Chapitre 5 : Convocation imminente

6 minutes de lecture

Sur le moment, il me faut un certain temps avant de prendre pleinement conscience de ce qu’il vient d’énoncer. Puis, de façon incontrôlée, un rire nerveux s’empare de moi.

— Je te savais persévérant et prêt à tout mais là… réponds-je complètement hilare. Tu m’auras vraiment tout fait.

— Roxane…

— Sors de chez moi, sur le champ !

Cette situation me met hors de moi. Je sens la colère bouillonner en mon for intérieur, je ne vais pas tarder à exploser. Les larmes montent, mais je fais de mon mieux pour les retenir. J’en ai bien assez versé pour lui.

— S’il te plait, écoute….

— Je veux que tu dégages de chez moi ! Quelle personne saine d’esprit joue de la sorte avec les sentiments des autres ? Je me demande vraiment comment j’ai pu aimer un homme comme toi. Un manipulateur !

Les larmes inondent mes joues, ma voix se tiraille et mon cœur se brise. Face à moi, Robin semble complètement désarmé. Si je ne le connaissais pas, je pourrais presque le penser sincère.

C’est finalement dans un silence pesant, qu’il finit par quitter la demeure, me laissant seule avec ma tristesse.

Dès le premier jour, dès le premier regard je savais que cet homme causerait ma perte. Voilà ce qui arrive quand on fait primer le cœur sur la raison.

Le temps de me remettre de mes émotions de la matinée, me voilà en route pour le boulot. Clairement, je n’ai pas envie. L’idée de partager le même espace que l’interne ne me réjouit pas plus que ça.

Je marche à pas de mouche jusqu’au vestiaire, espérant passer inaperçue.

— Ah, Roxane, tu tombes bien, m’interpelle Lucas, qui sort de son bureau au même moment. Je suis en ligne avec le DRH, monsieur Barts, il souhaite s’entretenir avec toi.

— Quand ça ?

Il porte le téléphone à son oreille.

— Attends, je lui demande… Tu peux y aller maintenant. Je t’excuserai auprès de tes collègues.

J’obtempère d’un signe de tête et opère un demi-tour.

À l’extérieur, l’air est doux pour une fin de mois d’octobre. Les feuilles, qui commencent à prendre leurs teintes orangées, sont le reflet de l’automne qui se met en place. Bien que je reste subjuguée par ce cadre qui n’évoque en rien un hôpital, je ne peux m’empêcher de me demander les raisons de mon entrevue soudaine avec le DRH.

Je m’apprête à entrer dans le bâtiment en briques apparentes quand j’entre en collision avec quelqu’un qui en sort au même moment.

La lanière de mon sac à main profite de cette bousculade pour lâcher, répandant tout le contenu sur le sol. Sans un regard pour la personne en face de moi, je me baisse pour rassembler mes affaires.

— Oh, Roxane, je suis désolé, s’excuse l’homme à la voix que je ne connais que trop bien. Attends, je vais t’aider.

Il se baisse pour mettre ses paroles à exécution, mais je le mets à distance d’un mouvement de bras.

— Pas la peine ! Bien sûr, il fallait que le jour où je suis convoquée par le DRH, tu sois également dans le bâtiment. On dirait bien que le sort s’acharne sur moi. Enfin, si tu veux bien on m’attend.

J’entasse la totalité de mes effets dans ce qu’il reste de ma pauvre besace et prends la tangente. Le temps de monter les deux étages, mon téléphone vibre.

Robin :

« Mademoiselle, ne soyez point saisie, en recevant cette lettre, par la crainte qu’elle contienne une répétition des sentiments qui vous étaient hier au soir si repoussants. » Seulement, il me faut vous le dire, mon cœur saigne de ne trouver grâce à vos yeux. Pour cette unique raison, il me faut vous annoncer que j’ai demandé un changement de service. Bien qu’il ne vous reste que peu de temps en ces lieux, croisez votre regard au quotidien est un supplice auquel je ne veux me confronter. Vous comprendrez, je l’espère, les raisons de cette démarche que je tenais à vous faire part de mon propre chef. Bien à vous. »

Mais c’est quoi cette mascarade ? Comme si c'était son genre ce type de sérénade. Et puis, je rêve ou il a, en partie, cité « Orgueil et préjugés » ? Non pas que je doute de sa culture littéraire mais, c’est quand même fort qu’il cite mon livre préféré. Bien sûr, je me reconnais bien dans les traits d’Elizabeth Bennet : forte de caractère et bien orgueilleuse en amour, mais Darcy n’arrive pas à la cheville de mon interne… Heu non, mon interne n’a rien à envier à Darcy… Toujours pas ! Darcy est bien plus gentleman que Robin… Comment troubler mon attention en un rien de temps !

