[2] Je t'aime, moi non plus (4/7)

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[4.]

Vendredi,

Je m’engage dans le couloir menant à l’escalier dérobé d’un bon pas. Je connais le trajet par cœur, comme bon nombre de coins et recoins dans cet hôpital à présent. Mon premier mois d’externat s’achève et je ne suis, pour ainsi dire, pas mécontente du chemin parcouru jusqu’ici.

J’abandonne comme à mon habitude les ascenseurs toujours trop encombrés non sans saluer d’un signe de tête poli la foule de patients au-devant et disparais derrière la porte de sécurité dissimulant la cage d’escalier montant au quatrième étage. Je monte les marches quatre à quatre. Je suis assez fière d’arriver en haut encore moins essoufflée que la semaine précédente. Je crois que, grâce à ce jogging matinal obligatoire, mes poumons aussi commencent à faire des progrès. Comme quoi, prendre les escaliers n’a pas que des mauvais côtés finalement…

Le couloir des consultations est, comme à son habitude également, déjà plein à craquer. Je presse le pas en gagnant l’allée de baies vitrées menant à la salle de réunion et consulte ma montre. Neuf heures quinze. Pile à l’heure pour le staff !

Je me retiens de trottiner les quelques pas qui me séparent encore de la porte et me dépêche de trouver mon badge perdu au fin fond de ma poche afin de le passer devant le boîtier numérique. Ce dernier émet le petit déclic réconfortant annonçant l’ouverture du cadenas et je pousse la porte de l’épaule, les bras chargés de l’ordinateur portable d’Alexandra et de divers dossiers laissés en plan la veille au soir.

Mon premier coup d’œil est bien entendu pour la chaise occupée normalement par ma responsable mais je la trouve vide. Une bouffée d’angoisse m’étreint subitement la poitrine. Je n’ai clairement pas envie de me retrouver seule, perdue au milieu de l’ensemble des médecins du service déjà présents. Je croise sans le vouloir le regard de Fred, en grande conversation avec un autre cardiologue, et un long frisson me parcourt le corps tout entier.

Je déglutis péniblement et détourne les yeux en direction des internes attablés. Leurs rires m’envahissent toute entière et ma paranoïa fait que j’en viens à me demander si – encore une fois et ça ne serait pas une première – leurs discussions ne me concernent pas mais les grands sourires qui étirent les visages de Claire et Maude à ma vue suffisent à me signifier que non. Claire vient tapoter la chaise à ses côtés, m’invitant à les rejoindre. J’hésite. Lance un coup d’œil désemparé en arrière, sur la porte désespérément close de la salle.

Mon bon sens me crie de faire demi-tour : rester ici sans la présence d’Alexandra à mes côtés me terrifie, mais en même temps, repartir maintenant, juste après être entrée et sans excuse recevable, serait aussi donner une raison supplémentaire à Ethan, Marine ou Fred de blasphémer.

Je sens que mon dilemme intérieur pourrait bien durer encore longtemps lorsque la porte s’ouvre dans mon dos. Je ne peux retenir un soupir de soulagement en voyant Alexandra se glisser dans l’ouverture, un large sourire aux lèvres.

— Salut tout le monde ! Désolé pour le retard !

Il n’y a pas à dire : j’admire la jeune femme pour sa joie et sa bonne humeur constante. Cette dernière m’adresse un clin d’œil complice en approchant, tapotant de sa main libre son téléphone portable.

— Tu ne pensais tout de même pas que j’allais t’abandonner ?

Je souris. Le battant de la porte s’ouvre à nouveau, livrant cette fois passage au chef du service de cardiologie accompagné de l’un de ses collègues, coupant court à toute discussion dans la salle. Alexandra me fait signe d’aller prendre place et je me dépêche de déposer mes affaires près de Claire avant de m’installer confortablement sur ma chaise, soudain beaucoup plus à l’aise. Tandis qu’Alexandra profite de l’installation de chacun pour prendre un bref aperçu du programme du jour, j’ouvre mon propre carnet afin de pouvoir récupérer les dernières notes prises lors du staff du début de semaine. Alors que je tourne frénétiquement quelques pages griffonnées, la désagréable sensation d’être épiée du coin de l’œil m’arrache un frisson. Je lance un regard à la dérobé. Ethan détourne la tête.

— Dépêchez-vous de prendre place, ordonne le docteur Philips en venant se poster derrière le siège le plus proche du jeune homme. On va pouvoir commencer.

Chacun s’exécute dans un concert de raclements de chaises sur le sol. Je secoue la tête afin de reprendre contenance. Je ne dois pas me laisser distraire… Mais, quelque part dans mon champ de vision, la furtive étincelle amusée qui vient éclairer des prunelles d’ordinaire aussi sombres que la nuit me fait monter le rouge aux joues.

-

L’écran de mon téléphone portable indique midi et je meurs de faim. Comme pour confirmer mes pensées, mon estomac émet un léger gargouillis tandis que je remonte le couloir du secteur A. Je suis déjà épuisée d’avoir géré les dernières entrées. A moins que cela ne soit dû à mon estomac désespérément vide.

