Chapitre 15

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Une nouvelle semaine qui se termine et, plus les jours passent, plus les cours commencent à être vraiment denses et le travail à s'intensifier. Je passe le plus clair de ma journée soit en amphithéâtre soit à réviser à la bibliothèque. Autant dire que j’ai la vie sociale d’un moine. Enfin, j’exagère parce-que j’ai tout de même ma fidèle acolyte Elodie, même si nos discussions se résument à « Tu as compris ce qu’il a dit, toi ? » ou encore « J’ai besoin d’aide pour comprendre, là ».

Enfin, quelque part ce n’est pas plus mal que mon esprit soit autant occupé car cela m’évite de trop cogiter à mon plus gros problème : mon père. Ce n’est pas compliqué, il était présent devant mon bâtiment tous les matins, espérant sûrement pouvoir m’accoster et il était toujours fou de rage de constater que je ne venais pas seule. Oui, Mathieu s’est autoproclamé garde du corps et a décrété qu’il m’accompagnerait en cours même s’il commence plus tard que moi. Mais, bien évidemment, mon père a de la ressource et comme il ne pouvait pas emprunter la voie directe, il n’a eu de cesse de m’envoyer des messages. J’ai bien essayé de les mettre en Spam mais il change de numéro régulièrement. Et, un soir, alors que je rentrais avec Jonathan, j’ai même eu l’impression d’être suivie. Je commence vraiment à devenir parano.

Vu les effusions provoquées en début de semaine, j'ai pris la décision de mettre Simon au courant de chaque SMS que je reçois. Ce qui n’est pas pour me plaire car, j’en reçois tellement, que j'ai l'impression de passer pour une gamine qui se plaint tout le temps.

Heureusement pour moi, je peux compter sur le soutien sans failles de toute cette petite troupe sans laquelle j’aurais déjà baissé les bras. Que ce soit Elodie, qui me supporte des journées entières, Simon qui a, semble-t-il, définitivement endossé le rôle du frère protecteur, Mathieu qui veille sur moi du matin au soir et du soir au matin ou encore Jonathan qui tente par tous les moyens de me faire penser à autre chose, ils m’ont tous montré que je pouvais leur faire confiance et je dois admettre que c’est appréciable.

Dans le courant de la semaine, Simon a tenté d’avoir une discussion avec Nate pour l’informer des démarches qu’entreprend Samuel pour essayer de me déloger. Il m'a expliqué que notre frère a reconnu que notre père est capable des pires horreurs, mais qu'il n'est pas prêt à l'affronter pour "une fille débarquée de nulle part". On est d’accord que cela ne fait pas plaisir à entendre, mais vu la tournure que prend ma relation avec Nate, je ne vais pas me vexer et je respecte son choix. Comme dit Simon "il lui faut simplement du temps".

Comme tous les soirs, après avoir laissé Elodie et Simon devant les portes du bâtiment des sciences, je m’apprête à rejoindre Jonathan pour notre marche quotidienne jusque chez nous. Avec lui rien n'a changé ou évolué. Plus je passe du temps avec lui, plus j’ai cette étrange sensation que mon corps me trahit. Il y a comme une sorte d'attraction entre nous qui fausse toutes mes résolutions. C'est incroyable ! Je n'avais jamais ressenti ça auparavant. Lorsqu'il est loin de moi, tout est clair dans ma petite tête, mais dès que je suis en sa présence tout se trouble et mes décisions partent en fumée. Et s'il me touche, alors là, je ne réponds plus de rien. Si je devais être honnête envers moi-même, je dirais qu’il n’y a clairement pas que de l’amitié entre nous et cela me trouble. J’ai cette désagréable impression de me jouer de lui et de lui envoyer de mauvais signaux alors que tout ce que je souhaite c’est justement de ne pas le faire souffrir.

