30. Bibliothèque oubliée

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Stella était née en mauvaise santé. Dès la naissance, elle avait démontrée les signes d’une santé fragile et souffrait d'insuffisance pulmonaire. A ses huit mois, nous avions été réveillés par ses suffocations et ses pleurs étouffés, dû à une crise d’asthme.

J’avais eu moins de difficulté à dompter Stella que Maria, mais la charge mentale était plus grande : la peur harcelante et accablante qu’elle ne meure dans mes bras ou près de moi, en m’endormant, quand elle aurait besoin de soin, me hantait chaque seconde. Avant sa naissance, sa chambre, avoisinant la notre, avait été aménagée avec précision et amour mais durant ses deux premières années, elle dormait avec mon mari et moi. J’étais attentive à chacun de ses souffles et de ses gestes. Chaque nuit, mon cœur priait pour qu’elle guérisse de ses maux, pour ne pas se noyer dans le désespoir.

Au fur et à mesure que ma seconde fille grandissait, ses petits traits s’affirmaient. C’était une douce et frêle petite fille, détonant complètement avec sa grande sœur, affirmée et sérieuse. Elle était gentille et communicative, alors que Maria faisait montre d’une franchise et d’une dureté à tout épreuve.

Nos rapports ne s’étaient pas améliorés et avaient peut-être même empiré, alors qu’elle pataugeait en pleine adolescence. Jusqu’au jour où en atteignant un point critique, cela nous avait permis de parler véritablement.

Cela s’était produit lors d’une soirée où Stella s’était avancée candidement vers sa sœur, en réclamant des bisous et qu’elles jouent ensemble. Comme Maria l’ignorait, plongée dans sa musique et sa lecture, Stella insistait en lui tapotant l’épaule tout en braillant son nom, jusqu’à tenter d’escalader sur elle, pour attirer son attention. Cela avait profondément ennuyé Maria qui dans un excès de colère démesurée l’avait repoussée brutalement, en plaquant sa main contre son visage, la laissant tomber par terre, cognant son crâne au sol dans un bruit sourd.

J’étais dans ma chambre, plongée dans la correction de copies de jeunes écoliers en dernière année et j’avais été attiré par le son de l’impact. Craignant le pire, j’accourais jusqu’au salon, où se trouvaient mes petites.

Maria était juchée au-dessus de Stella, sanglotante, la secouant alors que sa sœur pleurait à chaude larmes de douleur. Dès que Maria m’avait aperçue, elle s’écriait :

- J’ai rien fais je te jure ! On faisait que jouer et puis d’un coup, elle est tombée toute seule… on faisait rien de mal…

- Elle m’a tapée !! pleurnichait Stella. Et elle voulait pas jouer avec moi !

J’assénais mon aînée d’un regard noir, comprenant que Stella racontait la vraie version. En m’approchant de mon bébé, âgée de quatre ans pour la bercer et la consoler, Maria me couvait d’un regard outré.

- Mais maman ! Je te jure, j’ai pas fait exprès.

Je l’avais à mon tour détaillé d’un œil plein de reproche et de ressentiment.

- T’as frappée ta sœur !! avais-je hurlé. Tu sais qu’elle est fragile ! Et cette chute… Ça va aller, mon chou…

Je caressais avec délicatesse le sommet de son crâne en murmurant des consolations contre ses petites oreilles rosées.

- Ne pleure pas, ma chérie, pleure pas. C’est finie, maman est là…

Maria nous regardait à tour de rôle, les yeux remplis de larmes chargées de haine.

- Ne me regarde pas comme ça ! l’avais-je sommé. C’est toi qui l’a frappée !

- Je rêve !! T’façon, je le savais, tu m’as jamais aimée !

Alors qu’elle cherchait à quitter la pièce, je l’avais interceptée avec force, en attrapant son bras et l’avais projetée devant moi, sans la lâcher.

