Fresques, gravures et momies

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 L’endroit était humide, je pensais immédiatement à un cellier, une cave sur lequel le sol s’était effondré et qu’on avait recouvert de planches, afin de faire un nouveau sol, elles-mêmes recouvertes par la terre à la suite de l’abandon du château. Une chose me venait en tête : comment cette terre fut-elle ici ? Qui l’a amenée ? La facilité avec laquelle je l’avais enlevée m’étonna. En y repensant, je n’avais pas remarqué comme l’environnement était changeant. Il y avait toujours un détail… L’émerveillement de la renommée que pouvait m’apporter cette découverte chassait la peur.

 Je remarquais rapidement avoir fait erreur sur le caractère de cette découverte, ce n'avait pas l'air d'un cellier ou d’une cave : deux piliers rectangulaires de chaque côté étaient décorés, celui de gauche par la gravure d’un homme hippocéphale et celui de droit par celle d’un homme bovicéphale. Je ne savais que penser, mais dans notre mythologie actuelle, Tête-de-bœuf et Visage-de-cheval sont deux gardiens des Enfers, qui prennent les âmes défuntes pour les mener devant leur jugement. Mon cœur se mit à tant battre après les avoir discernés que je portais la main à ma poitrine, espérant que les ancêtres avaient une mythologie moins macabre. J’avais déjà vu des gravures très anciennes, mais celles-ci m’étaient inconnu par leur style. Elles semblaient primitives, mais, en même temps, si finement réalisées.

 En m’enfonçant dans le couloir, je faisais attention aux décors qui ornaient les murs, parfois le sol et le plafond. Je reconnaissais bien le style assecariote, mais des détails ou des ornements plus importants me rappelaient à la fois l’art minoen et omeyyade. C’était impossible : malgré les échanges entre l’empire et les civilisations ouest-asiatiques, le site était déjà abandonné depuis longtemps. La technologie entre la fin d’Assecare et le développement de l’État d'Erlitou, au début du deuxième millénaire avant notre ère, ne permettait pas une telle prouesse. On n’avait aucune archive de cette entreprise, ce qui rendait ma découverte plus fabuleuse encore ; la Renommée pouvait déjà souffler mon nom dans sa trompette !

 Je m’enfonçais, seul ma montre et mon téléphone me permettaient de connaître le temps que je passais dedans. Pour autant, j’avais l’impression que les deux m’étaient inutiles, que le temps avait son propre cours. Les montres et les humains me suivaient du regard. Les quelques créatures inhumaines, terrestres ou aquatiques, que je pouvais voir me surprenaient par leur indescriptibilité. Elles étaient sorties d’une imagination tordue ; j’espèrerais que leur existence n’était pas vraie, car leur monstruosité surpassait celle de ces fausses sirènes, composées du haut d’un singe et du bas d’un poisson.

 Je voyais des créatures humaines devenir progressivement animales ; d'autres figures étrangement accoutrées dans leur vie quotidienne. On voyait des plantes avec des bouches. Il semble que cela était la description d'une époque ancienne, antédiluvienne ; un mythe inconnu, mais assez populaire ou important pour que le commanditaire le fasse figurer ? Je finis par m’y habituer, ces représentations devinrent plus familières, même si elles me déroutaient.

 En continuant de m’enfoncer, je m’intéressais de près à cette flore et cette faune diverse, qui aujourd’hui n’existait plus — si elle avait un jour existé. Une grosse anguille à la bouche spatuloïde attira mon attention et me fis rire doucement. Je regrettais immédiatement mon action spontanée, car l’acoustique de l’endroit était redoutable, je craignis de faire s’écrouler les murs et le plafond. J’avais surtout peur d’attirer quelque chose ou quelqu’un…

 Mais il n’y avait rien ni personne, alors je continuais ma descente. Je n’avais plus consulté ma montre ou mon téléphone depuis longtemps. Je les avais mis dans mes poches, je n’osais pas regarder de peur de voir combien de temps j’étais ici. Les données mobiles étaient désactivées. J’avais tellement peur, mais me persuader qu’il faisait encore jour et que je n’étais pas dans ces entrailles depuis longtemps me forçait à continuer, pour ne pas paraître lâche. En évitant de regarder l’heure, j’évitais de penser à toutes les activités qui pouvaient m’appeler à la surface, je n’avais aucun prétexte pour remonter. Soudain, en arrivant à un étage inférieur, je fus pris de vertiges, ce que je mis sur le compte de la pression de l'air. Certains passages étaient étroits, je devais me baisser, presque ramper parfois. Tout cela me déstabilisa.

