Chapitre 11
Alain a choisi un endroit très sympa pour son pot de départ qui se trouve juste en face de chez moi : La cave de Belleville. Ce lieu a ouvert depuis peu. Il manquait à la rue un endroit où l’on puisse manger, déguster, et acheter du vin. Trois copains ont retapé une vieille boutique de cuir pour la transformer en une vaste cave. J’aime cet endroit, le choix de vins y est excellent, c’est notre deuxième bureau comme aime le répéter Paul. Quand on rentre à gauche on y trouve une large sélection de vins, l’épicerie est à droite et au fond, il y a une vaste salle pour dîner.
Cette dernière, est privatisée pour la fête. Alain est là avec sa femme, et ses 3 fils. Je les salue tous. Je ne prête pas attention aux autres invités. Alain me tend un verre de vin blanc et nous trinquons.
Au bout de quelques minutes, je sens que l’on m’observe, je tourne la tête et je croise le regard de Grégoire. Je ressens instantanément une troublante sensation dans le bas du ventre.
Il est là, assis sur un tabouret et parle avec Stella, j’ai l’impression qu’il ne l’écoute pas. Il me dévore des yeux. Je le regarde et lui souris timidement. Je suis toujours aussi attirée par lui. Je détourne la tête pour dissimuler mon trouble mais j’ai conscience du moindre de ses mouvements
- Je ne savais pas que ton remplaçant serait là dis-je
- Je fête mon départ à la retraite, c’est normal qu’il soit là.
- Oui, tu as raison. C’est juste que je n’arrive pas à me dire que tu vas arrêter de
veiller sur nous.
- Tu arriveras à t’y habituer.
Sa réponse est couverte par le rire de Stella, ce bruit m’agace car je sais ce qu’elle cherche. Je ne peux m’empêcher de tourner la tête et je la vois rire à gorge déployée, une main posée sur son bras
- On dirait que Stella apprécie ton remplaçant.
- Oui, on dirait.
- Tu ne trouves pas qu’elle en fait toujours trop ?
- Tu sais c’est juste une carapace Constance. Elle manque terriblement de confiance, toi en revanche, tu n’en fais pas assez pour te faire remarquer. Je le regarde étonnée, il me sourit avec bienveillance.
Simon, se dirige comme par magie à côté de Grégoire et de Stella. Je le surveille de loin mais n’y vais pas.
Enfin Paul fait son entrée. Après avoir salué Alain Il me prend dans ses bras et m’embrasse.
- Hello beauté
- Salut, beau gosse lui dis-je ne passant ma main dans ses cheveux. Tu as été chez
le coiffeur ? C’est bien.
Même de dos je sens le regard de Grégoire posé sur moi, je n’ose pas me retourner. Paul parcourt la salle du regard
- Ah Stella est là aussi. Qui le mec avec elle ?
- Notre nouveau médecin...
Je n’ai pas le temps d’achever ma phrase que je m’élance dans leur direction
- NON SIMON !!!!!
Mon fils s’est mis en tête d’escalader un tabouret, au même moment, Grégoire lui parle et le prend tranquillement dans ses bras.
- Merci dis-je en arrivant à sa hauteur, et en le prenant dans mes bras. Chaton, il ne faut pas monter tout seul sur les tabourets, si tu tombes tu peux te faire mal.
- Je veux descendre Maman, je veux descendre
A contre-cœur, je le pose et je le laisse jouer à nouveau. Je reste là sans pouvoir émettre aucune parole. C’est Stella qui brise le silence :
- Salut Constance ça va ?
- Bonsoir Stella, Bonsoir Docteur
Grégoire me répond d’un signe de la tête, je remarque son regard. Je crois que ça l’amuse que je l’appelle docteur d’une façon aussi formelle.
- Constance, ça va ? Tu as l’air crevée, Il faut que tu arrêtes de faire la fête, toi. Et ces vêtements ne te mettent pas en valeur. Ce pull et ce pantalon sont bien trop grands pour toi, tu semble toute chétive habillée comme ça.