Visiblement, il se fait désirer ce soir car cela fait bien dix bonnes minutes que je l’attends à notre point de rencontre habituel alors que généralement, il finit les cours avant moi. Au bout d'un certain temps, je me décide à lui envoyer un message qui reste sans réponse alors je tente de l'appeler. Ça ne sonne pas et je tombe tout de suite sur sa boîte vocale. Finalement, je décide de rentrer seule, son cours à dû se prolonger et il n'avait plus de batterie pour me prévenir.

C’est avec une certaine appréhension que je fais le trajet seule. Non seulement je vire parano, mais en plus tout sens logique m’a clairement quitté. Je ne peux m’empêcher de regarder tantôt à gauche, tantôt à droite ou encore à me retourner tous les deux mètres pour vérifier que l’on ne me suit pas. Le plus drôle, c’est que je me suis même surprise à regarder en l’air. Non mais sérieux ? Comme si un parachutiste allait m’attaquer. C’est tout de même avec un soulagement certain que je franchis les portes de mon immeuble.

À mon arrivée à l'appartement, Mathieu est déjà là. Ce n’est pas souvent qu’il rentre avant moi mais j’aime me dire que je ne vais pas avoir de temps pour trop cogiter. Alors que j'enlève mes chaussures dans le couloir, il me dit depuis le salon.

- Tu as du courrier sur le meuble à chaussures ma p'tite.

Je constate en effet qu'il y a deux enveloppes qui attendent d'être ouvertes. Sur la première je reconnais tout de suite l'écriture belle et soignée de ma grand-mère. Oui, mes grands-parents sont restés très vieux jeu, la technologie ce n'est pas leur truc. Ma grand-mère m'a toujours dit "Un mot écrit vaut mille SMS car il transmet bien plus de passion". Autant vous dire qu'il est inutile de lui parler de Facetime.

J'ouvre l'enveloppe et sors la feuille imprimée de jolies tulipes sur laquelle il est écrit :

"Coucou ma petite chérie,

Alors comment se passe ta rentrée à la fac ? Est-ce comme tu te l'imaginais ? N'ayant pas eu de tes nouvelles, avec ton grand-père nous avons pensé que tu as beaucoup de travail.

As-tu vu Nate et Simon ? À vrai dire, nous supposons que oui, car nous avons eu ton père au téléphone. Il est très en colère. Il ne comprend pas que nous ayons approuvé ton choix de fac, en sachant tous les efforts qu'il avait faits pour t'éloigner. Je lui ai simplement dit que tu es assez grande pour faire tes propres choix et vivre ta vie.

Quoi qu'il arrive et quoi que te dise ton père, bats-toi pour tes choix ma grande, car je ne suis pas sûre qu'il te facilite la tâche.

Sinon, c’est comment Paris ? Êtes-vous aller voir le Sacré Cœur avec Mathieu ? Je sais que c’est l’un des moments que tu avais le plus hâte de découvrir. Et le Louvre alors ? Oh ! Si tu savais comme on aimerait faire toutes ces belles découvertes avec toi ma petite chérie. D’ailleurs, avec ton grand-père on envisage peut-être de venir. Mais tu sais, les jours passent vite et occupé comme on est, on y pense puis on oublie.

Quoi qu’il en soit, saches que nous sommes très fières de la jeune femme que tu es devenue. Nous t'aimons très fort.

N'oublie pas d'embrasser Mathieu pour nous.

Gros bisous. Papy et Mamie qui t’aiment"

Il n'y a pas à dire ma grand-mère sait mettre les sentiments sur papier. Cette lettre me fait chaud au cœur, mais elle me laisse aussi un goût amer. Si ma grand-mère, qui est la mère de mon père, me met en garde contre lui, c'est que je ferais bien de me méfier.

- Matt ? Mes grands-parents t'embrassent, dis-je en criant depuis l’entrée car je n'ai pas bougé d'un pouce pendant ma lecture.

- Ils sont adorables, me répond-il. Dans ta prochaine lettre, dis-leur que je les embrasse aussi.

- Tu peux aussi leur écrire, tu sais, l’informé-je alors que je le rejoins sur le canapé.

- Avec mon écriture en patte de mouche, il y a peu de chance qu’ils arrivent à me lire, blague-t-il en me prenant dans ses bras.