- Qu’est-ce que tu racontes encore ? Tu es ma fille, bien sûr que je t’aime ! Cesse donc de constamment jouer aux victimes avec moi. Je l’ai toléré mais maintenant, tu as 16 ans. Grandis, Maria !

- Toi, grandis ! elle avait braillé. ‘Tain, mais vivement qu’on aille chez Zénaïde et Elise ! Tu m’as jamais aimée, arrête de mentir ! Toute ta vie, t’as pensé qu’à ta gueule et à papa ! Surtout à papa. On aurait dit une ado ! Casse-toi de mon chemin, maintenant.

J’avais déposé Stella au sol qui s’était empressée de se coller à mon genoux. Violemment, j’assénais une bruyante gifle, avec élan à ma grande.

- Espèce de petite…

Elle ne m’avait pas laissé terminer et encore un peu assommée par la rudesse de la claque, qui me picoraient la main, elle s’était sauvée pour quitter la maison.

Gentiment, j’invitais Stella à me lâcher et m’élançais à sa poursuite, après avoir enfilé très rapidement des chaussures.

Bordel… laisser ma toute petite fille à la maison… alors que je coursais Maria, qui s’était ruée vers une direction que nous empruntions peu souvent, je sortais mon téléphone et envoyais un message vocal à ma voisine, lui demandant de se rendre chez moi pour garder ma Stella, ayant dû partir en catastrophe. Elle possédait un double des clés, heureusement, mon enfant ne serait pas seule…

J’avais enfin pu rattraper ma fille, en la rejoignant dans un endroit totalement inconnu et surtout délabré, près de la foret. A l’intérieur, j’y trouvais une bibliothèque. Elle avait même installé quelques coussins et un pouf. Les étagères modernes, lisses et propres contrastaient complètement avec l’état des lieux. C’était vieux et ressemblait à une cave, tant c’était sombre et poussiéreux.

Essoufflée, j’avais trouvé Maria, enfoncée dans l’un des poufs, pleurant toutes les larmes de son corps, recroquevillée sur elle-même. J’étais tentée de la prendre dans mes bras et la rassurer mais elle m’avait vite railler :

- Dégage. C’est chez moi, ici.

- Je compte pas rester. Ce que tu viens de faire c’est un caprice. Je n’ai plus ton âge et je suis ta mère. Si tu avais un problème avec moi, tu aurais dû venir m’en parler. Ça fait des années que je me torture, MOI, à cause de ton comportement. Si tu te sens mal-aimée, c’est qu’on a mal communiqué toutes les deux. Si tu avais connu ma mère et surtout mon père, si tu les avais eu, eux comme parents, tu saurais ce que c’est vraiment de ne pas être aimée de ses parents, crois-moi.

Elle s’était murée dans le silence, fuyant quelconque contact visuel avec moi, réprimant avec difficulté ses hoquètements. D’un seul coup, elle redevenait le petit bébé que je berçais contre moi.

- Si tu n’as rien à me dire, réfléchis et rentre juste après.

Des semaines plus tard, à l’occasion de son anniversaire, j’avais aménagé tout le sous-sol de la maison, de sorte à en faire un petit coin de lecture paisible et cosy pour ma fille. J’avais tout repeint, installé des étagères qu’elle garnirait au gré de ses envies, ajoutant quelques bouquins, achetés pour l’occasion, qu’elle n’avait pas encore lu, déposé des cadres pour qu’elle ne se sente pas totalement isolée de sa propre famille et tout décoré selon ses goûts : très peu et assez simplement.

En tombant sur une simple petit clé, en ouvrant son cadeau, elle était restée très perplexe et avait même lancé une réplique typique d’elle :

- On est pas aux states, hein, j’peux pas encore conduire mais cimer, c’est l’intention qui compte. En attendant, c’est moi qui vais atterrir au poulailler après.

On avait éclaté de rire et Stella aussi, bien qu’elle n’avait pas compris la moitié des mots employés et s’était joyeusement écriée : « On va adopter des poules ?? ». Nous l’avions guidée jusqu’à sa nouvelle cachette. A son cri de surprise et de bonheur, j’avais compris que pour une fois, elle appréciait sincèrement un de mes présents.