Quel coup bas, Je ne dis rien mais mes lèvres tremblent de fureur. Elle tourne la tête et s’exclame :
- Ah Paul est là, excusez-moi, je vais aller le saluer.
Je me sens comme une merde après cette phrase assassine. J
- Pourquoi n’as-tu pas répondu à mon message, j’étais inquiet. Tu ne m’as donnée aucune nouvelle
- Il ne fallait pas, tu avais raison, ton diagnostic était juste.
- Oui je sais, j’ai reçu les résultats depuis.
- Désolée, j’ai oublié de te prévenir, la semaine a été chargée.
Il ne répond pas
- Je pensais qu’en tant que de docteur, tu apprenais à mettre plus de la distance entre toi et tes patients. Tu es toujours aussi impliqué ? dis-je d’un ton moqueur.
Il reste silencieux, mais ne me quitte pas du regard. Il change de sujet
- Alors comme cela, ton fils s’appelle Simon, j’aime beaucoup ce prénom. Si j’avais eu un garçon, nous l’aurions appelé Simon. Finalement, j’ai eu 3 filles. Mathilde qui a 10 ans, Marie qui a 6 ans et la dernière Charlotte qui a 4 ans. Elle est toute blonde comme ton fils.
Connaître les prénoms de ses filles, me replonge tellement dans la triste réalité, je suis attirée par un homme marié qui a 3 enfants.
- Je vais aller me rechercher un autre verre.
Attend une seconde me dit-il.
- Tu veux boire quelque chose toi aussi ?
- Arrête, tu sais très bien que je ne veux pas de verre, je mords d’envie de me retrouver seul avec toi, depuis que tu es rentrée.
Il marque une pause, me regarde droit dans les yeux et murmure.
- Je ne suis pas du tout d’accord avec Stella, tu es resplendissante ce soir, j’aime ton petit côté Annie Hall, ce pull te va très bien dit-il avec un sourire désarmant.
Je rougis violement, les pulsations de mon cœur s’accélèrent dangereusement.
J’ai envie de me blottir dans ses bras et lui ouvrir mon cœur « Etre si proche de toi me rend folle, j’ai envie que tu me prennes dans tes bras, je ne cesse de penser à toi, ton regard me renvoie une belle image de moi, je ne m’étais pas sentie aussi belle depuis longtemps, je suis soulagée que ton diagnostic soit exact, ne retourne pas vivre avec ta femme »
Au moment où je m’apprête à lui répondre, il détourne son regard et je le vois fixer quelque chose dernière moi avec attention. Il semble contrarié, je pense que c’est Stella qui revient.
Je me retourne et là, j’ai un énorme choc. Je vois une femme magnifique faire une entrée majestueuse accompagnée de 3 petites filles toutes aussi jolies. Je sais immédiatement que c’est ELLE et que c’est SA FAMILLE.
Cette femme se déplace avec une aisance si naturelle. Elle ne marche pas, elle flotte. Elle s’arrête pour saluer Alain. J’ai l’impression qu’elle le connaît depuis toujours.
Elle est sublime : blonde avec un carré parfait. Elle me fait immédiatement penser à Rosamund Pike. Elle porte une robe blanche fluide, avec un léger décolleté qui laisse deviner une poitrine généreuse, des ballerines noires Repetto et le trio bag de Céline.
Je repense à la description que Grégoire avait faite d’elle. Il avait tellement raison.
Elle est solaire, tous les hommes présents la dévorent des yeux, tout comme moi.
Les 3 petites filles sont blondes comme leur maman, avec de beaux cheveux longs, de vraies petites filles modèles.
Elles arrivent à notre hauteur, Grégoire a remis une légère distance entre nous. Impossible de m’éclipser sans que les présentations ne soient faites. Elle l’embrasse sur la joue et lui dit « hello » à l’oreille. Je n’aime pas sa façon de montrer que cet homme lui appartient.
