Chapitre 22 :

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Flavy

Le noir m’entoure.

Suis-je éveillée ou bien suis-je au bout de l’éternité ?

Je revois encore la scène, le moment où je saute et plonge dans l’eau gelée du lac. Je ne veux pas mourir, j’aime trop la vie pour ça. En plus, je suis certaine que des gens que j’aime m’attendent quelque part.

Je dois les retrouver.

Mais… la vision d’horreur que j’ai eue m’a tellement bouleversée…j’en ai eu peur.

Une peur bleue.

Peur de moi.

Le froid continue de me prendre par la taille. Je sens mon corps flotter comme si…mon âme l’avait quitté et volait sous un ciel sans lumière. Mes doigts remuent alors que mon souffle me semble éteint.

Est-ce que tout va se finir ainsi ? Vraiment ?

J’aurais tellement eu envie de les revoir. Les serrer dans mes bras. Plonger mon nez dans leurs cheveux et sentir leur chaleur.

Vous me manquez tellement mes petits loups.

« Petits loups » ?

J’ai l’impression d’être perdue et, en même temps, j’ai l’impression de retrouver un bout de mon âme. Ma mémoire, autrefois brisée, commence à revenir.

C’est comme si j’étais assise sur l’unique siège d’une salle de cinéma et que j’observais un film à travers les yeux d’un personnage que je ne connais pas bien. Et que je suis ce personnage.

La pièce est sombre. Froide. Par moment, une douce chaleur sort de l’écran et une faible lumière apaisante m’enveloppe. A ce moment-là, je ferme les yeux et inspire doucement, le cœur léger.

J’entends l’eau, les bulles qui rejoignent la surface. Je perçois des voix.

Le doux chant provenant de la voix de mon défunt père. Il avait une voix si profonde et si grave. Elle était si mélodieuse, si reposante, tel l’appel lointain du seigneur des mers et des océans. Les navires trouvaient terre et les eaux trouvaient le calme. Sa voix résonne dans mon cœur telle une berceuse juste avant de dormir. Je me rappelle de son merveilleux sourire qui faisait tourner toutes les têtes comme disait ma mère. Sa longue barbe noire corbeau et ses cheveux d’un roux tirant sur le brun caramel m’apparaissent d’une netteté que j’ai l’impression de retourner en enfance, avant cette guerre des clans qui leur a coûté la vie, à eux et à de nombreuses autres personnes.

Des frissons parcourent mon corps tandis que la chaleur des souvenirs réchauffent mon cœur gelé par le froid glacial de l’eau du lac.

Ma mère, quant à elle, me contait des histoires qui me faisaient voyager dans les lointaines contrées. Elle m’expliquait comment ils s’étaient rencontrés et me parlait de nos origines. D’une voix calme, elle me répétait souvent :

« Ma fille, ma petite Anivëa…Bien que les étoiles brillent d’une lueur lointaine et éteinte, elles restent aussi longtemps que possible pour protéger leurs bien-aimés. Qu’ils soient amis, famille, enfants comme adultes. La bonté d’une âme va au-delà de l’univers. Au-delà de la pensée. Et toi, tu es issue de la fusion de l’amour que ton père et moi avons l’un pour l’autre.

Un jour, tu trouveras ton étoile contraire, celle qui te fera autant de misère que de merveille.

Car, l’amour, n’est pas facile.

C’est la plus belle chose que l’on peut ressentir pour quelqu’un mais c’est aussi pour cet amour que l’on est prêt à tout sacrifier.

Alors, n’oublie pas ces mots mon Anivëa : Tu es aimée. Qu’importe la distance. Qu’importe le temps.

Ton âme est lumineuse. Crois en toi.

Crois en l’amour.

Nous serons toujours à tes côtés. »

Ces mots m’ont toujours suivi, et ce, même en ayant perdu la mémoire. Ils sont gravés dans mon cœur comme on grave dans de la roche. Par amour, je serai capable de faire la plus belle des choses et la pire qui soit.

La pire…Est-ce pour cela que je ne me souviens de rien ?

Je ne sais pas.

Alors que mes souvenirs défilent doucement sous mes paupières closes, mon esprit fait surface et le monde qui m’entoure reprend vie et reprend des couleurs.

Je ne suis plus au premier rang, sur le siège. Je suis dans l’écran même du cinéma. J’ouvre les yeux difficilement et inspire profondément par la bouche. Je porte ma main à ma joue et en essuie une larme. Chaude.

Mon cœur est allégé d’un poids. Bien que mes poumons me picotent, je respire plus librement. L’un des nœuds le tordant s’est défait et, avec lui, mes pensées se délient.

Je viens de me souvenir d’une chose.

Quelque chose d’important.

Mon regard se pose sur un plafond fait de bois. La lumière m’agresse les yeux, mais, plus comme avant. C’est supportable étonnement.