Ce n’est qu’après relecture que je prends pleinement conscience des informations qu’il me donne : il change de service ! Mais pourquoi ? Toute l’équipe l’adore à présent alors que moi, mes jours sont comptés. Je n’ai pas le temps de réfléchir davantage, que me voilà arrivée.

Je range mon téléphone dans la poche de mon jean et frappe timidement à la porte du bureau de monsieur Barts. Après avoir eu l’aval de mon supérieur, j’entre dans la pièce où trône un grand bureau en bois, qui me fait penser à ceux que l’on retrouve dans les films universitaire américain. C’est bien peu fier, que je prends place sur l’une des chaises qui fait face à mon bourreau.

— Mademoiselle Touerya, commence-t-il d’une voix neutre qui me donne des sueurs froides. Je ne pensais pas vous revoir si rapidement.

Il marque une pause, avance son siège et se redresse en posant ses avant-bras sur le bois foncé du secrétaire. Son expression indéchiffrable est loin d’être rassurante.

— Alors, vous avez fini par le trouver ce service qui saura honorer vos attentes. Je suis ravie pour vous.

Il exquise un léger sourire, presque bienveillant.

Elle est où l’arnaque ? Il ne m’a tout de même pas fait venir pour si peu !

— Merc, seulement, je suppose que vous ne m’avez pas fait venir simplement pour me féliciter ?

— Vous avez une bonne intuition, mademoiselle. Je souhaite reprendre avec vous les raisons de votre départ. Je sais que vous n’étiez pas franchement enchantée de nous rejoindre mais, j’aimerais savoir si votre opinion de la psychiatrie a évolué. Ou bien votre départ est-il précipité à cause d’un certain interne ?

Je me liquéfie sur place. Je tente tant bien que mal de rassembler mes esprits pour fournir une réponse cohérente, mais en vain.

— Quoi ?... Heu... Non…bafouillé-je incapable d’aligner deux mots.

Face à mon inaptitude à faire une phrase décente, il poursuit :

— Sachez que je viens tout juste de m’entretenir avec lui. Il m’a fait part de son envie de changer de service. En grattant un peu, il m’a exposé les raisons de son choix.

Quel enfoiré ! Il a décidé de me pourrir la vie jusqu’au bout.

Le plus consternant est l’émotion indéchiffrable de l’homme qui me fait face. Il ne semble pas en colère mais on voit bien que la situation le met dans l’embarras.

— Je ne sais pas ce qu’il vous a raconté, finis-je par me défendre, mais, en ce qui me concerne, je pars pour une autre raison bien différente. Vous connaissiez mes ambitions dès le début et je n’y ai pas renoncé. Alors oui, j’ai pris plaisir à découvrir la pédopsychiatrie, finalement, mais sachez que personne ne restera dans cette équipe tant que l’accueil n’y sera pas un peu plus chaleureux. Et pour cela, le docteur Echurti n’y est pour rien.

Je m’exprime avec beaucoup plus d’assurance qu’à mon arrivée. Même ma position est plus droite qu’auparavant. Entre Robin qui se sert de moi comme excuse pour changer de service et monsieur Barts qui me croit assez faible pour changer de service à cause de l’interne, je fournis un effort de titan pour ne pas céder à la colère qui pointe en moi.

— Bien ! conclut-il en se levant. Je voulais juste avoir votre version de l’histoire. Maintenant, si vous voulez bien, j’ai une réunion qui m’attend.

Il me montre la sortie d’un mouvement de bras. Je m’empare de ce qu’il reste de mon sac et le salue d’un mouvement de tête, avant de prendre congé.

— Je n’ai pas les moyens de vous retenir, mademoiselle Touerya, donc je ne m’opposerai pas à votre départ. En revanche, sachez que je donnerai un avis défavorable au changement de service de monsieur Echurti. Vous êtes adultes et professionnels, alors j’ose espérer que vous saurez faire la part des choses. Sur ce, bon après-midi.

Sa voix presque amicale ne colle pas avec le message qu’il cherche à me faire passer. Et son sourire sonne faux. Depuis le premier jour, j’ai du mal à me faire une opinion à son sujet. J’ai du mal à discerner s’il est réellement compréhensible ou si c’est une facette qu’il joue pour amener à avoir de la sympathie pour lui. Enfin, il est le cadet de mes soucis. En effet, j’ai un compte à régler avec l’interne et il se pourrait bien que ça fasse des étincelles.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire Amandineq ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0