Chapitre 12 : Divergence familiale

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Dans la voiture, que je conduis sans être vraiment concentrée sur la route, je ne cesse de me faire des reproches.

« Arrête un peu de t’en faire pour lui » s’insurge ma conscience. « Il est grand, il va finir par comprendre, puis il se pointera pour s’excuser, comme il le fait à chaque fois »

J’aimerai y croire, seulement, vu les remarques que je lui ai faites, je doute sincèrement que son ego l’autorise à venir sonner chez moi ce week-end.

« Et pourquoi ce ne serait pas toi qui ferait le premier pas, pour une fois ? » me sermonne-t-elle, « Tu as merdé, à toi de réparer ».

Ouais, enfin ça, ce n’est pas franchement le genre de mot inscrit dans mon vocabulaire. J’ai toujours préféré me couper un doigt, que de faire le premier pas après une dispute. Je sais bien qu’il va falloir que j’apprenne un jour, mais bon, si ça pouvait être dans longtemps ça m’arrangerait.

Mon conflit interne se poursuit alors que je m’engage dans l’allée de la maison. En arrivant sous le carport où l’on se gare, j’ai la désagréable surprise de constater que la voiture de mon père n’est pas là.

« Ah bah ça valait bien le coup de sortir une excuse bidon à Robin » se moque ma conscience. « Résultat : une embrouille avec ton mec et personne avec qui en discuter. C’est dommage ! »

C’est avec un agacement palpable que je claque la portière de ma Seat et que je me dirige vers l'entrée. Une fois à l'intérieur, je hurle à plein poumon :

— Y ‘a quelqu’un ? Eh oh …

Des bruits lourds de pas qui se pressent, se font entendre à l’étage. Un élan d’espoir renaît en moi.

— Tout va bien, mademoiselle ? Vous avez un problème ?

Florence s'inquiète, en dévalant les escaliers. Ma déception est grande ! Moi qui avait retrouver l'espoir que ce soit mon paternel. Je laisse tomber mon sac sur le sol et lui réponds :

— Pas franchement. Où est mon père ?

— Il ne va pas tarder. Il est allé récupérer sa voiture au garage. Elle devait passer le contrôle technique.

Une illumination me vient quand je me remémore la conversation que j’ai eue avec lui hier. Il m'avait bien dit quelque chose dans ce genre là, mais je l'avais complètement occulté.

« Petite cervelle ! » ricane ma conscience.

D'un bond, ma gouvernante se précipite sur le petit bazar qui se trouve à mes pieds.

— Attendez, je vais aller ranger vos affaires !

Je la coupe dans son élan :

— Non. Je vais le faire, Florence, ne vous inquiétez pas. En revanche je ne dirais pas non à une bonne tasse de thé.

— Avec plaisir, mademoiselle.

Un large sourire vient éclairer son visage puis, c’est en chantonnant, qu’elle se dirige vers la cuisine. De mon côté, après un long soupir de soulagement, je ramasse mes affaires et les monte dans ma chambre.

J’ai à peine le temps de m’installer devant ma tasse, que mon père franchit le seuil de la porte. Après de chaudes retrouvailles, il se lance dans le récit de sa semaine.

Voici maintenant plus d’une heure que je l’écoute attentivement rouspéter après ses collègues. Mon paternel a beau être un professionnel hors pair, il n’est pas très doué pour le travail d’équipe. Il a toujours tendance à rejeter la faute sur les autres, sans prendre conscience des responsabilités que lui incombent sa fonction. C'est finalement Florence qui nous interrompt :

— Le repas est prêt !

— On arrive.

Je commence à me lever, mais mon père me retient.

— Attends, Roxane !. Il faut que je te parle.

Son regard change, laissant transparaître une certaine appréhension. Je me rassoie, inquiète de savoir ce que mon père a à me revéler.

— C’est grave ?

Il prend ma main.