Un visage plein d’inquiétude apparaît dans mon champ de vision.

Elle remue les lèvres mais mes oreilles ne captent aucune onde. Elles sont encore dans le flou. Je fronce les sourcils, ne comprenant pas ce qu’elle me dit et, dans un geste instinctif, je tends le bras vers elle et lui caresse la joue du pouce.

Mon geste la surprend mais elle ne recule pas pour autant. Elle m’attrape la main et la serre.

Cette chaleur… Quand est-ce que j’ai déjà ressenti ça ?

Je lui souris, elle me répond et le soulagement se lit sur son visage. Je cligne plusieurs fois des yeux car la lumière, bien que plus supportable, me fait terriblement mal. Mes yeux sont froids et secs.

Elle comprend rapidement et éteint la lumière, privilégiant une lampe de chevet recouvert d’un tissu pour atténuer la luminosité.

J’ai l’impression de t’avoir déjà connu il y a longtemps, mais que mes souvenirs m’ont été arrachés.

Elle écarquille les yeux et se tourne vers quelqu’un. Elle semble lui dire quelque chose.

Je baisse mon bras et ferme les yeux quelques secondes pour calmer cette sensation étrange.

Je me sens…différente ? Ou bien, suis-je juste folle ?

Je pousse sur mes mains positionnées de chaque côté de mon corps, me permettant de me lever. Margaux essaye de m’aider mais je lui fais signe que je peux le faire, que je dois le faire moi-même.

Mon corps brûle mais je ne ressens que le froid.

La pièce vacille un instant face à ma vision différente. Elle est moins douloureuse et plus claire. Je ne perçois plus les choses comme avant.

Comme cette dernière année.

C’est si différent et si… familier.

Je baisse les yeux et observe mes mains. D’abord leur dos, puis mes paumes. Je ferme les poings tellement fort que mes ongles entre dans ma peau et ma mâchoire se contracte instinctivement. Je fais rouler mes épaules, bouge doucement ma tête pour réveiller mes muscles et faire circuler le sang dans mes membres engourdis.

– Comment te sens-tu ? Me questionne le médecin.

Il me faut quelques secondes avant de lever la tête et de répondre calmement.

– Je vais bien. Veuillez m’excuser de vous imposer autant de soucis et de problèmes depuis que l’on m’a amené ici. Ce n’était pas le but de tout cela. Je tâcherai de ne pas reproduire ce qu’il s’est passé. Ajoutai-je en inclinant la tête pour appuyer mes propos.

Margaux et le médecin se regardent, une expression partagée comme d’un commun accord. Mon ton est bien trop calme comparé à il y a quelques heures.

Je ne leur ferai plus de frayeur ou de problème car je compte partir d’ici et retourner à la maison abandonnée. Là-bas il me sera possible de trouver des traces ou d’autres souvenirs. Ce n’est pas en restant enfermée et en étant de nouveau un objet de tests que je vais recouvrir la vérité.

Bien que je ne puisse bouger ou sortir de la pièce vu la réticence de Margaux et du médecin, je me dois d'obtempérer et rester sage jusqu’à ce qu’une occasion se présente.

Après cette nuit, j’ai changé mon comportement. Plus rien n’a été pareil. J’ai modifié mon regard, changé de ton, changé d’attitude. Non seulement parce que ma mémoire me revient doucement mais également pour parvenir à mes fins.

Plusieurs jours se sont écoulés. Durant ce temps, nombre de personnes qui étaient présentes cette nuit-là sont venues me rendre visite, à ma grande surprise.

Pourquoi se soucier de mon sort alors qu’ils m’enfermaient dans une cave il n’y a pas si longtemps ?

Pourtant, aucun d’eux ne franchit le seuil. Ils m’observent, s’assurent de mon état et que je suis en vie…puis repartent aussitôt. Ce qui rend la situation encore plus étrange qu’elle ne l’est déjà.

Je suppose qu’ils se sentent coupables d’une certaine manière. Et, s’ils n’approchent pas, cela doit être dû à mes veines.

Elles sont toujours aussi noires mais, parfois, les plus fines prennent une teinte verte, comme si le poison se faisait éliminer. Sinon, aucune nouvelle des analyses que le médecin devait faire.

– Salut.

Une voix me tire de ma rêverie. La même voix que ce soir-là.

– Je ne t’embête pas j’espère…

Je lève les yeux et soupire doucement.

– Tu ne m’embête pas du tout. En réalité, tu es la seule, avec le médecin et Margaux, à oser m’approcher. Dis-je avec un petit sourire malgré-moi.

Elle s’avance et se pose doucement sur le lit, triturant ses mains sans savoir comment s’adresser à moi. Depuis la découverte involontaire de mon état physique, l’épisode de la salle de bain, ses visites se sont arrêtées nettes. Volontairement ou non, cela montre que je fais peur. Ce n’est pas plus mal.

