[4] Prends garde... (5/7)

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[5.]

Dimanche,

Un baiser. D’abord si doux, si délicat, si tendre. Puis il se transforme subitement, devenant soudain plus profond, plus charnel, plus avide.

Nos langues se lient et se délient avec délice, faisant naître un bouillon de désirs qui se propage dans mon sang en réveillant chaque muscle et chaque parcelle de peau sur son passage. Et tandis que je lui réponds, toujours plus ardente et curieuse, je songe que jamais je ne pourrais me lasser de ces lèvres, de ces lèvres si douces et agréables, de cette sensation si enivrante de nos corps se mouvant l’un contre l’autre avec délectation, de cette odeur si entêtante qui est sienne, et de ces yeux, ces yeux aussi sombres et pétillants que la nuit, d’un noir si profond qu’ils n’en deviennent que plus insondables, de ces yeux dans lesquels j’aimerais me noyer pour l’éternité…

Bon sang ! Je me réveille dans un sursaut, le visage en sueur, les cheveux plaqués contre ma nuque, surprise par la tournure inattendue de mes propres rêves. J’ai le cœur qui bat la chamade au fond de ma poitrine. Je dois me forcer à inspirer et expirer longuement afin de calmer ses battements sourds résonnant jusque dans mes tempes. Putain de merde ! Heureusement que je suis seule dans cette pièce !

Je cligne des yeux afin de me réadapter à la faible luminosité ambiante avant de jeter un coup d’œil sur l’écran de mon téléphone portable. Sept heures trente. Mince ! Si je ne veux pas être en retard, j’ai plutôt intérêt à m’activer un peu ! Je me dégage donc précipitamment de mes draps, attrape un jean, un débardeur et un pull propre que j’enfile sans réfléchir, passe un peu d’eau sur mon visage, quelques pressions de déodorant sous mes aisselles et vaporise même deux pressions de parfum sur mon cou et mon poignet. Je m’octroie le temps d’arranger mes cheveux en une queue-de-cheval haute et, quelques coups de blush et de mascara plus tard, j’ai le teint presque aussi frais que la veille malgré la fatigue de ma mauvaise nuit.

Ma mauvaise nuit… J’ai clairement la sensation de n’avoir pas assez dormi – à moins que cela ne soit dû à mes rêves troublés - et mes yeux sont lourds de sommeil. Je m’étire souplement. J’ai grandement besoin d’un café avant de démarrer cette nouvelle journée, songé-je. J’ai beau essayer de ne pas trop y penser, j’espère néanmoins qu’elle sera meilleure que la veille : le souvenir de nos disputes incessantes avec Ethan n’est pas des plus enjoués.

En parlant du loup… Je jette un nouveau coup d’œil sur l’écran de mon téléphone. Aucun message. Aucun appel. Ethan devrait pourtant être réveillé. J’essaye de me convaincre qu’il n’a peut-être pas encore eu le temps – ou la nécessité - de me biper, sans grande réussite. Je hausse les épaules. Tant pis… Au moins ai-je le temps d’aller prendre un bon petit-déjeuner avant de remonter.

Tout en remontant les couloirs du hall principal, je tente de me persuader du côté réconfortant de cette idée mais, malgré cela, l’anxiété me noue tellement les tripes que je n’arrive pas à avaler grand-chose de plus qu’une part de brioche desséchée et un peu de cappuccino laiteux servi dans un mug en carton-pâte à la cafétéria patients. Un nouveau coup d’œil à mon téléphone et je constate que je n’ai toujours aucune nouvelle. Je n’arrive pas à savoir si je dois m’en inquiéter ou m’en énerver. Du « Ethan » tout craché…

Je me mors néanmoins la lèvre inférieure, ennuyée. Le jeune trentenaire est-il toujours fâché ? Même si je ne parviens pas encore vraiment à saisir toutes les raisons de son comportement impoli de la veille au soir, je ne peux m’empêcher de songer que j’en suis pleinement responsable et que c’est à moi d’en réparer les dégâts. Je suis consciente de ne pas être facile à vivre au quotidien, et d’avoir même un tempérament bien trempé, mais je ne vais pas non plus me laisser marcher sur les pieds par un interne aussi arrogant que suffisant, si ?

