dans mon bureau. Ouvre le tiroir à ma droite, sors une petite bouteille de whisky et me sers un verre.

Mon esprit est embrouillé, je ne sais plus où donner de la tête.

Que vais-je faire de cette femme ? Une humaine avec une odeur bien étrange. Elle est déjà bien entourée entre Margaux, une vraie mère poule avant l’heure, et Tiana cherchant une figure féminine à qui se raccrochée… Margaux est une femme forte, magnifique et adorable, avec un soupçon de caractère bien trempé. Bien que Tiana soit très proche d’elle, le lien qu’elles ont est différent. Elles sont à la fois amie est semi-cheffe et semi-subordonnée, ce qui fait que Margaux garde une certaine distance tout en veillant sur elle comme une grande sœur. Sauf que Tiana n’aime pas cette distance, elle l’a ressent et ça lui fait de la peine. Ce n’est pas de la faute de Margaux, ce sont les évènements qui ont amené à cela.

Je me ressers un verre de whisky et ferme les yeux un instant.

Ethan !!!!!!

Le cri mental de Margaux me fait sursauter. Des cris, des hurlements de douleurs brisent le silence de la nuit. Je me relève brusquement.

Que se passe-t-il ?!

Ma voix résonne dans toutes les têtes.

Elle a de nouveau une crise ! Mais cette fois elle s’est jetée par la fenêtre !

Je comprends rapidement de qui elle parle. Je me lève et sors à grand pas du bureau et de la maison. Tiana déboule des escaliers et me suit comme mon ombre. Plus nous avançons vers la maison de Margaux, plus les hurlements déchirent, pleins de douleurs. Ils ne sont pas humains.

Et c’est là que je le ressens.

Ce lien.

Je l’avais à peine ressenti la dernière fois. Là, il est présent, tel le tonner fissurant le ciel, chargeant l’atmosphère d’électricité. Mon corps réagit instinctivement. Les poils de mes bras s’hérissent et mes jambes ne m’obéissent plus. Je cours, vite, très vite. Je la sens. Elle est proche.

J’arrive à peine une minute plus tard et constate des faits.

Cette femme. Flavy. C’est elle.

J’avance d’un pas. Son regard se tourne vers moi. Ses yeux luisent dans la nuit, d’une couleur d’argent avec des pépites de bleues saphirs. Sa voix est gutturale, animale. Elle est…non pas humaine, mais une louve ! Je l’ai enfin trouvé.

Elle pousse un énième hurlement qui me déchire le cœur. Son regard suppliant est plein de terreur et de rage. Son esprit n’est pas totalement parmi nous.

Toutes les sentinelles patrouillant entre les maisons sont rassemblées et l’observent avec attention, les jambes légèrement pliées, légèrement en avant. Prêt à bondir sur elle à la moindre occasion. D’autres villageois apparaissent et même les rares fées vivant ici viennent constater de la situation chaotique.

Le lien vacille.

Ses jambes tremblent, elle se tourne rapidement et s’enfuit vers la forêt.

Je me précipite à sa suite et alors que je pensais la rattraper rapidement, elle arrive à me distancer.

Nous sommes plusieurs à lui demander de s’arrêter mais rien n’y fait, elle continue de courir. L’odeur du sang me parvient aux narines. Elle s’est blessée !

J’accélère et hurle, l’implorant presque de s’arrêter. Mais elle poursuit.

Quant tout à coup, elle s’arrête nette. Se retourne.

Nous nous retrouvons sur la colline de la cascade tombant dans le lac. La limite du territoire.

Je fais un signe d’arrêt aux autres. J’avance un pied, les mains en signe d’apaisement.

– On ne te veux pas de mal.

Mes mots sont sincères, pleins d’inquiétude. Mon regard parcourt son corps. Ses pieds sont en sang, de même que ses chevilles. Un sang oscillant entre le noir et le rouge sombre. Margaux se place à côté de moi et essaye de la rassurer comme elle peut.

Elle se met à hurler d’une férocité déconcertante. Une emprunte inoubliable dans le silence de la forêt et de la nuit. Les nuages passent, ses traits sont de nouveau visibles.

Elle est terrorisée. Brisée.

Son regard change du tout au tout. Il s’accroche à chaque visage, entre ceux en forme humaine et ceux encore sous leur forme lupine. Puis, il se pose sur Margaux. Un éclair passe dans ses yeux, comme si on l’avait giflé. Et enfin, nos regards se croisent.

Une sensation, nouvelle et d’une puissance, traverse à la fois son corps et le mien. Un lien qui essaie de subsister se brise, se reforme, se casse de nouveau…

Mon souffle se coupe, mon cœur bat à tout rompre.

C’est elle, j’en suis certain…Je l’ai enfin trouvé. Ma compagne. Mais…qu’est-ce qu’il lui est arrivé ?! Qui lui a fait ça !!!

Mes pensées s’embrouillent, la colère commence à monter en moi. Une rage que je n’ai jamais ressentie sauf lors de la mort de mes parents. Et même là, bien que ce fût puissant, ce n’est rien comparé à ce que je ressens maintenant.

Je tends une main tremblante vers elle. Je veux la tenir dans mes bras, la protéger et tuer tous ceux qui lui ont fait du mal. Les torturer…

Elle se cambre violement, ses os se mettent à craquer. Ses yeux virent au rouge. Elle lève les mains, les regardent avec terreur, puis nous regarde. Une larme coule le long de sa joue, suivi d’autres. Sa main droite tremble de plus en plus tout comme sa mâchoire crispée. Une moue triste apparaît sur son visage creusé, entre un sourire et une grimace de douleur.

Le vent s’engouffre dans ses cheveux, les soulève doucement. Un instant suspendu. Le grondement de la cascade s’intensifie, assourdissant.

– Flavy…Commence Margaux.

Elle tourne à peine la tête vers nous. Ses lèvres remuent, mais je n’entends rien. Peut-être un dernier mot. Je pourrais me noyer dans son regard vide et brisé alors qu’une faible lueur apparaît.

Une lutte interne gronde.

Tandis que Margaux et moi essayons de la faire venir vers nous, elle tourne les talons, parcourt les derniers mètres la séparant du vide et saute.

Ses pieds touchent le vide.

Le temps ralentit.

Elle bascule.

Ses bras s’écartent, comme pour voler. Une mèche de cheveux s’envole vers le ciel, un éclat de lumière s’y reflète telle une flamme dansante dans la nuit.

Une seconde d’éternité.

Et puis, le cri.

Le mien.

– NON !!!!!!!

Elle disparaît.

Je cours jusqu’au bord et me jette sur le sol dans l’espoir de l’attraper.

En vain.

Le vide, la chute.

Je la vois percer la surface. L’eau forme d’innombrables vagues éclairées par la lueur de la lune. Elle se faire engloutir par l’eau sombre.

La scène est pour moi, irréel, comme un cauchemar lucide. Je n’arrive pas à réaliser tout de suite tout ce qu’il vient de se passer.

Je me relève. Mes tympans bourdonnent. Je n’entends plus rien. Je ne vois que la surface de l’eau qui bouge et les quelques bulles remontant.

Mon corps tangue et là, une seule idée me traverse : Je dois sauter et la sauver.

Alors que j’allais me jeter, on m’attrape et on me retient. Je sens plusieurs bras me maintenir. J’entends des voix me crier de me calmer et de réfléchir.

Mais je n’écoute pas. Je n’entends pas.

Je me débats comme un fou, complètement horrifié.

– Je dois sauter !!!!!!!!

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