Immédiatement Grégoire fait les présentations.
- Constance, je vous présente ma femme, Amélie
« Ah, on repasse au vouvoiement ? »
- Amélie, Constante Monceau, une patiente.
Elle me regarde avec attention, elle me sourit, je remarque que ses dents sont parfaitement alignées mais son sourire n’exprime aucune chaleur, bien au contraire, il me glace.
- Enchantée
- Enchantée
- Tu veux boire quelque chose Amélie ? lui demande-t-il
- Oui, merci. S’il n’y a pas de champagne, je prendrai un verre de blanc du Sancerre
de préférence.
- Vous souhaitez quelque chose Constance ?
Ce vouvoiement m’exaspère. Il à l’air très à l’aise en présence de sa femme et de son coup du soir.
Je suis déstabilisée. Je ne m’attendais pas à voir sa femme. Je ne connais pas les règles du jeu, je suis pas armée pour affronter de telles situations.
- Vous pouvez me tutoyer docteur, lui dis-je en le regardant fixement, oui, un verre de vin blanc avec plaisir. Merci
- Venir jusqu’ici à été une véritable épreuve la circulation était affreuse, en plus, il est impossible de trouver une place, j’ai tourné 1⁄2 heure ; ce quartier est épouvantable.
Je ne sais pas quoi lui dire, je me contente d’une réponse laconique
- Oui, c’est compliqué
A sa façon de s’exprimer et de bouger, je sais toute de suite que cette femme ne vient pas du tout du même milieu social que moi. Une frontière indéfinissable se dresse immédiatement entre elle et moi. Elle possède cette assurance naturelle dont je suis totalement dépourvue. Assurance que j’ai remarquée également chez Paul. On à l’impression que le monde leur appartient de droit. Je la regarde plus attentivement, elle est atteinte d’une absence d’imperfection qui donne l’impression qu’elle sort directement d’un magasine de mode. Je me sens tellement insignifiante à ses côtés. En même temps, comment pouvais-je m’imaginer qu’il puisse être marié à une femme ordinaire. Elle est absolument ravissante.
Je cherche du regard Grégoire, je le vois discuter avec Paul. Ils rient. Je croise le regard de Paul qui me fait un signe de la tête. Amélie me demande :
- C’est votre mari ?
- Non, mon voisin.
Ils reviennent vers nous avec les verres. Grégoire fait les présentations
- Paul, ma femme Amélie
- Amélie, Paul de Roquefeuille.
- Enchantée Amélie.
La discussion s’engage très naturellement entre eux, Paul est dans son élément. Très vite Amélie, fait des connexions entre lui et des connaissances communes. Nous voilà plongés dans who’s who mondain.
Je ne prononce aucune parole car ils ne parlent que de personne que je ne connais pas. Il faut que je parte. Je vais voir Alain, et nous nous mettons d’accord sur une date et un ballet que nous irons voir ensemble. Je ne veux pas l’accaparer trop longtemps, c’est sa soirée.
Je vais aux toilettes, ils ne me voient pas y entrer. J’attends dans le couloir et je parviens à entendre leur conversation faite de name dropping.
- Oh tu connais Mathilde ? Iris aussi, ce n’est pas possible, c’est dingue.
La conversation évolue naturellement vers d’autres sujets, Amélie parle, avec cette intonation si caractéristique des gens bien nés.
- Comment fais-tu Paul pour vivre dans ce quartier ? Cela doit être usant, tout ce bruit, toute cette foule.
- J’adore bien au contraire. J’aime cette foule, cette mixité sociale. Si je décide de dîner un soir à 23h, j’ai le choix, je peux aller faire des courses le dimanche à 20h. Il se passe toujours quelque chose, ici. Je crois que je ne pourrais plus habiter dans un quartier plus bourgeois, plus conformiste où tout le monde pense la même chose, part en vacances au même endroit. Ma fiancée adore vivre ici, notre appartement est très calme. En plus, j’ai des d’amis Constance par exemple, je serai peiné de ne plus la voir aussi souvent
- Ah oui Constance ? où est-elle ?