Je fais la moue. Marmonner dans mon coin à son sujet ne me sera pas plus utile alors je me décide à faire le premier pas et rédige un message à l’attention d’Ethan.

Bien dormi ? Je suis descendue prendre un café, est-ce que tu veux quelque chose ?

Le message est poli, cordial, tout à fait neutre. Je suis d’ailleurs assez contente du résultat. Une fois le bouton « Envoyer » enclenché, je patiente quelques minutes dans l’attente d’une réponse, faisant tourner le reste de mon gobelet de café entre mes mains. Rien. Les minutes défilent sans que l’écran ne se rallume. Il est presque huit heures et demi et je n’ai toujours aucune nouvelle d’Ethan. Mon sentiment de culpabilité commence petit à petit à se transformer en une véritable angoisse.

Vérifiant à nouveau mon téléphone, je le glisse dans ma poche après avoir constaté qu’aucun nouveau message n’était arrivé et m’empresse de saisir le fond de mon mug de café afin de monter en service. Nouvelles ou pas, je n’ai pas l’intention de rester les bras croisés à ne rien faire.

Je monte les escaliers menant au quatrième étage tranquillement, prenant le temps de déguster mes dernières gorgées de café tout en repoussant du coude le battant de la porte coupe-feux. Comme la veille, il règne dans le couloir un calme étrange, presque une sensation de « vide ». Je traverse le couloir de baies vitrées sans un seul coup d’œil pour la magnifique petite cour intérieure fleurie en contrebas et pénètre dans la salle des internes d’un bon pas, m’attendant à y trouver de pied ferme un Ethan grincheux et fatigué. Je dois cacher ma déception lorsqu’à la place, je tombe nez à nez avec l’infirmier de la veille, en pleine discussion avec une autre de ses consœurs – une magnifique jeune femme blonde platine au teint buriné par les rayons UV et aux incroyables yeux clairs soulignés d’eye-liner – que je n’avais encore jamais vu non plus.

— Désolé, bredouillé-je à leur intention, gênée par ma déconvenue, je repasserai plus tard si vous voulez…

— Non, c’est bon, on avait fini de toute façon, me rétorque l’homme en rangeant son téléphone portable dans sa poche. On était juste venu récupérer certains dossiers avant la visite.

A ces mots, le quadragénaire attrape une pile de dossiers disposés de façon totalement anarchiques sur l’un des rebords de la table afin de les empiler de nouveau proprement. Je les regarde se dispatcher les secteurs avant de sortir de la pièce en conversant à voix basse. Je grimace. Eh bien quel magnifique début de journée ! Il n’y a pas à dire : c’est un véritable plaisir !

Préférant ignorer ma conscience s’amusant à me répéter inlassablement « Mais à quoi tu t’attendais ma pauvre ?! Ce que tu peux être naïve parfois ! », je viens mollement me laisser tomber devant le bureau d’Alexandra, prenant le temps de lire les quelques modifications apportées dans la nuit sur les dossiers. Ethan n’a visiblement pas été beaucoup dérangé à part deux ou trois problèmes de routine. Je souris en voyant que les constantes de Madame Azel sont restées stables. J’ai plutôt hâte de la retrouver pour sa sortie !

Je consulte nerveusement la montre à mon poignet. Neuf heures et demi. Bon sang ! Mais où est passé Ethan ? Toujours aucun message, aucun indicatif, aucune nouvelle. Je suis brièvement tentée de partir faire un tour aux urgences pour le trouver mais le souvenir de l’expérience de la veille me refroidit presque instantanément. J’observe mon mug de café vide d’un œil morne. Il n’y a de toute façon pas grand-chose que je puisse faire à part attendre. Je me cale donc confortablement dans le fauteuil de bureau de la jeune femme et entreprends de compter les minutes me séparant encore de cet interminable weekend…

-

Midi sonne au loin, me tirant hors de ma somnolence. Instinctivement, je regarde l’écran de mon téléphone. Vierge. Comme toujours. Je pousse un soupir mi-figue, mi-raisin en posant mon visage entre mes mains. Cette attente est vraiment insupportable ! Tant pis alors, si je n’ai plus le choix…

Je m’apprête à regagner la porte de la salle pour descendre aux urgences lorsque cette dernière s’ouvre devant moi, m’arrachant un sursaut de surprise, et je me retrouve tout à coup face à face avec la seule personne que je ne m’attendais presque plus à voir aujourd’hui. Ethan. Mais malheureusement pas seule…

Toute la colère sourde étreignant ma poitrine s’évapore en quelques fractions de secondes et mon envie irrépressible de lui hurler dessus, de lui crier qu’il aurait au moins pu essayer de m’appeler ou de répondre à mes messages disparait avec elle. C’est comme si je m’en sentais tout bonnement incapable.