— Non. Bien sûr que non. Il y a juste un sujet que je dois aborder avec toi depuis un petit moment, mais je ne trouve jamais l’occasion de le faire.

Alors là, il pique ma curiosité. Moi qui pensais que l’on se disait tout, sans difficultés, ce doit être un sujet très sensible. Il plante ses yeux dans les miens et commence :

— Voilà ! Il y a quelques temps, lors d’une plaidoirie en Belgique, j’ai eu l’occasion de faire de nombreuses connaissances, tu te souviens ?

J’acquiesce d’un signe de tête, ne voyant pas pour autant où il veut en venir. Soudain, il semble plus gêné :

— À cette occasion. J’ai rencontré une femme, Amélia. Petit à petit, on s’est trouvé de nombreux points communs et de fil en aiguille on a commencé à se fréquenter.

Si je m’y attendais à celle-là ! Je le fixe, sceptique, attendant avec impatience la suite de son histoire.

— Si je fais autant d’allers- retours ces derniers temps ce n’est pas seulement pour le travail, avoue-t-il, enfin. D’une petite amourette entre adulte, c’est devenu sérieux et je projette d’aller m’installer avec elle, en Belgique.

L’information ne fait qu’un tour dans ma tête. Seule une chose m'inquète vraiment.

— Attend ! Quoi ? Et la maison ?

Visiblement mal à l’aise face à ma question, il baisse les yeux et tarde à répondre. Ce comportement n’est absolument pas habituel chez cet homme qui a toujours très fière allure.

— Il est temps pour nous de tourner la page et de la vendre.

« Mais, il ne va tout de même pas oser ! » hurle ma conscience, rouge de colère. « C’est toute notre vie qui est ici. »

Je ne vais pas le laisser faire une telle bêtise, surtout pour une femme que je ne connais même pas. Je cède à cette colère qui m'anime :

— Je récapitule ! Tu m’annonces droit dans les yeux que tu me mens depuis des mois et des mois sur la raison de tes absences répétées, et pire encore, que tu penses à vendre le seul endroit qui me rattache à ma mère. C’est quoi la prochaine étape ? Me demander d’accueillir agréablement ta nouvelle conquête et jouer les demoiselles d’honneur à ton mariage bidon ? Tu peux toujours rêver.

Je me lève précipitamment, pour échapper à cette conversation de malheur, mais c’était sans compter sur mon paternel, qui me retient fermement par le bras. Ses yeux me foudroie :

— Je ne pensais pas avoir élevé quelqu’un d’aussi égoïste. Tu te dis attaché à cette maison, mais n’est-ce pas toi qui pars pour Bordeaux dans quelques semaines ?

Je bouillonne littéralement de rage. Comment ose-t-il critiquer ce choix, alors que depuis le début, c’est lui-même qui ne cesse de se plaindre qu’en psychiatrie le travail est trop dangereux ?

— Au moins, moi je pars pour le travail ! Pas pour une pétasse, qui veut simplement se prélasser au Bahamas avec ton argent.

En moins de temps qu’il n’en faut pour dire « ouf », je prends une claque magistrale.

Mon premier réflexe est de plaquer ma main sur le point d’impact. Jamais de ma vie, mon père n’avait levé la main sur moi.

Dans le regard de mon père, il n’y a ni regrets, ni tristesse. La seule émotion qui semble l’habiter est la colère que lui a provoqué ce petit échange. De mon côté, les larmes me sont montées et perles maintenant sur mes joues. Je ne me suis jamais sentie aussi humiliée. Sans rien ajouter, je quitte la pièce à toute vitesse et pars me réfugier dans ma chambre.

Depuis près d’une demi-heure, je tourne tel un lion en cage. Dans l’espoir de me défouler un peu, j’ai envoyé valser tout ce qui se trouvait sur mon bureau, y compris une photo de mon père et moi lors d’un voyage en Andalousie. Les débris de verre se sont allègrement éparpillés sur la moquette de la pièce.