Je rigole, tout en posant ma tête sur son épaule. Je ne sais pas quelle divinité s’est penchée sur mon cas ce jour-là, mais je suis chaque jour reconnaissant d’avoir croisé la route de ce petit blond édenté et casse-cou.

Je range la lettre bien précieusement dans son enveloppe et me dirige dans ma chambre pour la stocker dans la boîte prévue à cet effet. Oui je suis de celle qui garde précieusement tout et n’importe quoi dans un carton. Le mien a même un nom, « La ligne des souvenirs ». Je l’ai ouvert pour la première fois lors de mon arrivée chez mes grands-parents pour y placer un t-shirt que j’ai subtilisé à Nate avant de partir puis, je n’ai cessé de le remplir avec tout un tas de trucs et babiole qui, aux yeux du commun des mortels semblent sans valeur, mais qui a mes yeux valent bien plus que tout l’or du monde. Ainsi on y retrouve : tout un tas de photos souvenirs des différentes années que j’ai passé chez mes grands-parents, un hameçon de ma première canne à pêche offerte par mon grand-père, un rouge à lèvres volé à ma grand-mère que j’utilisais quand je me faisais mes histoires, seule dans ma chambre, les tickets de mon premier cinéma seule avec Mathieu et de notre premier concert. Il y a aussi tous les cadeaux et lettres d’anniversaires que Mathieu m’a faits. C’était comme un rituel, chaque année la consigne était une lettre et un cadeau fait main. C’est comme ça que je me retrouve avec des colliers de pâtes, des portes clés en pâte à sel ou encore des sculptures en papier mâché. Dedans s’y trouve aussi le fameux t-shirt de Nate et toutes les photos de classe de mes frères. Cette boîte contient toute ma vie, c’est un trésor qui n’a pas de prix.

Plus je fouille dans ce grand carton, plus les souvenirs qui refont surface me rendent nostalgique. C’est alors que je le retrouve : mon journal intime. Le seul, l’unique car je n’ai jamais été de celle qui couche leur journée ou sentiments sur papier. Cela doit faire des années que je ne l’ai pas ouvert alors, dans un élan de curiosité j’entreprends de le lire. Ah ! comme je disais, pas de mots, pas de sentiment, même pas de date. Juste un tas de dessins qui s’enchainent au fil des pages. La plupart sont des animaux un peu amochés : chien à trois pattes, chats borgnes… Maintenant que j’y pense, je devais être dans ma période directrice d’une SPA. Oui, j’ai eu des ambitions de carrière un peu spéciales. Alors que je tourne les pages en contemplant mes chefs d’œuvres, je me retrouve face à un dessin qui m’horrifie légèrement. Un gros cœur rouge dessiné sur la double page avec deux initiales à l’intérieur « C+ M ». Mais à quel moment j’ai dessiné un truc pareil ? Je ferme rapidement le cahier, je le remets bien au fond de la boîte que je cache au plus profond de mon armoire. C’est alors que je repense à la question d’Elodie :

-Vous n’avez jamais pensé…

Et ce « Non ! » si franc et sec.

Bon aller, on arrête de se triturer le cerveau ! Ce n’est pas comme si Mathieu était l’homme de ma vie, hein ! Donc l’incident est clos.

Je me suis tellement perdue dans mes pensées et dans la nostalgie de cette boîte que j’aurais mieux fait de ne pas fouiller, que j’en ai oublié la deuxième lettre. Alors que je l’inspecte, je remarque qu'il n'y a que mon nom et prénom écrit dessus, mais pas d'adresse, elle a donc été mise directement dans ma boîte aux lettres. Je l'ouvre et je sors la totalité de son contenu. Lorsque je réalise ce qu’elle contient, mon cœur se brise. Les larmes me montent aux yeux instantanément et mon corps devient si lourd à supporter que, si je n’avais pas été installée sur mon lit, je serais surement tombé à genoux. D’instinct je fais la première chose qui me vient à l’esprit, je crie :

- MATHIEU !

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