Chapitre 4

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Commence alors ma lente descente aux enfers.

La lumière s’éteint, l’obscurité totale se fait dans la cage d’escalier, je ne trouve pas l’interrupteur.

Le peu de force qu’il me reste m’abandonne. Mes jambes flagellent, ma tête tourne, mes oreilles bourdonnent, mon corps est pris de tremblements et mes dents claquent violemment. Je me tiens au mur pour ne pas tomber. J’arrive enfin dehors, je fais seulement quelques pas, je n’ai pas la force d’aller plus loin.

Je m’effondre sur le rebord d’une fenêtre, je prends conscience de mon extrême fragilité émotionnelle. Je tente de calmer ma respiration, peu à peu le malaise s’atténue.

Je me reconnecte progressivement avec le monde extérieur. J’entends des rires et de
la musique. Je me concentre sur la mélodie pour ne pas penser à ce malaise. J’écoute plus attentivement pour savoir si je connais ce morceau. C’était, avec Nicolas, un de nos passe-temps favoris. Citer le plus rapidement possible l’artiste et le titre. J’excellais à ce jeu et j’ai gardé cette habitude. Après quelques secondes, je reconnais la voix de Nina Simone, mais je suis incapable de retrouver le morceau.


Je repense à cette grosseur et à ce médecin.


J’aimerais tellement pouvoir me confier à quelqu’un, or, tous mes amis sont pris ce week-end. Si seulement j’avais un petit-ami, je pourrais trouver refuge dans ses bras, m’y blottir et affronter tous ces problèmes plus facilement.

Paul, mon meilleur ami et voisin, est justement parti avec sa petite-amie Emma. Il rentre dimanche soir. Je sais que si je l’appelle, je trouverai une oreille attentive. Je ne veux pas lui polluer son escapade amoureuse. Il est suffisamment présent en temps normal : entre les baby-settings, nos longues soirées d’ivrogne ou nos multiples sorties je dois être attentive à ne pas être envahissante.

Je sais qu’Emma pense que je suis trop présente dans leur vie, entre filles pas besoin de long discours pour se comprendre. Pourtant, elle n’a jamais rien dit, elle possède une véritable intelligence émotionnelle. Elle sait que je traverse une passe difficile et fait preuve d’une grande bienveillance à mon égard. Je comprends sa légère réticence, je ne suis pas certaine que j’aimerais que mon mec passe beaucoup de temps en compagnie de la voisine de palier... célibataire.

Pourtant, elle n’a aucune crainte à avoir. Notre amitié, a toujours été basée sur une profonde et parfaite complicité intellectuelle. Nous possédons le même sens de l’humour, les mêmes expressions de langage, nous aimons les mêmes films, les mêmes expos, les mêmes musiques. Notre seul véritable point de désaccord porte sur ma passion pour Madonna, enfin jusqu’à l’album Music. Je l’adore, il la déteste. Cette complémentarité est troublante, beaucoup de personne pense que nous sommes frères et sœurs. Il n’y a jamais eu d’attirance sexuelle entre nous.

Premièrement, je ne suis pas du tout son genre de fille. Il les aime plutôt petites, blondes et appétissantes, alors que je suis grande, brune et mince. D’ailleurs c’est moi qui lui ai présenté Emma, j’ai tout de suite su qu’elle lui plairait, et depuis il est fou d’elle.

Deuxièmement, nous nous connaissons trop pour risquer de mettre en péril notre amitié en devenant amants.

Nous nous sommes rencontrés il y a 7 ans, quand il a emménagé dans notre immeuble. Nous avons immédiatement sympathisé. A l’époque, j’étais en plein bonheur conjugal, j’aimais éperdument mon mari et j’attendais notre premier enfant

Je consulte mon portable pour voir si Astrid ou Florence ont essayé de me contacter, je n’ai aucun message. Je me sens tellement seule.
Si mes enfants étaient là, au moins, ils se glisseraient dans mon lit, nous ferions un énorme câlin devant un dessin animé. Leur douce présence m’apaiserait.

Je contemple cette cour, faiblement éclairée, si charmante, avec son allée bordée de petites maisons si caractéristiques du quartier. Dès que l’on pousse une porte cochère à Belleville, on ne sait pas quelle merveille se cache derrière. J’hume le parfum délicieux des jasmins.

Les enceintes continuent de diffuser des morceaux de Nina Simone, je reconnais la chanson

« Stars ». C’est à cet instant précis que mes dernières résistances se brisent.

Je glisse lentement par terre, sans faire attention à l’endroit où je me trouve, et je pleure, tête posée sur mes genoux, seule dans cette cour en proie à la peur et à la solitude.

Je perds toute notion de temps.

Une légère pression sur mon épaule me ramène à la réalité, j’entends une voix d’homme.

- Ca va ? Vous ne vous sentez pas bien ?

Je reconnais immédiatement celle du docteur. Je ne bouge pas. Les larmes ne semblent pas vouloir s’arrêter.

e sens de nouveau une main qui accentue sa pression. Une fois de plus, cette même chaleur qui prend possession de tout mon être.

- Mme Monceau, répondez-moi.

Il recule pour allumer la lumière. Je reste immobile. J’aimerai qu’il me laisse seule, je n’ai pas la force de l’affronter. J’ai les yeux brûlants et la tête endolorie.
L’espace d’un instant, je regrette de ne pas avoir eu la présence d’esprit de m’être éloignée de cette cage d’escalier. J’aurai dû penser qu’il allait sortir.

