26. Poupée hantée

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J’avais compris que j’avais obtenu tout ce que je méritais lorsque j’avais eu la policière au téléphone qui m’annonçait la mort de mes parents.

Pourtant, je me rappelais bien avoir passé ma vie à jouer aux orphelines. C’était marrant, ça m’amusait et me permettait de m’évader vers une réalité moins dure que celle où j’étais la fille d’un homme violent et probablement narcissique et d’une mère faible, peureuse et impuissante. Seule, j’étais bien mieux, je crois : je ne pouvais plus me mentir à moi-même sur ma vie risible.

Mais là, j’étais anéantie.

Mon esprit avait décidé d’occulter toute cette partie de ma vie. Je ne parvenais plus à me rappeler de ce qu’il s’était produit entre le moment où j’avais appris leur décès, au cours d’un incendie, à l'atelier, provoqué par une machine qui avait explosée et leurs funérailles. Je ne me souviens seulement d’à quel point les années qui avaient suivis étaient vides et mornes et que le jour de l’enterrement, je m’étais sentie mal pour ma mère de partir avec un homme pareil. Seule la présence de mon bien-aimé comblait cette lassitude. Lorsqu’il n’était pas dans les parages, j’étais avec eux, dans l’au-delà. J’avais besoin de lui, plus que jamais. Et j’avais compris que j’aurai toujours besoin de lui. Il était mon échappatoire à la vie funeste et sans couleur qui m’avait toujours été destinée. Même dans les scénarios les plus tordus et sordides que crée mon esprit, jamais j’aurai pensé que cet évènements était là, aux aguets de ma vie, attendant patiemment de m’asséner le coup de grâce.

C’était suite à cela que quelque chose s’était brisé dans la relation avec le père de ma fille. Au début, il avait tout fait pour combler le vide que m’avait laissé cette perte : il était plus présent, plus entreprenant, moins sollicité par son travail. Comme il savait la complexité de mes rapports avec mes parents, il était bien conscient de toute la dualité de mes sentiments et de mon deuil. Il n’avait jamais su combien mon père avait été abusif. Je refusais qu’il le comprenne. J’aurai été réduite à l’image de la fille victime de violence parental. Je craignais que cela ne change notre relation. Il fallait que tout soit parfait, et donc normal. Mais je crois qu’à cette période, il avait enfin compris toute la portée de cela alors il avait été envahi d’un intense sentiment d’impuissance, qui s’était vite changé en frustration. Cela avait donné lieu à davantage de conflits et de disputes. On se comprenait moins, parce qu’il culpabilisait de ne pas m’avoir totalement percée à jour. Et surtout, il réalisait tout le mal que je traînais avec moi. Sa vision de moi n’aura pas tellement changé, en fin de compte. Non, en réalité, c’est lui-même et la direction que notre vie prenait qu’il questionnait le plus.

Tout cela avait commencé par sa soudaine et abrupte demande en mariage. Maria avait quatre ans. C’était un soir lambda, où nous l’avions laissée avec une baby-sitter de confiance pour aller dîner dehors, sans raison particulière, sauf le besoin de se retrouver.

Et malgré tout le bonheur que je pensais ressentir à l’idée d’enfin devenir sa femme et de porter son nom de famille, auquel j’avais tant rêvé, j’avais simplement eu la désagréable impression de devenir un boulet pour lui. Une lourde chaîne accrochée à ses chevilles qui l’empêchait d’avancer. Il m’épousait pour me protéger du monde. Les orphelins sont les premières victimes des sévices de cet univers.

La cérémonie avait été telle qu’elle m’avait rappelée celle des films, que je regardais plus jeune, avec Zénaïde, beaucoup de monde et un budget conséquent. Mais il manquait mes parents. Eux à qui je voulais en premier annoncer cette nouvelle : vous ne m’avez pas détruite.

Sauf que les dégâts étaient là.

J’étais donc devenue comme une poupée : dépourvue d’âme et de voix. Juste un jouet, la belle vitrine extérieure de la mère au foyer parfaite afin de camoufler la haine et la tristesse qui m’habitaient et hantaient mes nuits. A nouveau, j'étais la coquille vide de mon adolescence sinistre et solitaire.

Une poupée hantée, en somme. Mais il n’y avait pas que ma relation avec lui qui s’était détériorée. Quand ma fille était entrée à la fin de son enfance, nos rapports n’ont fait que dégringoler. Elle m’en voulait mais j’étais incapable de savoir de quoi, parce qu’elle refusait que je l’approche, que je la touche ou que je lui parle plus de cinq minutes. Si j’essayais de l’embrasser ou de la câliner, dégoûtée, elle se sauvait pour s’enfermer dans sa chambre. Ou se réfugier dans les bras de son père. Un soir, je l’avais entendue lui dire très clairement : « Maman m’aime pas donc je l’aime pas non plus. »

C’était dans ce contexte qu’était arrivé ce qui j’avais toujours craint : il s’était fait approcher d’un peu trop près par une étrangère.

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