Chapitre 7 : Partie 2 : Aelia

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— Aelia ?

Ses pensées s’interrompirent. Ilara la regardait d’un air… inquiet ?

En réponse, Aelia lui sourit. Puis elle attrapa un autre livre et reprit ses recherches pour le reste de l’après-midi.

À plusieurs reprises, Ilara la supplia presque de faire une pause, mais Aelia refusait. Elle voulait des réponses.

Après avoir inspecté les huit ouvrages empilés devant elle, elle apprit que la brume du comté de Baltan était un rempart naturel : seuls les habitants savaient comment ne pas s’y perdre. Quant aux marécages, ils étaient ce qu’il y avait de plus meurtrier, si l’on y tombait, on y était englouti vivant.

Ça donne pas très envie… se dit-elle

Mais sur Talharr, rien. Elle dut se rendre à l’évidence : Ilara avait peut-être raison.

Comment l’histoire de la création du monde aurait-elle pu disparaître ainsi ?

Elle chercha la bibliothécaire du regard. Ilara était en train de ranger des livres à l’étage. Aelia cria pour se faire entendre :

      — Auriez-vous d’autres ouvrages sur l’histoire de la terre de Talharr ?

      — C’est censé être un lieu où seuls les pages qui se tournent font du bruit, souffla-t-elle depuis l’étage.

      — Oups. Pardon, Madame, s’excusa Aelia, faussement repentante, tandis qu’Ilara redescendait.

      — Aelia, je peux être franche ? dit-elle.

      — Euh… Bien sûr, oui.

      — Tu devrais oublier cette histoire de Talharr. Ça ne t’apportera rien. Ce dieu a disparu, c’est la seule chose à retenir. Pense plutôt à ton avenir.

Aelia resta bouche bée, les joues en feu.

J’ai justement aucune envie de penser à mon avenir.

     — Je ne comprends pas… Je veux juste en apprendre plus sur…

     — Non. Certains savoirs sont dangereux. Tout le monde ne partageait pas les idéaux de Talharr. Je n’en sais pas plus que toi, mais je sais que c’est un sujet très sensible dans certains comtés et royaumes.

     — Mais… vous m’avez dit que l’histoire a été oubliée ?

Ilara s’assit lourdement sur une chaise.

     — Oui, par la majorité. Et c’est très bien ainsi. Cela évite une nouvelle guerre entre les partisans des deux dieux.

Aelia la fixa.

Elle en sait plus qu’elle ne le dit…

     — Vous semblez bien informée pour quelqu’un qui n’en sait pas plus que moi ! lança-t-elle sèchement.

Le visage d’Ilara s’assombrit. Sa tristesse était palpable.

     — Je n’en sais pas assez pour répondre à tes questions. Et ce que je sais… ne vaut pas la peine d’être partagé.

     — Mais je veux connaitre toute l’histoire !

Une pointe de colère s’ajouta au chagrin sur les traits d’Ilara.

    — Pour une fois, écoute-moi. Je t’en supplie, Aelia. Oublie cette histoire. Pour le bien de Vaelan. Ne pose plus de questions à ce sujet.

Que se passe-t-il ? Elle… Elle a peur ? Pour moi ?

     — Mais pourquoi ? Pourquoi êtes-vous tout à coup effrayée ? On dirait que Talharr va surgir devant vous !

     — Tout ce que je peux te dire, c’est que cette histoire n’apporte que des ennuis. Et toi, Aelia… à part cette bibliothèque, tu es tout ce que j’ai. Je ne veux pas te perdre à cause de quelque chose qui n’existe plus.

Les yeux d’Aelia s’écarquillèrent. Son cœur battait à tout rompre.

« Tout ce que j’ai » ? Elle a dit ça ?

Elle ne savait quoi répondre. Elle se sentait idiote d’avoir insisté… mais cette mise en garde la rendait encore plus curieuse. Pourquoi serait-ce dangereux ?