Ethan. Et la jeune infirmière blonde. Tous les deux riant aux éclats. Cela me semble absurde, impensable. Ethan riant aux éclats ? Jamais encore je ne l’avais vu aussi bien, aussi décontracté, aussi ouvert. Pas avec moi en tout cas. Mon cœur se serre au fond de ma poitrine. Pourquoi ai-je tout le temps l’impression de marcher sur des œufs avec lui ?

Je ravale des larmes de déception en les observant tour à tour tous les deux. Le regard de l’infirmière se pose sur moi en retour et un sourire fauve étire son visage. Si un regard pouvait tuer en cet instant, je doute que la jeune femme ait survécu bien longtemps.

— Je vais aller chercher mes affaires Ethan. On se retrouve au self dans un quart d’heure ?

Le sourire étincelant qu’elle lance au jeune homme assorti à l’insupportable façon qu’elle a d’appuyer sur chacun de ses mots a raison de ma patience avec elle. Croisant les bras sur ma poitrine pour me retenir de lui bondir dessus, je la fusille à nouveau du regard.

— Pas de soucis. Je dépose ma blouse et je suis à toi.

Je suis à toi ?! Mes bras retombent le long de mon corps avec stupéfaction. Quoi ?! Les yeux de l’infirmière luisent, carnassiers, mais je ne peux détacher mon regard du visage souriant d’Ethan. Un visage radieux, loin de celui du caractériel et lunatique interne avec qui je viens de partager ces dernières vingt-quatre heures avec souffrance. Quelque chose se brise subitement en moi et je tente malgré moi de conserver chaque morceau bien en place afin de ne pas les laisser réduire ma chair intérieure en bouillie.

Les yeux d’Ethan se posent enfin sur moi et je dois détourner le regard. Pas à cause de l’intensité des prunelles noires qui me plaisent tant, non… Mais à cause de l’horrible étincelle malicieuse que je peux y discerner. Une étincelle qui ne m’est pas destinée. Et qui me fend encore un peu plus le cœur.

— Ah je te trouve donc enfin ! Parfait ! On allait justement manger avec Julia ? Tu viens avec nous ? On n’a pas mal de boulot qui nous attend cette aprèm !

Je ferme les yeux, inspire profondément.

— Non, allez-y. Je n’ai pas faim, je mangerai sans doute plus tard.

Je me glisse entre leurs deux silhouettes sans un regard. Inutile de chercher à expliquer à Ethan ce qui est en train de se passer au fin fond de mon être, il ne le comprendrait pas. Je m’engage donc d’un pas que je veux le plus léger et naturel possible jusqu’aux ascenseurs du service. Je ne me sens absolument pas la force d’emprunter les escaliers, mes jambes tremblantes ne le supporteraient pas.

Par chance, l’un des élévateurs se trouve ouvert sur le palier. Je m’y engouffre et appuie précipitamment sur le rez-de-chaussée. Les portes se sont à peine refermées sur ma pauvre silhouette que je me sens m’effondrer sur le sol, laissant échapper toute la tension retenue.

-

Les horloges numériques disposées un peu partout sur les murs de l’hôpital annoncent treize heures lorsque je me décide enfin à remonter en service, un café chaud entre les mains. Mes larmes se sont taries et, même si je me trouve la mine particulièrement défaite, les quelques retouches de maquillage suffisent à laisser penser à une mauvaise nuit.

J’ai à peine franchi la porte de la salle des internes que je sens à nouveau les sentiments étreindre férocement ma poitrine encore fragile. Ethan et « Julia » sont déjà là, l’un nonchalamment assis sur la chaise de son bureau, l’autre adossée à la table de réunion. Une horrible impression de déranger me noue l’estomac. Je me force à avaler une longue gorgée de café pour me rendre contenance.

