Chapitre 23
Plusieurs jours se sont écoulés durant lesquels Tiana et Margaux m’ont tenu compagnie. Le médecin est venu à de nombreuses reprises et, ce matin, il annonce que je suis bien empoisonnée mais que le poison n’est pas anodin et ne peut disparaître avec un paracétamol comme on ferait partir un rhume, une fièvre ou tout autre maladie. Désormais je peux sortir de la chambre et me déplacer dans toute la maison de Margaux.
Nous discutons souvent et elle essaie d’en savoir plus sans grand succès. Elle ne peut que remarquer mes changements de personnalités ou plus d’humeur. Parfois je panique comme au début de leur rencontre, tandis que d’autres fois je reste calme et impassible où mon esprit vagabonde.
“Ton regard est à la fois vide et lointain. Il…semble vide et pourtant si profond qu’on pourrait penser que tu portes le monde ou un fardeau tellement grand qu’il te ronge de l’intérieur.” M’a-t-elle dit un soir alors que j’étais assise sur le rebord de la fenêtre du salon, observant les étoiles et la nuit sans lune.
Ce soir-là, une tasse de chocolat chaud en main, son odeur se répand dans la pièce comme un voile de douceur réchauffant les cœurs. C’est à ce moment-là que je lui ai simplement répondu que “Parfois je suis ici, dans cette maison. Parfois je suis de retour au tout début de toute cette histoire. Non pas mon histoire mais, ce qui m’a fait me retrouver ici. Et…lorsque je regarde le ciel nocturne, les étoiles brillent et m’appellent comme le chant de sirènes appelant les marins. Mais pas celles des contes qui tuent. Celles qui appellent d’un cri doux, chantant leur détresse et leur désespoir, ne souhaitant que le retour sain et sauf du marin perdu en mer dans une tempête de tourment.”. Après ces mots, j’ai doucement tourné ma tête vers elle. Elle était assise sur le canapé, face à la même fenêtre où je repose. Je plonge mon regard dans le sien. L’un est rempli de tourment, de peur et d’une profonde envie de justice tandis que l’autre porte l’inquiétude sincère, l’envie de protéger mais la peur de faire ce qu’il ne faut pas. Alors, alors que ses lèvres tremblent tentant de dire quelque chose, j’ajoute doucement “Mon esprit est confu, mon corps est meurtri mais c’est mon combat et tu ne dois pas en pâtir Selindra. Toi comme Tiana. Alors, ne cherche pas à creuser dans une mémoire brisée qui pourrait te faire du mal.”.
Le reste de la soirée s’est terminé dans un silence aussi lourd que léger. Telle la pluie sur une mer agitée.
Discuter avec Margaux m’apaise de plus en plus et je sens un lien se créer. Il en va de même pour Tiana. Sinon, malgré cela, plus personne ne vient me rendre visite et ce n’est pas plus mal. Une seule chose m’intrigue mais devra rester en suspens, cette étrange sensation le soir où je me suis noyée.
Parfois, même lorsque je suis seule dans la maison, j’ai l’impression d’être constamment observée. Je n’y prête pas attention et continue de préparer mon plan pour partir d’ici. J’étudie les environs en regardant par les fenêtres, je questionne, je me renseigne sur internet grâce à l’ordinateur portable de Tiana. Une fois la route établie et quelques ressources en ma possession, j’attends la bonne nuit.
Un jour, l’agitation bat son plein et de nombreuses personnes partent en voiture tandis que d’autres s’enfoncent dans la forêt. Les familles et membres du village les saluent et leur demandent de revenir sain et sauf. Par la suite, le village est tranquille jusqu’au soir où de nombreux autres habitants s’enfoncent de nouveau dans la forêt. A ce moment-là Margaux est partie avec son conjoint tandis que Tiana est chez elle. J’en profite et sors discrètement. Je me faufile entre les maisons en prenant soin de ne pas faire le moindre bruit et file jusqu’au garage qui se trouve au sud-est du village. A l’intérieur se trouvent quelques véhicules dont une moto roadster Honda CB500F, un vieux modèle dont j’arrive à shunter le contact. Il faut croire que j’ai un passif pour pouvoir faire ça aussi facilement. Je l’enfourche et me dépêche de partir. Le rugissement de la moto alerte les habitants et je vois de la lumière s’éclairer dans la maison principale, là où vit Tiana. Je n’ai pas le temps de la voir sortir que je suis déjà sur le chemin de terre par lequel je suis arrivée il y a de cela au moins deux semaines si ce n’est un mois.
L’hiver est moins présent mais le vent me mord le visage et les mains nus. La neige continue de joncher le sol. Les arbres gardent leur manteau blanc alors que le ciel s’étend dans la nuit. Quelques hiboux hululent et quelques loups hurlent. Derrière moi des cris, des appels et des pas martèlent le sol pour me rattraper. Dans cette froide nuit, la neige se tasse à la suite de mon passage. Le moteur gronde autant que mon cœur qui bat la chamade. J’arrive enfin sur la route principale et distance mes suiveurs. Je pars rejoindre la maisonnette, là où je pourrai trouver réponses maintenant que ma mémoire me revient enfin.
Heureusement que j’ai pû m’emparer de cette moto, le trajet aurait été bien plus compliqué et plus long.
Les roues tournent, le moteur chauffe alors que je m’éloigne de ce lieu. Au fond de moi je regrette de partir ainsi, sans les avoir prévenu mais je me dois de découvrir la vérité. Et, n’oublions pas qu’à l’origine je suis une prisonnière.
La route défile alors que les villes et le paysage complètent l’horizon lointain. Je n’ai pas pensé mais, est-ce que j’aurai assez d’essence ? Je n’ai pas vérifié les niveaux. Je croise les doigts en espérant que le propriétaire s’en occupait suffisamment pour penser à celà.
Je chasse ces pensées de mon esprit et fini par m’arrêter à la sortie d’une ville, histoire de faire une courte pause avant de reprendre. Je suis fatiguée… Fatiguée de ne pas avoir dormi, fatiguée de devoir partir en voleuse, littéralement et fatiguée de ne pas savoir tout en ayant quelques souvenirs incomplets.
Une fois la moto à l’arrêt et la béquille de sortie, mes jambes me lâche et l’adrénaline pulsant dans mes veines commence à se dissiper. L’air froid du soir laisse doucement place à celui du matin levant. Mon visage glacé se réchauffe aux premières lueurs du jour. Je lève une main devant mes yeux pour les protéger. Il faut que je me dépêche avant de ne plus pouvoir conduire. De mon sac à dos, je sors une paire de lunettes et une barre chocolaté récupérée dans la cuisine de Margaux. Je ne prends pas le temps de la savourer et remonte en selle.
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