– Tiana ? C’est ça ? Lui demandais-je

– Mmm c’est ça. Me répond-t-elle hésitante.

– Ton acte m’avait surprise.

Elle me regarde ne sachant pas de quoi je parle.

– Le soir où tu m’as apporté une pomme et un bout de pain. Ton geste m’a aussi fait plaisir. Savoir que la bonté existe encore dans ce monde malgré tout ce qui s’est passé.

Ces derniers mots sortent de ma bouche comme une confidence dite à demi-mot.

– Que veux-tu dire ? Il t’est arrivé des choses horribles par le passé ? Me questionne-t-elle les yeux écarquillés et les mains crispées sur la couverture.

Je dois faire attention. Tout peut basculer à cause d’un mot de trop.

– Oublie. Je souhaitais seulement te remercier.

J’installe une pause avant de poursuivre.

– Tu as dû être effrayé de voir l’état de mon corps. J’en suis navrée. Tu n’as pas à t’en faire. A dire vrai, les bleus, les veines noires et les cicatrices ne sont rien. Du moins, ce n’est plus grand chose car j’ai déjà bien guéri.

Vu la tête qu’elle tire, je poursuis rapidement.

– Les bleus sont déjà partis depuis longtemps. Concernant mes veines, bien que ce soit ainsi depuis un long moment maintenant, j’arrive à supporter et ça part petit à petit. Mentis-je doucement, en espérant que cela ne se verrait pas.

Tiana ne dit rien pendant un moment. Elle triture encore ses doigts, les yeux posés sur le sol. Le silence s’épaissit, mais il n’est pas désagréable. Il flotte, comme un nuage entre deux vents.

– Tu veux que je parte ? Demande-t-elle soudain, d’une voix basse et hésitante.

Je ne la quitte pas des yeux. Elle me fait penser à Seraphina, du moins sa manière d’agir. Douce, gentille et prévenante.

Je secoue doucement la tête, presque malgré moi et me rappelle qu’elle regarde toujours le sol.

– Non. Tu peux rester…un peu.

Elle me jette un coup d'œil, surprise mais visiblement ravie, puis sourit timidement.

– Tu dois avoir faim ! Je récupère mon ordinateur portable et de quoi grignoter et on peut regarder un film, une série ou…Elle marque un temps et se crispe légèrement. Ou tu préfères peut-être faire autre chose ?

– Va pour un moment film ou série. Lui répondis-je en souriant franchement de son changement soudain d’expression.

Elle saute de lit, toute excitée et se dépêche de sortir de la chambre, puis revient quelques minutes plus tard avec son ordinateur et pleins de nourriture.

– Je ne connais pas tes goûts donc j’ai pris tout ce que j’ai pu trouver. Il y a des chips, des pops corns, du chocolat, du jus de fruit…

Je l’arrête dans son monologue de nourriture et de boisson en rigolant. Elle se met également à rire et s’installe à côté de moi. Je me sens à l’aise avec elle, comme une vieille amie. Elle me fait vraiment penser à Seraphina, même si je ne me souviens plus vraiment d’elle…

– Alors !

Elle me fait sursauter et je ris intérieurement. J’ai le cœur plus léger et l’esprit plus tranquille, comme en pause. L'ambiance de la chambre autrefois électrique et lourde se fait plus douce et légère.

– On peut regarder des films ou des séries à l’eau de rose, d’horreur, d’enquête, fantastique, fantasy ou bien de science fiction. Il y a également des films d'action. Tout ce que tu veux ! Qu’est-ce que tu préfères ? Poursuis-t-elle en me regardant les yeux brillants d’excitation.

– J’aime tout, mais j’adore l’horreur, les enquêtes et le surnaturel. Et toi ? Répondis-je naturellement.

– Tout comme moi ! Trop bien, on a les mêmes goûts ! Je peux te proposer cette série si tu veux, ça réunit l’horreur avec les enquêtes et il y a un peu de surnaturel. En vrai, ça ne fait pas vraiment peur mais ça peut surprendre. Elle s’appelle “Natural Spirit”. J’avais commencé l’épisode un hier.

Installées côte à côte sous la couverture, nous mangeons quelques snacks et buvons tout en rigolant et sursautant selon les scènes de la série. Lors des moments stressants, je lui fais peur et ça me fait tellement rire que j’en pleure.

La nuit passe plus rapidement. Tellement rapidement que j’oublie tout le reste et peut enfin me reposer.

Je me sens normale, pas de faux semblant, ni de masque. Je suis juste moi-même. Je profite de l’instant et retrouve l’humanité que j’avais enfermée au plus profond de mon cœur.

Merci Tiana pour ce doux moment. Et désolée en avance.

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