— Pile à l’heure ! annonce Ethan en ouvrant les bras, un immense sourire étirant son visage, prête pour les visites ?

Je sens mon unique échappatoire – la porte de la salle – se refermer dans mon dos en claquant et je viens m’y adosser, légèrement chancelante, murmurant un pâle « Prête » à l’intention de l’interne. Les sourcils de ce dernier se froncent subitement d’inquiétude. Voilà, ça c’est le Ethan que je connais… Je ferme les yeux tant cette constatation est douloureuse.

— Tu as mangé ce midi ?

Sa voix est de nouveau dure, froide, lourde de jugements.

— On se disputera plus tard à ce sujet, dis-je en avalant d’une traite la fin de mon café, on n’a pas mal de boulot tu as dit, alors allons-y.

Je vois le jeune homme ouvrir la bouche mais je ne lui laisse pas le temps de protester et, après avoir attrapé l’ordinateur de consult’, je le tire à moi et sors de la pièce, prête à annoncer aux différents patients du jour les bonnes nouvelles.

Ethan ne m’adresse presque pas un seul mot pendant toute la durée des visites de sortie et, même si cela me rend encore plus malheureuse, je crois que je lui suis quelque part très reconnaissante de ne pas remettre cette histoire de repas sur le tapis. Nous terminons donc notre travail sur le coup de seize heures – bien en avance sur notre planning - et je décide de profiter de l’absence d’Ethan parti je ne sais trop où – sans doute retrouver sa « grande copine » de secteur - et du calme de la salle des internes pour occuper mes sombres pensées.

J’ignore si je me suis à nouveau assoupie ou si mon état avancé d’hypoglycémie commence à avoir raison de moi mais je n’entends pas la porte de la salle se rouvrir, ni même la silhouette d’Ethan approcher en faisant glisser une barre de céréales dans ma direction.

— Tiens, mange ça, ordonne-t-il en me défiant du regard de contester. Ça t’aidera à tenir le coup jusqu’au repas de ce soir.

Mon regard oscille entre la barre de céréales et le profil du jeune homme occupé à se laisser tomber en soupirant sur le siège le plus proche.

— Merci, soufflé-je en tentant de reporter mon attention sur le cours face à moi, mais je n’ai pas f…

Mange.

Les yeux d’Ethan sont terrifiants de noirceur. Je lève les yeux au ciel et me penche pour attraper la barre déposée à mon intention. Sentant le regard de l’interne peser sur moi avec insistance, j’ouvre l’emballage et croque nonchalamment une première bouchée que je prends le temps de bien mâcher. Je dois bien l’admettre : le sucre coule avec délice dans mon estomac et l’enveloppe d’une douceur bienvenue. Je sens mon corps tout entier se détendre imperceptiblement.

Un sourire nait sur les lèvres d’Ethan tandis qu’il s’étire paresseusement en soupirant.

— J’ai terminé ce que j’avais à faire, reprend-il doucement.

— Hum hum…

Moi pas. Mon ordinateur regorge d’une bonne vingtaine de cours qui attendent impatiemment mes corrections et risquent donc de requérir toute mon attention durant les deux prochaines heures. De quoi m’occuper jusqu’au dîner de ce soir.

— Qu’est-ce que tu fais ?

Je relève la tête, surprise. Surprise qu’il puisse s’adresser à moi dans un premier temps et surprise qu’il s’intéresse également à mon travail. Ce serait bien une première.

— Rien de bien important. Mes partiels vont bientôt arriver et je n’ai pas encore pris le temps de tout bien réviser.

Ethan hausse les sourcils en se retenant de lever les yeux au ciel.

— Mention « première de classe » ? ricane-t-il.

Je fronce les sourcils devant la pique. Le visage d’Ethan se radoucit.

— Tu en as pour longtemps ?

Je secoue la tête.

— Tout dépend si tu m’interromps toutes les deux minutes ou pas, fais-je remarquer.

Il approuve et se lève en s’étirant à nouveau. Je crois qu’il va quitter la pièce et me laisser enfin tranquille mais il s’approche et vient refermer mon PC sous mon nez ce qui me fait sursauter.

