Chapitre 27
NAHLA
Pour la deuxième fois aujourd’hui, Nahla ressort du fleuve en réprimant des spasmes. Elle grimpe sur le plancher de branches qu’elle a laissé au bord, saisit sa serviette, se frotte vite et enfile ses vêtements secs. Ses gestes sont rapides mais maladroits, encore crispés de froid lorsqu’elle rejoint son campement.
Elle s’assoit en tailleur sur une natte, ramène le feu de l’inventaire et invoque devant elle la tisane préparée plus tôt. La chaleur l’effleure à peine. Ses mains tremblent autour du bol. L’eau amère passe dans sa gorge mais n’apaise rien. Les images reviennent, nettes : la sœur qui se débat, la bouche tordue, les yeux noyés. Nahla hoquète. Elle a du mal à respirer. La tristesse déborde, brutale.
Elle s’allonge sur la natte tressée, roule sur le côté, ses épaules secouées par des sanglots courts. Elle pensait qu’elle finirait par s’habituer, mais non : chaque morte a le même poids, la même injustice, la même brûlure. Ses larmes coulent longtemps, sans retenue. Puis le souffle ralentit. Le feu crépite doucement. Le calme se répand.
Un battement sec, des griffes sur le bois. La pie s’avance, la tête penchée, l’œil brillant.
— Quatre plongeons, zéro poisson... Je connais un martin pêcheur très serviable si tu veux…
Nahla se fige. Un rire nerveux lui échappe. Puis un fou rire, brusque, incontrôlable. Elle se redresse à moitié, essuie ses larmes en secouant la tête.
— ⟦ Toi con. ⟧
— Au moins, tu respires encore.
— ⟦ Oui. Encore. ⟧ Signe t’elle les yeux dans le vide.
Elle s’enveloppe dans sa couverture, cale la natte sous ses jambes. Le bol de tisane chauffe ses paumes glacées. La vapeur monte, amère, mais la gorge se délie peu à peu. Chaque respiration reste lourde, mais moins coupante. Ses épaules retombent.
Le rougeoiement du feu s’impose face au froid de la rivière, face à la tristesse qui serre encore sa poitrine. La lumière pulse, régulière, comme un souffle extérieur auquel accrocher le sien.
Son corps garde la mémoire de l’eau : muscles tétanisés, poumons froissés. Pourtant, ici, elle reconstruit un espace stable. Feu, tisane, couverture. Gestes répétés, rassurants. La pie s’est tue, perchée un peu plus loin, simple présence qui ne l’écrase pas.
Ses yeux se ferment à demi. Les images reviennent malgré elle, mais plus lentes, moins coupantes. Elle les compte. Une par une. Quatre visages déjà happés par l’eau, quatre échos logés en elle. Pas seulement des mortes : des traces, des compétences à porter.
Alors son regard tombe sur son bras. La cicatrice triangulaire qui battait après chaque noyade, ne pulse plus. Mais autour, d’autres marques sont restées. De fines veines sombres et claires courent sous la peau, incrustées comme des filons de gneiss. La mélanine s’est fixée là, dessinant des vagues qui n’existaient pas avant. Chaque compétence a posé son écume.
Malédiction du gneiss lunaire
Sœurs libérées : 4/13
Echos archivés :
— Isabeau : Soin mineur (apaiser blessures simples)
— ??? : Souffle d’ombre (étouffer tous les sons, zone muette éphémère)
— Jehanne : Coupe-feu (soigner brûlures, fièvre, inflammation)
— Aliénor : Lessive claire (nettoyer habits, donner odeur fraîche)
Nahla lève les mains, fatiguée :
— ⟦ Rita, Trois compétences disponibles. ⟧
La pie incline la tête.
— Trois ? Dis toujours.
— ⟦ Coupe-feu. Souffle d’ombre. Lessive claire. ⟧
L’oiseau claque du bec.
— Pas mal. T’as de quoi calmer une fièvre qui dévore, étouffer tout un camp… Et tu prends quoi ?
Nahla baisse les yeux sur sa tunique encore humide, imprégnée de vase.
— ⟦ Lessive. ⟧
Un silence. Puis la pie éclate d’un croassement sec.
— Sérieux ?
Nahla sourit malgré elle, signe sobrement :
— ⟦ Moi besoin ça. Autres non. ⟧
La pie ricane encore.
— Oui… rien à voir avec ce que te coûteraient les autres.
