16. Plume

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Zénaïde fouillait ma penderie à la recherche de quoi peaufiner sa tenue. Nous nous amusions à imiter les mannequins qui passaient à la télévision, en surabusant de positions gênantes qu’on n’oserait jamais reproduire en public et arborer des grimaces immondes, en balançant deux ou trois conneries en anglais pour nous donner un style. En un mot, nous étions ridicules. Mais Zénaïde battait tous les record du grotesque puisqu’elle était certainement la plus impliquée dans le jeu. Cette fois-ci, elle a débarqué dans un yukata blanc recouvert d’arabesques carmin, accompagné d’un manteau en fourrure marron, des lunettes de soleil au reflet rosé et sur sa tête trônait un imposant chapeau à fleur. J’avais dit qu’on n’était pas crédible.

- Je sais pas où tu es allée chercher ça, gloussé-je.

J’essayais d’analyser plus sérieusement sa tenue mais mon amie était pliée en quatre, prête à s’effondrer par terre. Impossible donc.

- Heureusement que le ridicule ne tue pas, elle articulait, à bout de souffle. Oh putain, je fais pitié.

Je sortais mon téléphone pour la prendre en photo mais le résultat était floue. Mes mains tremblaient tellement j’avais rigolé. Sans parler de Zéni qui se tordait de rire.

- Attends, attends, j’ai une idée de génie !

Elle était retournée en courant vers la penderie puis était revenue dans les secondes qui ont suivis, morte de rire, armée de plumes. Elle en avait accroché une sur le chapeau fleuri et le reste, elle les avait caller contre la ceinture de sa tenue.

- Alors là, c’est le pompon. Ta dignité est décédée.

Mes côtes étaient si douloureuse que la force d’encore me moquer d’elle venait à me manquer. Je souriais en gloussant bêtement devant sa bêtise.

- On dirait les pétasses des films que tu t’avale à longueur de temps.

- Ouais, c’est vrai, j’ai leur classe, minaudait-elle en s’admirant sur la glace.

Je lui avais balancé une boule de tissu sur le crâne.

- Si mes parents te voyaient, ils te vireraient sans réfléchir.

- Ah, ouais… ça serait la crise. A ce sujet… faut que je te dise quelque chose.

L’atmosphère avait très vite changé. Mon cœur accélérait de panique.

- Merde. Qu’est-ce qui se passe ?

- Rien de grave, je te rassure. Mais d’ici quelques semaines, je vais arrêter de bosser ici.

- Mais pourquoi ? Tu ne te plaît plus ici ?

Ma voix semblait plus triste et apitoyée que je ne le voulais parce que Zénaïde s’était vite retournée vers moi. Je sentais les sanglots me monter à la gorge. J’aurai voulu lui demander où elle irait mais mes yeux risquaient de déverser ainsi tout le flot de larmes que je tentais à cet instant de retenir.

Elle avançait vers moi et prenait place à côté de moi. Doucement, elle déposait un bras autour de mes épaules. Dans mes souvenirs, nous n’avions jamais échangés un contact si physique, malgré notre grande complicité qui ne cessait de s’agrandir chaque jour. Alors pourquoi partait-elle ? Nous ne nous verrions que peu de fois, maintenant. Sûrement quelques week-ends et j’étais certaine qu’au fur et à mesure des mois, notre relation serait rompue. Je savais que cela allait arriver… c’est pour cette raison que j’étais si distante, au départ. J’étais consciente que les relations humaines sont éphémères, dès mon plus jeune âge. Que tout disparait, sauvegardant seulement des souvenirs doux-amers au fond de notre psyché. Ceux-là qui blessaient lorsqu’on osait s’en rappeler. Je le savais… et encore une fois, je n’avais pas réfléchi. J’avais essayé de mettre de côtés mes insécurités. Alors pourquoi cette fois-ci, avec Zénaïde, j’avais refusé de m’écouter ? Je le faisais si bien jusqu’à présent.