Un silence s’installe quelque instant, puis elle reprend
- Justement en parlant de Constance, en la voyant je me suis immédiatement dit qu’elle correspondait parfaitement à l’image que je me faisais des femmes qui habitent ici. Tu vois le genre bohème, pas très élégante. Tu en penses quoi Grégoire, toi qui est habitué aux codes des versaillaises, tu vois une différence ?
- Je ne comprends pas ce que veux dire ?
- Ce que je veux dire c’est que c’est le genre de fille qui peut être attirante ici, car, il
n’y a pas beaucoup de concurrence. Admettez qu’elle n’est pas très féminine avec ses grosses chaussures et ce pantalon d’homme. Elle devrait faire des efforts. Tu la trouves séduisante ?
- Euh je ne sais pas Amélie, je ne me suis pas posé la question.
- La première fois que tu l’as vue qu’as tu pensé d’elle ?
- Elle était dans un sale état, pas vraiment à son avantage, je dois avouer. Si tu veux
vraiment avoir mon avis, Je pense qu’elle est trop maigre, elle serait beaucoup
plus attirante avec quelques kg de plus.
- Et toi Paul ?
- Je suis d’accord avec Grégoire, elle devrait manger plus...
Je ne veux pas en entendre davantage. Je suis blessée, mon cœur est en lambeau.
Je me sens comme un produit avarié, que l’on jette sans aucun regret devant un macaron de chez Pierre Hermé.
Je sors des toilettes comme une furie. Je les vois tous les 3 tourner la tête, surpris de me voir, ils semblent quelque peu gênés, pourtant Amélie me dit avec aplomb
- Ah vous voilà nous nous demandions où vous étiez ?
Je ressens une profonde antipathie pour cette femme. J’admire son sang froid, Ils doivent
apprendre cela à l’école des bourges « ne jamais être déstabilisé ».
- Et bien me voici. Simon, tu viens nous rentrons
- Déjà ? me dit Paul
- Oui déjà.
- Je vais te raccompagner
- Inutile, reste ici. Tu as l’air de t’amuser. Je le regarde, mes yeux sont remplis de
colère. Il comprend qu’il ne doit pas insister
Simon ne me répond pas, je ne suis pas d’humeur, à appliquer les méthodes Montessori, je vais le chercher et je le prends dans mes bras, ce qui a le don de le faire pleurer
- Bonsoir Amélie, j’enchaine pour ne pas lui laisser le temps de me sortir ses conneries de politesses.
- Bonsoir Docteur, bonsoir Paul.
- Je passerai te voir ce soir, si tu es là ?
- On se verra plus tard si cela ne te dérange pas ?
- Passes moi Simon, je vais le calmer. Il prend mon fil et lui chuchote des mots
doux à l’oreille. Ce qui l’apaise aussitôt.
- Demain, alors
- Non demain je suis prise
- Ah ? le week-end prochain.
- Tu as oublié, mais le week-end prochain je vais à Londres
- Ah oui c’est vrai, tu vas chez Marck. Amélie en profite pour reprendre la parole.
- Ah vous allez à Londres, nous adorons cette ville. Nous avons énormément de
connaissances qui y vivent. J’espère que vos amis habitent dans le centre, Londres est une ville tellement grande, c’est vite fastidieux de prendre les transports en commun. Cette femme essaie encore de prendre le dessus.
- Oui, ils vivent à Holland Park ; dis-je
Elle se contente de répondre
- Très chic
- Oui très chic. Bonne fin de soirée
Je leur tourne le dos et je prends congés d’Alain. Arrivée devant la porte de mon immeuble, une incontrôlable envie me pousse à regarder la boutique, et là, j’aperçois Grégoire derrière la vitre qui me regarde. Il esquisse un léger geste de la main.
Je me retourne sans lui répondre.
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