Les yeux de Cynthia restent rivés sur la tranche du livre. Ses doigts ne le touchent plus depuis longtemps. La sorcière revient lentement à elle.

Quelle heure est-il ?

Son regard vire vers une fenêtre. Le soleil a assez décliné pour frôler la cime des arbres de la bordure forestière.

On est en fin d'après-midi.

Cyn reprend doucement le contrôle de son corps. Les visions-surprises lui laissent la bouche pâteuse et une intense sensation de faim. Elle a l'impression d'émerger d'une sieste plus longue que prévue.

Il n'y a rien ici. Rentrons.

Une pensée amère. Jamais elle n'aurait cru trouver une zone laissée pour compte. Tant qu'elle ne saura pas ce qu'il s'est produit pour rendre ainsi cet endroit, Cynthia refuse de relâcher ses méditations.

Je dois savoir. Ça devient urgent.

Elle disparaît dans un torrent de feuilles volantes.

La tranquillité de la boutique se trouble par un craquement. Cynthia revient devant son comptoir. Un moment d'attention jeté autour d'elle lui fait réaliser que Samir a peut-être raison : les résidents encaissent son apparition après avoir été durement effrayés par la gérante.

— Ce n'est que moi, ronchonne-t-elle. Ne me dites pas que je vous fait peur, maintenant ?

— On commence à en avoir ras la casquette, intervient Cynthia-miroir. Tu n'as donc aucune conscience de nous pour te permettre un boucan pareil ?

— Bon sang, dites-le quand quelque chose ne va pas plutôt que de vous fondre dans le mutisme ! hurle brusquement la sorcière.

Personne ne répond, tous partent se cacher. Cyn repère le petit dragon d'argent sur une commode laquée soulever le couvercle de sa propre boîte pour se glisser à l'intérieur. Les poupées dissimulent leur face peinte derrière leurs cheveux. La plaque de bronze s'opacifie. Les livres se serrent davantage entre eux pour reculer ensembles sur leurs étagères.

Le calme revient dans le magasin au prix d'une atmosphère tendue.

Cynthia laisse ses bras retomber le long de son corps.

— Ça me monte à la tête, soupire-t-elle.

Un crissement résonne dans son dos. Une patte insectoïde s'est extraite de la caisse enregistreuse. Le mimic pousse vers la jeune femme un livre gisant sur le comptoir. Cyn observe la bestiole ranger son membre, puis elle passe à l'ouvrage.

— C'est à Samir, dit-elle en s'emparant de l'objet. Il a oublié de le prendre en partant ?

— Tu l'as raté à un cheveu près, répond timidement Cyn-miroir. Il était dans tous ses états.

— Hein ? Pourquoi ?

— Aucune idée. Il te cherchait. Il avait du bazar dans les bras et l'a posé avant de faire les cent pas. Et il est reparti sans vérifier qu'il avait tout pris.

— A t-il dit quelque chose ?

— Qu'il retournait à son école régler son problème de démon.

Pardon ?

Cynthia n'a qu'une solution à l'esprit : transgresser LA règle.

Elle prend place sur son tabouret. Son flux s'anime entre elle et la distance qui la sépare de Samir. La sorcière le trouve aussitôt.