- Ecoute, j’ai trouvé un travail de vendeuse à mi-temps qui va me permettre de reprendre mes études. J’avais arrêté quand ton père m’avait contacté mais là, ils m’offrent la possibilités de continuer, en ayant un emploi fiable pour subvenir à mes besoins. En vrai, je lui ai en reconnaissante. J’ai appris des tas de choses mais… je ne peux plus attendre de faire ce que j’ai envie pour gagner ma vie.

Elle me sondait un long moment, plantant ses iris sur les miennes. Pour la première fois, j’apercevais les différentes nuances de bleues et de gris de ses yeux éclatants.

- Sofia, pourquoi est-ce que tu pleures ?

J’avais finie par laisser libre cours à mes sanglots et incapable de soutenir son regard plus longtemps, j’enfonçais ma tête autour de mes bras.

Une fois là-bas, elle m’oublierait aussi vite qu’elle était venue m’aborder… je ne répondais rien mais celle-ci ne tardait pas à me couvrir de ses bras chauds et protecteurs.

- Sofia… on va continuer à se voir, hein, si c’est ça qui te fait peur.

- Non, maugréais-je.

- Tu sais, Anaïs et moi, on ne se voit plus quotidiennement depuis la fin du lycée. Ça fait quatre ans maintenant. Et nous sommes toujours aussi proches.

Mais Anaïs n’était pas moi… elle n’était pas ce genre de personne. Je me sentais si égoïste et honteuse. Après tout nos moments passés ensembles et le temps ainsi que l’affection loyale qu’elle m’avait accordé… pourquoi étais-je à ce point-là une éternelle insatisfaite ?

- Et il n’y a pas de raisons que ça ne soit pas le cas avec toi. Ok ? Je t’aime autant qu’elle. Ou Tao ou Romain.

- Ah bon ?

Je relevais la tête, révélant aussi ma face de chien battu par la même occasion. Je ne savais pas trop à quoi je devais ressembler mais au regard de Zénaïde, je semblais pas si mal au point. Elle me faisait un petit sourire avant de tapoter doucement synchronisation ses mains contre mes joues.

- Tu cache bien ton jeu, t’es joufflue comme un bébé, toi.

Instinctivement, je m’étais laissée aller pour rigoler de bon cœur.

- Je te raconterai tout les soirs les potins, gloussait-elle.

- J’ai hâte, soufflais-je.

Après avoir retiré son chapeau fleuri et plumé, elle m’avait saisi par l’épaule pour me rapprocher d’elle et me berçait longtemps contre elle. Jusqu’à ce que mes larmes avaient séché et mes hoquets cessé.

- D’ailleurs, j’avais un truc à te dire aussi… tu te souviens du type qu’on avait vu en buvant un chocolat ?

J’évitais de mentionner Carole, au risque de la remettre sur le tapis et surtout de crainte de me trahir. Déjà qu’à l’annonce de sa mort, j’avais pris le soin de rapidement changer de sujet…

Elle avait abordé le même sourire narquois que l’autre fois. Visiblement, même si l’avoir vu avec Carole ne lui avait pas tant plu, elle restait convaincue que je l’aimais et que nous voir ensemble lui ferait plaisir. Je n’étais donc pas étonnée de sa réaction.

- On s’est échangé nos numéros, la semaine dernière.

Elle avait ouvert grand les yeux, sans répondre mais à son regard, je comprenais qu’elle se retenait de pousser un cri de victoire

- Il a vite oublié Carole, visiblement… elle avait observé, un dissimulant un sourire.

- Mais nan, c’est que je suis passée boire un smoothie là où il travaille et il m’avait proposé qu’on se revoit. Enfin, je sais même plus pourquoi exactement il me l’a donné.

- Attends, attends, il est vendeur de smoothie ? !

- Euh… non. Enfin, si mais pas que…

- Mais pourquoi tu ne l’as pas précisé !

- Non mais il est avant tout étudiant en droit.

- Mais on s’en fout ! Quelle connerie de se définir par ses études… faut que tu lui écrive !

- Pour lui dire quoi.. ?

- Sors ton téléphone.

Je l’avais à peine récupéré qu’elle me l’avait arraché des mains. Elle l’avait trifouillé un petit moment avant de me le tendre.

- C’est bien lui ?