Je lui réponds sans relever la tête

- Tout va bien, je vous remercie. J’attends encore 5 mm et je vais rentrer. J’ai eu un léger malaise, rien de grave, j’ai juste faim, je n’ai pas encore dîné. Ne vous inquiétez pas, j’habite en face, il n’y a que la rue à traverser.

- Vous êtes sure ? cela m’ennuie de vous laisser toute seule. Je peux peut-être appeler une personne qui pourrait venir vous chercher ?

« Non, je suis désespérément seule » ai-je envie d’hurler.

Je reste muette, je lève légèrement la tête, et distingue sa silhouette longiligne. Il est debout et fait des petits pas de droite à gauche tout en écrivant sur son portable. Il ne me regarde pas. Une énorme vague de tristesse m’envahit de nouveau, je ne peux pas contrôler mes larmes. Je sanglote tout doucement.

Il plie ses jambes pour se mettre à mon niveau, il me prend par les épaules et me secoue légèrement.

- Constance qu’avez-vous ?

J’entends le clic de l’interrupteur. La cour est plongée dans l’obscurité. Cette fois, il n’esquive aucun mouvement. Je sens terriblement sa présence à mes côtés, ma respiration s’accélère, j’ai à nouveau des picotements dans le ventre.

Ses mains sont toujours posées sur mes épaules. Ce contact brûle ma peau.

Tout en répétant une nouvelle fois, mon prénom, il prend mon visage entre ses mains et m’oblige à lever la tête, je le laisse faire, et, à ma grande surprise, il commence à essuyer mes larmes doucement.

Son visage est seulement à quelques centimètres du mien, Il murmure d’une voix chaude des paroles apaisantes.

Je sais que son comportement ne rentre pas dans le cadre d’une relation patient médecin conventionnelle. Je devrais le repousser, mais, je me laisse faire, je n’ai pas envie de me soustraire de ce doux réconfort. Je suis envoutée, ce contact si sensuel réveille en moi des sensations que je croyais enfouies à jamais.

Mes joues ne sont plus humides, pourtant, il semble vouloir prolonger cet instant lui aussi. Son pouce marque une timide pause sur mes lèvres. J’ai le cœur qui bat à 100 à l ‘heure.

j’ai une folle envie d’embrasser ses doigts, sans réfléchir, j’entrouvre la bouche, et passe ma langue sur mes lèvres pour les humidifier. Sa respiration devient plus saccadée, il continue de caresser ma bouche, il touche légèrement mes dents.


De nouveau, des papillons envahissent le bas de mon ventre, j’ai envie de trouver refuge dans ses bras. J’entrouvre mes jambes, sans l’ombre d’une hésitation, il s’approche et je pose ma tête contre son épaule. Instantanément la chaleur de son corps se propage dans tout mon être et apaise mes tourments.

Il m’enlace plus fort et nous ainsi restons blottis l’un contre l’autre, sans parler. Il me caresse la nuque délicatement. J’entends seulement nos deux respirations et la douce mélodie de « I put a spell on you ». Je suis ensorcelée moi aussi.


Je perçois très distinctement les battements de son cœur. Mon rythme cardiaque s’affole. Il embrasse tendrement mon front, mes yeux, mon nez, mes joues et me murmure une nouvelle fois des mots doux, pleins de réconforts

- Constance, je ne voudrais surtout pas te donner de faux espoirs, mais je suis presque certain que ta grosseur est bénine. Je préfère vraiment attendre le résultat de tes examens, mais je pense que c’est juste un problème hormonal. Il pourrait s’agir, pour être simple, d’une poche avec du liquide comme de l’eau. Si mon pronostic est exact, il faut juste faire une ponction pour retirer ce liquide qui sera ensuite analysé. Je suis certain que dans une semaine, tu auras tout oublié.

- J’espère tellement que ton tu as raison, j’ai si peur.

Son portable vibre, son corps se raidit, il dessert légèrement son étreinte, il se lève, le consulte, remet de l’ordre dans ses vêtements, et me dit d’un air gêné.

- Et bien, je vais vous raccompagner. Vous m’avez dit que votre appartement se trouve en face de la rue ?

Il a repris une voix froide et impersonnelle. Son comportement me glace. Je ne peux m’empêcher de lui répondre sèchement :

- Je pensais que l’on se tutoyait.
- Oui, oui, excuse-moi, donne-moi ta main.


Je me lève sans saisir la main tendue. Je me sens si stupide de m’être laisser aller « je suis vraiment trop conne»

Nous traversons la cour, passons devant les voisins qui mangent des macarons en écoutant un morceau de Brigitte « Ah bouche que veux-tu ». Ils baissent la voix en nous voyant, je sens le rouge monter à mes joues, j’ai l’impression d’être une jeune fille prise en flagrant délit de séance de roulage de pelle.

J’essaie d’être la plus naturelle possible, mon esprit et mon corps sont en ébullition. Je murmure un vague

- Bonsoir, Je reçois en réponse un bonsoir collectif.

Je ne sais pas pourquoi mais j’ai tellement envie que Grégoire m’enlace et que nous retrouvions cette belle proximité.

Nous arrivons devant la porte cochère, je me retourne, je le vois pianoter sur son portable, il doit répondre probablement à sa femme.


« Mais putain Constance où as tu la tête ? c’est ton médecin bordel il est marié et n’est pas disponible où sont partis tes grands principes moraux ?»


Il lève la tête, nos regards se croisent, je crois déceler un sourire d’excuse apparaître sur ses lèvres.
La minuterie s’éteint une fois de plus, j’ouvre la porte pour fuir sa présence.

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