— Allez viens, cesse un peu de bouder. Je vais te montrer des trucs un peu plus intéressants que tes médocs.

J’ai envie de lui balancer en pleine figure que mes traitements sont loin d’être inintéressants mais le jeune homme a piqué ma curiosité.

— Je ne boude pas, dis-je, irritée.

— Oh que si tu boudes ! sourit Ethan. Parce que sinon, voilà bien longtemps que tu m’aurais envoyé balader en me disant que tu ne m’aimes pas !

Le jeune homme m’adresse un clin d’œil complice et je ne peux m’empêcher de sourire.

— Bon, très bien, soupiré-je, mais rapidement alors !

— Promis…

-

Tandis que nous quittons la salle vide des internes pour traverser le couloir presque aussi désert de cardiologie, je ne peux m’empêcher de vouloir rebrousser chemin. Les souvenirs d’un Ethan joyeux et rieur aux côtés d’une parfaite beauté blonde continuent d’accaparer mes pensées. J’ai du mal à l’accepter mais je crois que, quelque part, je suis jalouse de cette fille et de l’emprise qu’elle peut avoir sur l’interne. J’avais espéré que les petits moments délicats et merveilleux passés en compagnie du jeune homme ne soient qu’une bulle m’étant réservée mais je suis bien obligée désormais d’adhérer à l’idée que non. Ethan est un séducteur, Claire et Maude m’avaient prévenue. Il ne faut pas que je m’attache à cet homme, un point c’est tout.

Ethan prend le temps de saluer l’un des aides-soignants du secteur occupé à factionner et je hoche la tête pour faire de même.

— Où est-ce qu’on va ? me renseigné-je tandis que nous bifurquons à travers l’arcade mentionnant « Consultations » en grosses lettres d’imprimerie sur son encart.

Ethan lève - sans doute pour la millième fois aujourd’hui - les yeux au ciel en retenant un soupir.

— Est-ce que tu ne veux pas faire l’effort de me laisser garder la surprise pour une fois ?

J’observe le sourire en coin du jeune homme tandis que je m’efforce de garder le rythme imposé par ses longues jambes. Que peut-il bien avoir à me montrer de si intéressant ?

A l’instar de presque tout le reste de l’hôpital le weekend à l’exception des urgences, le couloir des consultations est entièrement vide et inoccupé. Nous passons devant l’immense box en verre accueillant en temps normal les services du secrétariat sans nous arrêter et passons plusieurs premières portes à bonne allure avant qu’Ethan ne choisisse de s’arrêter brusquement devant l’une d’entre elles. Bien trop occupée à réfléchir, je n’y prête pas attention et le heurte donc de plein fouet. Il se retourne en haussant les sourcils. Je pique un fard en détournant le regard et marmonne quelques excuses à son intention. Je m’attends presque à un regard réprobateur de sa part mais il n’en fait rien, son sourire s’étirant encore un peu plus sur son visage.

— Ça y est, nous y sommes. Viens, entre.

D’une pression sur la poignée de la porte, Ethan nous ouvre l’accès à une petite salle à demi-plongée dans l’obscurité, les volets de toutes les fenêtres ne laissant filtrer qu’un mince rayon de soleil sur le sol. J’avise rapidement la table de consultation et l’étrange machine à ses côtés. Super ! Je vais encore servir de cobaye ! Les résultats de notre dernière « expérience » n’ont visiblement pas suffi à décourager le jeune homme de recommencer.

Sans paraître percevoir mon embarras, Ethan s’approche de l’engin et pianote un instant sur le clavier. Je m’approche timidement en observant l’écran s’allumer au-dessus de lui, les mains dans le dos.

— J’ai déjà vu ce genre de machines Ethan. En tant que femme, je crois que je suis plutôt bien placée pour savoir ce qu’est un échographe…

Ethan a un demi-sourire. J’ignore à quoi il peut bien penser à cet instant précis. Prenant place sur un tabouret pivotant, il se tourne subitement dans ma direction.

— Commence par retirer ton pull, ordonne-t-il tout en programment le calibrage de la sonde.

— Pardon ? répété-je, hébétée.

Nouveau regard exaspéré.

— Arrête de faire ça ! protesté-je, c’est perturbant à la fin !