J’actionne l’interrupteur de la double porte automatique et présente mon badge devant le bipper de la salle de réunion, un café dans l’autre main. Je suis surprise de trouver Alexandra attablée devant son ordinateur fixe, son sempiternel sourire aux lèvres. La jeune femme m’invite d’un signe de la main à la rejoindre. Je m’exécute et traverse la pièce non sans remarquer qu’elle n’est pas seule, Ethan semblant affairé dans l’étude d’un dossier particulièrement compliqué. Au moins me laissera-t-il tranquille pour une fois…

Précautionneusement, je viens déposer l’ordinateur portable de ma responsable sur la longue table de réunion en travers de la pièce et tire une chaise pour prendre place, avalant une profonde gorgée de café chaud. Le liquide sucrée glisse jusque dans mon estomac avec délice, laissant échapper un flot d’arômes à la fois étonnamment forts et délicats. Mmh… Il n’y a pas à dire, ce café-là est bien meilleur que celui de la machine…

— Comment se sont passées tes entretiens ce matin ?

Je rouvre les yeux subitement. Pendant quelques courtes secondes, j’en avais presque oublié la présence d’Alexandra à mes côtés. La jeune femme ne me regarde pas, visiblement elle aussi concentrée sur l’écran de son ordinateur. Je hausse les épaules. Bien, comme d’habitude. Mais d’habitude, ma supérieure n’est pas vraiment là pour me le demander alors je me décide à lui répondre un « Très bien merci » poli. La jeune femme en semble vraiment ravie.

— Super alors !

Je souris doucement en portant une nouvelle fois mon gobelet de café à mes lèvres. Un étrange silence s’étire entre nous.

— En tout cas, je ne pense pas te l’avoir encore dit mais je tiens à te féliciter. Très sincèrement. Tu fais vraiment du travail d’une très bonne qualité.

Je suis surprise par l’intonation rauque et profonde d’Alexandra. A la façon dont elle prononce ces mots à mon intention, on pourrait croire qu’elle vient de m’annoncer la nouvelle la plus importante au monde en ce moment. Je me sens rougir de plaisir, peu habituée à tant de compliments.

— Merci, murmuré-je, gênée.

La jeune femme quitte pour la première fois son écran des yeux afin de plonger son magnifique regard bleu océan dans le mien, l’air surprise.

— Tu n’as pas besoin de me remercier, c’est sincère, fait remarquer Alexandra. Tes dossiers sont bien écrits, tes analyses des traitements complètes. C’est du bon boulot !

J’avale une nouvelle gorgée de café, tentant tant bien que mal de dissimuler ma gêne. Alexandra en profite pour reporter son attention sur l’écran de son ordinateur.

— Est-ce que tu veux qu’on prenne le temps de faire le point sur les mouvements dans le secteur cet après-midi ? Je préfère que tu le saches mais je ne serai pas là, je suis attendue ailleurs.

Pour ne pas changer. Je ravale ma piètre contrariété.

— Je pense pouvoir m’en sortir toute seule, ne t’inquiète pas, la rassuré-je.

— Tu es sûre ?

— Sûre et certaine, dis-je en hochant la tête.

Alexandra m’observe un instant en silence, comme si elle réfléchissait.

— Très bien, si tu le dis. J’en ai discuté avec la cadre administratif [une partie de mon esprit fait enfin le lien avec la femme du premier jour] et je te laisserai donc aux soins d’Ethan, il supervisera tes entretiens.

Je me fige sur mon siège comme si un courant glacé venait de me traverser de part en part. Ethan ?

— Ethan ?

Alexandra hausse les sourcils.

— Pourquoi ? Il y a un problème ?

Un problème ? Bien sûr qu’il y a un problème !

— Pas contente de travailler avec moi ?

Je frissonne. Bordel, je l’avais presque oublié…

Je pivote sur ma chaise afin de faire face à l’interne, plongeant mon regard dans le sien, bien décidée cette fois-ci à soutenir ses prunelles d’un noir d’encre. Un large sourire malicieux illumine son visage. Se moquerait-il de moi ? Ça ne serait bien entendu pas la première fois…

— Non, non, aucun souci, dis-je tout en déglutissant péniblement ma gorgée de café. Je devrais m’en sortir.

Alexandra semble se détendre. La porte de la salle s’ouvre près de nous sans que ni Ethan ni moi-même ne cessions notre duel oculaire silencieux.

— Ah Marine ma chérie ! s’exclame Alexandra à l’intention des nouvelles arrivées, est-ce que tu peux aller dans le dossier de la vingt-huit s’il te plaît ? Je pense qu’il doit y avoir un souci avec la prescription…

— Oui bien sûr, s’exclame l’intéressée tout en venant prendre place sur le poste près d’Ethan. Ethan, tu peux me filer les codes stp ? Ethan ?

Le jeune homme rompt subitement le contact – apparemment à contrecœur -, afin de chercher son carnet de notes. Je papillonne quelques instants des paupières, perdue.

— Tu viens manger avec nous ce midi hein ?

La voix de Claire me tire définitivement de ma rêverie. Je vois la silhouette d’Ethan se raidir du coin de l’œil.

— Je ne sais pas encore.

— Oh allez ! plaide la jeune femme, franchement, steak-frites, ça ne se loupe pas !

Je souris en secouant la tête.

— Non, en effet, admets-je tout en coulant un regard espiègle à l’intention d’Ethan dont les sourcils se froncent.

— Super ! Juste le temps d’enregistrer deux-trois trucs et on file alors.

Je me tourne afin de reporter mon attention sur les dossiers affichés sur l’écran de l’ordinateur d’Alexandra. Une petite partie de mon être jubile déjà à l’idée de ce déjeuner…

***

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