 J’essayais de cartographier mon chemin pour ne pas me perdre, mais cela s’avérait difficile tant il y avait de dédales. À un moment, je pouvais enfin me tenir correctement et je vis une grosse et lourde porte de pierre, avec de la lumière derrière, sans que je comprenne quel en était la source. Je rassemblais mes forces pour ouvrir cette porte sur laquelle était représentée une figure humaine, si douce et si androgyne, habillée comme les Assecariotes de jadis. La lumière était aveuglante, je dus me protéger les yeux.

 Je sentis qu’elle baissait, alors je me vis arriver au dernier d’une sublime et spacieuse salle circulaire à trois étages, avec des portes et des niches à chacun. Je m’avançais vers le muret, construits pour empêcher les gens de tomber, pour voir alors une végétation au rez-de-chaussée, au centre de laquelle était un lac souterrain. Mais alors que je descendais un escalier raide, je me cassais la figure et tombais par terre.

 Une étrange odeur que je n’avais pas sentie auparavant, à la fois sucrée et épicée, me fit tomber dans les pommes. Je n’ai pas sus combien de temps je restais ainsi, mais il me sembla que cela ne dura pas trop longtemps. Après avoir repris mes esprits correctement, je me relevais et, vérifiant que je n’avais aucune blessure, décidais de me mettre en route pour de bon vers cet étrange endroit.

 Je pensais déjà à comment j’allais expliquer mon récit : ce détail devait être oublié, me suis-je dis. Mais non, il ne faut pas, il est crucial ! La médecine et ses collègues ne veulent pas me croire, affirmant que je suis en état de choc, que je divague, que cela est le fruit de ma folie. Mais je n’ai pas rêvé, non. C’était tout à fait réel, comme eulles et moi et nous !

 Je sais ce que j’ai vu — et vu de mes bons yeux vus ! —, ce que j’ai senti — et je sens intensément les choses depuis mon enfance ! —, ce que j’ai entendu — et mes oreilles étaient certainement débouchées, elles le sont toujours et mon ouïe est fine ! —, ce que j’ai mangé et ce que j’ai bu. Je le sais, je le sais. Mes sens ne me trompent pas. Ils ne me trompent jamais. Mon instinct est toujours le bon, je le sais !

 En me réveillant, il faisait nuit. Je ne savais d'où cela venait, mais une brise soufflait doucement dans la pièce. Elle était douce. Ma vision était encore troublée, mes yeux s’ouvraient péniblement, mon corps était endolori. Je reprenais peu à peu conscience de mes membres, comme si j’avais dormi longtemps. Autour de moi, je fus surpris de voir que les mousses sur les murs étaient phosphorescentes. Mais plus encore, des effigies hideuses et difformes dans les niches m’intriguaient au plus haut point. Je rassemblais mes affaires, j’avais l’impression d’être comme en plein jour !

 En m’approchant d’une momie, j’eus une vive exclamation d’effroi et un mouvement de recul : ce n’étaient pas des effigies, mais des momies ! Sous un masque et des bandelettes, que j'ai pensées pétrifiées avant de me rendre compte que ce n'était que de la poussière, le corps était proche de celui d’un humain, mais le reste tenait du poisson. Une telle incongruence me choqua. Je crois me souvenir courir dans tous les sens, monter et redescendre à toute allure : dans toutes les niches, les mêmes momies. Je hurlais de façon suraiguë, à casser du verre… à réveiller les morts.

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