— Alors fais donc ce que je te dis et retire ton pull ! rit le jeune homme, sinon, ça risque d’être difficile de faire une échographie, tu ne crois pas ?

— Parce que tu comptes à nouveau la faire sur moi ? ricané-je.

— Sur qui d’autre ?

Je fais la moue. Aucun doute, l’expérience de la veille au soir ne semble pas l’avoir découragé. Les capacités de changements d’humeurs de cet homme ne cesseront donc jamais de m’étonner…

Je pousse un long soupir. Ethan se penche afin de tapoter la table de consultation près de lui.

— Allez dépêche-toi avant qu’on ne m’appelle aux urgences.

Otant mes baskets puis mes chaussettes, je m’exécute et passe mon pull par-dessus ma tête. Le regard d’Ethan braqué sur moi tandis que je retire mes vêtements me fait monter le rouge aux joues. Bordel, ne peut-il pas se retourner au moins pour me laisser un peu d’intimité ?

— Ah, ton débardeur aussi, annonce-t-il, comme un brin déçu.

— Je ne vais pas retirer mon débardeur ! protesté-je, tu peux largement te débrouiller comme ça, non ?

Le jeune homme ricane.

— Serais-tu prude par hasard ? Pour une étudiante en santé ça serait bizarre. Active-toi.

Je le fusille du regard en me retenant de lui jeter à la figure le premier truc qui me passerait sous la main.

— Un peu d’intimité serait la bienvenue, fais-je remarquer en croisant les bras sur ma poitrine.

Ethan secoue la tête en souriant mais se détourne sans faire d’esclandres cette fois. Je prends donc le temps de retirer mon débardeur et de le plier correctement sur l’assise de la chaise près de moi avant de m’approcher de la table d’examen. Ethan plonge son regard dans le mien et je dois baisser les yeux pour ne pas rougir, les bras toujours croisés sur ma poitrine. Je déteste être nue face à lui. C’est comme si je me retrouvais subitement à la merci de ses intenses et perturbants yeux noirs. Je frissonne.

Tapotant la matelassure de la main, je comprends que le jeune homme m’invite à m’allonger sur le papier froid et stérile. Je me retourne pour me hisser souplement et trouve une position à peu près confortable. Ethan ajuste quelques derniers paramètres sur la machine avant de saisir un tube de gel qu’il vient déposer sur la sonde.

— Ça risque d’être froid, croit-il bon de me prévenir.

Je hoche la tête.

— Je sais, soufflé-je.

Ses yeux ne me quittent pas tandis qu’il vient appliquer la tête du capteur électronique le long de ma poitrine. Je tressaille au contact de la matière glacée et visqueuse sur ma peau. Je ferme les yeux, intimant à mon corps tout entier de se détendre, contrôlant le moindre de mes battements cardiaques. Hors de question de perdre le contrôle cette fois !

Ethan cesse momentanément de me fixer pour actionner plusieurs boutons sur le moniteur. Les images à l’écran se meuvent tantôt rapidement, tantôt plus lentement, changeant de plans et d’agrandissements au gré du pianotage de l’interne.

— Ok, c’est bon. Tiens, regarde, j’y suis.

D’un rapide geste de la main, le jeune homme tourne l’écran dans ma direction. Je suis immédiatement subjuguée par la beauté de l’image et des couleurs devant moi.

— Pas mal hein ? Si c’est pas mieux que toutes tes formules…

Je ne m’étais pas rendue compte que j’avais bêtement ouvert la bouche. Je la referme en le foudroyant du regard.

— Je plaisante ! rit Ethan, chacun son job ! Mais c’est l’une des parties les plus cools du mien alors tiens regarde… Ce que tu vois là, c’est le ventricule. Là, la valve mitrale. Et là…

Je pourrais l’écouter parler pendant des heures. Allongée là, comme ça, une main posée sur ma poitrine, je pourrais l’écouter parler pendant des heures. Quand il est comme ça, calme, concentré, merveilleusement beau, je ne suis plus vraiment sûre de vouloir le haïr. Cet homme est si parfait, empreint d’une intelligence brute et d’une énergie enfantine si agréable. Et j’aimerais ne jamais être obligée d’avoir à sortir un jour de cette pièce…

***

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