     — Je sais que tu crois que ces moments passés ici sont les seuls où tu peux respirer. Et je serai toujours là, je répondrai à toutes tes questions. Tu pourras même m’embêter avec tes remarques et tes bruits incessants. Mais je t’en conjure : oublie cette histoire. Demain est un jour important. C’est tout ce qui compte.

     — Je…

Aelia sentait ses joues s’embraser. Jamais Ilara ne lui avait parlé ainsi.

La bibliothécaire jeta un œil aux fenêtres.

     — Le soleil se couche. Tu as déjà passé trop de temps ici. Va rejoindre ton père. Et pas un mot sur notre discussion.

Aelia hocha la tête, sans vraiment comprendre ce qui venait de se passer.

     —  Allez, file, dit Ilara avec un sourire timide.

Elle jeta un dernier regard vers Ilara, immobile sous la lumière mourante. Puis contre sa propre envie, Aelia acquiesça et partit en direction de la salle à manger.

Sur le chemin, encore éclairé par la lumière naturelle, elle repensa à ce que lui avait dit Ilara.

D’abord elle me dit que cette histoire avait été oubliée et ensuite qu’il faut que j’arrête de poser des questions et de n’en parler à personne… Elle ne voulait pas me perdre pour un nom qui n’existe plus.

Pourtant ce nom l’avait complétement bouleversé.

Plusieurs émotions traversèrent Aelia : une pointe de gaieté, de la colère et cette envie de ne pas obéir.

J’ai besoin de savoir.

Mais elle n’avait pas non plus envie de trahir Ilara, surtout après les mots qu’elle avait prononcés.

Finalement elle décida qu’elle remettrait cette pensée à plus tard. Aelia se trouvait devant l’entrée de la salle à manger.

Lorsqu’elle passa la porte elle se retrouva dans une grande salle. La table qui y était installée était plus longue que d’habitude.

La visite des gens du comte de Baltan…

Alistair était assis dos à elle fixant deux blasons qui ornaient le mur du fond : celui de Vaelan avec son ours posté sur la montagne et à côté un marécage en contre bas d’un pic d’une montagne dont le reste était perdu dans une sorte de brume.

Comme dans le livre, sourit-elle, discrètement.

Elle s’assit, à côté de son père.

Ils restèrent là, silencieux. Aelia retenait son souffle.

Soudain des serveurs entrèrent en un grand fracas, mirent assiettes et couverts puis placèrent les plats.

Elle les remercia d’un sourire et ils prirent congés. Les laissant de nouveau dans un monde sans son.

Le regard d’Alistair se posa sur elle et ses yeux semblaient s’être illuminés.

     — Aelia, ma fille. Tu es… magnifique.

Elle ne répondit pas, elle était en même temps touchée et énervée.

Même si elle avait accepté sa destinée, cela ne la rendait pas plus merveilleuse.

Alistair prit une grande inspiration :

     — Je suppose que tu es au courant.

Toujours aucune réponse.

     — Le comte Baltan et son fils aîné arriveront demain. Leur visite ne durera que quelques jours.

Aelia sortit soudainement de son mutisme :

     — Je ne vous en veux pas père. Mère m’a dit de garder confiance en vous deux. Mais expliquez-moi ? Pourquoi ce mariage ?

Il écarquilla les yeux.

     — Ta mère ?

     — D’abord vos explications et vous aurez ensuite la mienne, dit Aelia d’un ton ferme.

Alistair souffla.

      — Je suppose que je n’ai pas le choix, dit-il en souriant. Eh bien, comme je te l’ai déjà dit, il serait important que nos deux comtés s’unissent. Et le mariage est certainement le meilleur moyen d’y parvenir.

Il attendit une réaction d’Aelia, qui ne vint pas. Elle le fixait à attendre la suite.