Nahla l’ignore, se maudissant de lui avoir expliqué la mécanique de ses compétences. Elle concentre sa pensée sur Alienor :
Écho d’Aliénor : Lessive claire
Coût d’acquisition : incision de crevasses le long des phalanges
Effet potentiel : nettoie habits et tissus, dissipe les odeurs.
De ses griffes, elle entaille les phalanges de sa main droite. Le sang perle, mais rien ne se produit. Elle soupire, prend une inspiration, puis incise aussi celles de la main gauche. Alors seulement la trame répond.
Compétence acquise
Lessive claire Niv. 1
- Effet : nettoyer habits et tissus, dissiper odeurs, laisser une fraîcheur durable
- Coût d’utilisation : 10 mana + 20 endurance/ 100 grammes de tissu
Nahla signe lentement :
⟦ Soin mineur ⟧
La chaleur afflue dans ses paumes, cherche les plaies. Rien ne change. Les entailles restent ouvertes, sourdes à l’apaisement. Un constat s’impose : le prix d’une compétence ne peut pas être effacé par une autre.
Elle soupire, sort ses onguents de l’inventaire. Avec sérieux, elle enduit chaque phalange d’une fine couche. L’odeur herbacée se mêle à celle du feu. Elle enroule ensuite de petites bandelettes propres autour de ses doigts. Geste après geste, la douleur se stabilise, domestiquée par ses soins.
La pie la regarde faire, penchée sur ses doigts bandés.
— ça valait vraiment le coup ?
Nahla relève la tête, un sourire bref aux lèvres.
— ⟦ Maintenant nous voir. ⟧
Elle s’approche de sa tunique humide étendue sur un brache basse. Ses mains sont un peu crispées quand elle signe :
⟦ Lessive claire ⟧
Le tissu frémit. L’humidité se défait en une buée, la vase sèche, se décolle et tombe au sol. Il ne reste qu’une odeur fraîche, nette, presque d’herbe coupée.
Nahla y colle son visage et inspire, incrédule. Puis elle rit doucement, caressant la toile redevenue propre. Elle en profite pour laver tout le linge de son inventaire, puis elle se change et nettoie sa dernière tenue. Elle est très satisfaite du résultat, mais quelque peu essoufflée. Un tour par ses stats lui montre que si le coût en mana est acceptable, elle a perdu près de la moitié de son endurance !
Nom : Nahla
Espèce : Humaine Niv. 8
Classe : Stigmate Niv. 3
Métier : Herboriste Niv. 12
Vitalité : 29
Endurance : 21
Sagesse : 39
Force : 21
Résistance : 22
Volonté : 22
Dextérité : 24
Acuité sensorielle : 23
Vie : 725 / 725
Endurance : 285 / 525
Mana : 855 / 975
Points à répartir : 7
Le tout reste plaisant à regarder, sa progression est nette. Au bord de la rivière, elle a gagné un niveau de classe et d’espèce, sans doute en libérant les quatre sœurs noyées. Deux niveaux aussi dans son métier d’herboriste, à force de cueillir, de broyer, de préparer baumes et soins. Elle a découvert qu’ils se conservent intacts dans l’inventaire, comme pour le feu : le temps s’y suspend, préservant leur état.
L’encart se dissout, mais son regard reste fixé sur les marques incrustées dans sa peau. Quatre échos s’y accrochent déjà, chacun avec son poids, sa mémoire, son prix. Pourtant, c’est un autre nom qui s’impose, plus lourd que tous les autres : Florise.
Elle n’a pas son visage. Pas un souvenir. Rien qu’un mot, confié au détour d’une révélation trop tardive. Et c’est peut-être pire ainsi : chercher quelqu’un qu’on n’a jamais tenu, jamais vu, seulement deviné. Une sœur fantôme, absente même dans sa mémoire.
Autour d’elle, le feu palpite, les habits sèchent, mais son esprit dérive. Elle pense aux noyées qu’elle a libérées. Elles avaient un nom, une histoire, un pouvoir à transmettre. Florise, elle, n’a rien laissé. Ou alors on le lui a arraché. Un vertige la prend.
Comme en réponse la Trame affiche :
Quête PRIMAIRE : RETROUVER FLORISE
— Collecter des indices et témoignages
Ses yeux accrochent l’encart. Florise. Le nom pulse seul, sans visage, mais il s’ancre en elle comme une direction. Pas de souvenir à tenir, pas d’image à retrouver, seulement ce vide à combler.
Nahla inspire. Elle serre les poings sur ses bandelettes. Cette fois, il n’est plus question d’attendre. Elle tiendra ce fil invisible jusqu’à trouver ce qu’il cache.

Annotations
Versions