- Comment t’as su ? demandais-je, ahurie, en voyant bel et bien son prénom et téléphone affiché.

- Il a une tête à s’appeler comme ça.

- Attends ! Attends ! J’ai jamais dit oui ! Je veux… attendre, avant.

Très docilement, Zénaïde me l’avait rendu contre toute attente. Visiblement, la surprise se lisait sur mon visage comme elle avait explosé de rire.

- Oh la vache ! J’en étais sûre ! Tu le kiffe en fait ! Sinon tu t’en taperais !

La maligne ! C’était juste une tactique !

- Roh fais pas cette tête de déterrée, je sais que tu veux de mes p’tits tips.

- Parce qu’ils marchent ?

Elle avait feint une douleur adnominale dans un geste théâtral.

- C’est si violent, elle a gémit.

- A ton tour, y a pas de raisons que je sois la seule à raconter des choses. Il était comment le dernier garçon que tu as aimé ?

Là, son regard s’est un peu assombri.

- Merde, c’était une sale histoire, la dernière ?

- Non, au contraire mais…

Elle s’était redressé avant de retirer son épais manteau. Zénaïde n’était plus qu’en kimono blanc à la ceinture rouge et je préférais qu’elle le garde, il lui allait si bien.

- Tu n’as… jamais remarqué ?

- Remarqué quoi ?

- Bah… Sofia, je n’aime pas les hommes.

Zénaïde, bien que très franche sur le coup, avait vu ses joues se colorer en rouge. J’imaginais que ce genre d’aveu n’était pas aussi fréquent pour elle.

- Ah, tu aimes les femmes ?

- Bah ouais.

- Oh… je n’avais jamais remarqué…

Elle s’était mise à sourire avec bienveillance.

- Ce n’est pas écrit non plus sur mon front, avait-elle gloussé. Mais oui, c’est ça, je suis lesbienne.

- Pardon, je… je savais pas.

- Non mais, ne t’excuse pas. Comment tu aurais su ? Je ne t’en ai pas parlé, parce que je n’ai jamais trouvé l’occasion de le faire et je préférais que ce soit naturel.

- Oui, je te comprends. Alors… c’est pour ça que tu ne vis pas chez tes parents alors qu’ils habitent en ville ?

Elle a hoché la tête.

- Bingo. C’était devenu un peu trop compliqué et presque invivable pour tout te dire. Donc j’ai préféré partir… heureusement ma tante m’a énormément aidée. La présence d’Anaïs elle-même rendait folle ma mère, alors qu’elle est juste ma meilleure amie. Et mon père, je crois qu’il n’a jamais osé s’affirmer devant ma mère et qu’il ne le fera jamais.

J’avais posé une main rassurante sur la sienne.

- T’as trouvé une famille qui t’accepte.

Un immense et reconnaissant sourire s’est formé sur ses lèvres.

- Bordel, tu verrais Tao en dîner de famille ? Ou Romain marié et père de quatre gosses ? plaisantait-elle.

- C’est pas Romain qui dit qu’il accrocherait ses enfants au plafond s’ils gueulent trop et Tao qui pense qu’un gamin peut comprendre lui-même qu’il ne doit pas s’approcher d’une fenêtre ouverte ?

Alors que nous éclations de rire, une bruyante sonnerie de notification de portable nous coupait. C’était le mien. Je le récupère et en compagnie de mon acolyte, nous lisions le message suivant :

« Y a un carnaval dans ma commune, dans deux semaines, après mes exams. Tu veux qu’on y aille ensemble ? Te connaissant, ça va te plaire. »

Signé de lui…

Zénaïde n’avait pas tardé à me lancer un regard plein d’équivoque, les yeux grands ouverts. Son sourire était si grand qu’il déformait totalement ses traits.

- Je t’ordonne d’écrire la réponse maintenant, sous mes yeux.

Elle me caressait brièvement le cou à l’aide de la plume qu’elle avait récupéré du chapeau. Je manquais d’en faire valser mon téléphone de l’autre bout de la chambre.

- Arrêtes, je suis chatouilleuse Zénaïde, putain ! crié-je, en m’esclaffant.

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