      — Pourquoi avons-nous besoin de nous assurer d’avoir un allié dans notre propre royaume ? Tout simplement que même si aujourd’hui la paix règne, rien ne dit que dans le futur cela continuera. Et lorsque cela arrivera, ce que je n’espère pas, nos deux peuples pourront se protéger mutuellement.

Une pensée traversa l’esprit d’Aelia, « La paix ne durera pas » … c’est ce qu’avait noté Baltan…

     — Ce mariage consolide nos comtés. Tu es mon héritière : un jour, tout cela sera à toi. Comprends-tu Aelia ?

Elle réfléchit et une question apparue :

     — Je comprends. Mais lorsque je serai mariée, êtes-vous sûr que le comte de Baltan ne voudra pas régner sur les deux comtés ?

     — Non. C’est justement pour cela que j’ai accepté ce mariage. Nous avons convenu que ni l’un ni l’autre n’aurait autorité à s’occuper des affaires de l’autre comté.

Aelia hocha la tête, satisfaite de la réponse.

Elle commença à regarder les plats et allait se servir du poulet.

     — Ne crois pas que j’ai oublié, Aelia.

Elle fit la moue et montra son ventre de la main.

     — Aelia… dit-il en souriant.

Elle s’avachit sur sa chaise.

     — Oui, oui… J’étais dans le jardin, et je venais d’apprendre ce qui allait se produire demain. J’étais en colère. J’ai fermé les yeux… puis son visage est apparu, comme sur le portrait.

Sa voix trembla, elle reprit avec difficulté :

     — Elle m’a dit de toujours avoir confiance en vous et que… qu’elle serait toujours là, avec moi, pour me protéger.

Les larmes montèrent, suivies de quelques reniflements.

A travers ce brouillard humide, Aelia vit son père bouger. Il s’agenouilla près d’elle, son regard voilé d’émotion.

     — Ma fille… Tu es ce que j’ai de plus cher sur cette terre. Cette décision, j’aurais voulu ne jamais avoir à la prendre. Mais elle te sera bénéfique. Grâce à cela, je sais que tu vivras sans jamais manquer de rien. Et je suis sûr que tu trouveras le bonheur. C’est tout ce qui m’importe.

Il la serra contre lui, d’une étreinte douce et protectrice.

     — Le visage d’Elira… j’aimerais tellement le revoir. Mais elle est là, avec nous. Elle veillera sur toi, jusqu’au jour où nous la retrouverons.

Ils restèrent ainsi, dans les bras l’un de l’autre, le cœur ouvert, mêlant leurs sanglots.

Puis, doucement, Alistair se redressa. Il attrapa l’assiette de sa fille et y déposa les mets qu’elle aimait le plus.

     — Il me semble que tu avais faim, dit-il en posant l’assiette devant elle.

     — Merci, répondit-elle simplement.

Il lui lança un sourire en coin :

     — Veux-tu des histoires ou des blagues sur Vaelan ?

Aelia rit.

     — Des blagues !

Alistair commença à raconter comment un palefrenier s’était retrouvé enfermé dans sa propre écurie. Peu à peu, les rires chassèrent les derniers soupirs de tristesse.

Les bougies du grand lustre et les torches des murs illuminaient la pièce d’une lueur chaleureuse.

Ils partagèrent le repas dans un bonheur simple, loin du poids qui les attendait.

Après le dessert, Aelia se leva.

     — Bonne nuit père.

     — Bonne nuit, petite hirondelle.

Elle sourit.

C’est mère qui m’avait donné ce surnom…

Petite, elle passait des heures à observer les hirondelles voltiger dans le jardin. Elle les trouvait libres, rapides, insaisissables… comme elle rêvait de devenir.

Sur ce souvenir tendre, elle quitta la salle et retourna dans sa chambre.

Là, seule, les rires s’étaient tus. Mais dans le silence… son esprit, lui, ne cessait de tourner.

Elle ne serait jamais une des hirondelles qui voletait librement.

Je dois avoir confiance !

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