Je me jette sur mon lit, fatiguée de tourner en rond :

— Mais comment peut-il penser à faire une chose pareille ?

« Il ne pensait sûrement pas à mal » le défend ma conscience. « Il a été maladroit, c’est tout ».

— Maladroit ? Non, non et non ! Faire tomber un verre sur le sol, c’est ça être maladroit ! Là c’est de la bêtise à l’état pur.

Comme prise par un coup de folie, je me relève et me dirige droit vers le dressing qui me fait face. Moins de cinq minutes plus tard, je reviens les mains chargées de vêtements, que je dépose sur mon lit.

— Il veut jouer à ça ! Parfait ! Après tout, autant qu’il s’habitue tout de suite à mon absence.

Je retourne chercher une valise dans mon placard et la remplis des affaires que j’ai préparées plus tôt. Je fais rapidement le tour de mes produits de beauté et d’hygiène et balance ma trousse de toilette dans la mallette.

« Tu fais une belle connerie ! » s’insurge ma conscience. « Ce n’est pas de cette façon que tu obtiendras gain de cause ».

Je l’ignore, empoigne mon bagage et dévale quatre à quatre les escaliers. Avant que je n’ai le temps d’atteindre la porte de sortie, mon père s’interpose.

— C’est ça, ta façon de régler un conflit ? Je te pensais plus mature que ça.

Je lui passe devant.

— Ah chacun sa déception ce soir. Moi je pensais que tu accordais un peu plus d’importance à nos souvenirs. Tu vois, on s’est trompés tous les deux.

— Roxane. On ne va tout de même pas en rester là.

Agrippé à ma valise, son regard change de teinte. La tristesse le gagne et vient tirer les quelques rides autour de ses yeux. Il est certain qu’il ne s’attendait pas à ce que la soirée se déroule ainsi. La colère en moi est si forte, que je ne compte pas faire machine arrière. Quand je disais que l’on est une famille de bornés !

— Tant que tu ne changeras pas d’avis sur la maison, considère que tu n’as plus de fille !

Les mots raisonnent si fortement, que mon père lâche immédiatement sa proie.

" Mais tu es une grande malade ! " me réprimande ma conscience. " Tu te rends compte que c’est à ton père que tu viens de parler ? Et puis tu sais ce que c'est le chantage affectif ?"

Peu importe ! J’aurais bien le temps de penser aux conséquences plus tard. Pour le moment, la seule chose dont j’ai envie, c’est de partir loin de cette maison.

Je me précipite pour mettre le bagage dans le coffre, m’installe au volant de la voiture et démarre telle une petite bombe, de peur que mon père ne tente quoi que ce soit pour m’arrêter.

Après près d’un quart d’heure à errer dans la ville, la dispute tourne en boucle dans ma tête et les larmes se sont de nouveau emparées de mes joues. Incapable de voir quoi que ce soit, tant ma vision est troublée, j’arrête mon véhicule sur la première place libre que je trouve.

Mes larmes se transforment en de francs sanglots et ma colère devient une tristesse envahissante. Au-delà de cette altercation avec mon père, il y a tant de questions qui me viennent : Que vais-je faire ? Où vais-je aller ? Mais qu’est-ce qu’il m’a pris ? Pourquoi il nous fait ça ? Et Florence, que va-t-elle devenir ?

« Oulala, une question après l’autre, tu veux bien ? » supplie ma conscience qui semble perdue dans toute mes réflexions. « Commençons par trouver où dormir car, la Ibiza est cool mais ce n’est pas non plus un palace. »

C’est alors qu’une ampoule clignote dans ma tête. Il y a bien une personne qui était prête à m’accueillir chez lui ce soir et qui pourrait être un soutien.

Je m’empare de mon sac et pars à la recherche de mon téléphone. Je remonte le fil de la conversation et retrouve l’adresse envoyée plus tôt dans la semaine. Finalement, nous allons l’avoir notre soirée.

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