Nos rapports ne s’étaient pas améliorés pour autant mais un dialogue avait enfin pu s’instaurer. Pour la première fois, de son plein gré, elle s’était réfugiée dans mes bras. Je sentais la rondeur de ses formes sous mes doigts, sa forte odeur de lavande ainsi que ses boucles brunes, aussi sauvages et indomptables qu’elle se frotter le visage. C’était comme si je venais de rencontrer ma fille.

Deux ans s’étaient écoulés ensuite. Je pensais que notre vie resterait aussi paisible. Etant donné que je travaillais, mettre de côtés mes démons ainsi que mon obsession pour mon mari m’était plus aisé. J’avais quarante-sept ans. J’étais comme qui dirait « vieille », aux yeux de la génération qui prenait le relai. Mais l’âge n’avait en rien altéré tout l’amour que je lui vouais. Au contraire, il s’amplifiait. Je voulais plus que jamais profiter de chaque seconde passée à être son épouse.

Mais cela n’était plus du tout son cas et je l’avais appris un après-midi lambda, durant un week-end que les filles passaient chez Zénaïde et sa femme, comme mon amie souhaitait passer du temps avec elles et leur montrer Paris. Tout allait très bien, jusqu’à ce que je surprenne une conversation que je n’aurai jamais dû entendre. Mon mari parlait avec l’un des ses frères de nos filles.

- Les filles sont chez Zénaïde. Et Sofia est avec moi, oui… à ton avis, crétin ? Bien sûr !... non, je ne sais pas, et arrête avec tes questions à la con. Je t’en parle parce que j’ai pas de preuve justement, sinon c’est pas un abruti fini comme toi que je serai allé voir. Je crois que c’est mon imagination. Et c’est probable, j’ai réellement besoin de vacances mais je suis… disons qu’une partie de ma tête est convaincue que Sofia est impliquée de près ou de loin dans la mort d’une vieille collègue. C’était quand je bossais à Paris. Me demande pas ! Je sais pas… y a quelque chose qui me parait louche, dans cette histoire. Mais putain, c’est la mère de mes filles, que veux-tu que je fasse ?! Ouais, t’as raison… je suis vraiment fatigué en ce moment. Et tu sais comment je m’emporte.

Je m’étais précipitée, terrifiée à la cuisine, sans savoir exactement pourquoi j’y allais et ce que j’y cherchais. Mes mains avaient atterris sur le rouleau à pâtisserie, posé en évidence sur le plan de travail, propre. J’ignorais pourquoi je devais l’avoir sur moi mais mon instinct me sommait de m’armer.

Quand je l’avais rejoint, il était encore plongé dans sa conversation. Celle-ci semblait agitée. Même si je ne distinguais que des éclats de voix, dévorée par la peur et la curiosité, je l’avais interpellée joyeusement, faisant mine de ne pas remarquer qu’il était au téléphone. Pris de sursaut, il avait manqué de laisser son portable s’écraser au sol. Il avait murmuré un « je te rappelle », pour se concentrer sur moi.

- C’était qui ? avais-je innocemment demandé, cachant l’ustensile derrière moi.

- Le boulot, rien de grave.

S’il mentait, c’était qu’il me cachait quelque chose. C’était très mauvais signe.

- Et toi, tu es apparue comme un fantôme !

J’avais malicieusement souri.

- Tu me dis toujours que je suis très discrète. Au point de faire peur, des fois.

Il avait ri très jaune.

- Ouais, c’est clair. T’es forte. Euh… tu voulais quelque chose ?

- Tu vas bien ? Tu n’as pas l’air serein, mon amour.

- Nan, c’est le travail, là… attends, je vais aller prendre une douche. Ça… m’aidera à mieux me concentrer.

Il s’en était allé précipitamment, comme un éclair pour s’enfermer dans la salle d’eau. J’allais profiter de son absence temporaire pour étudier les papiers étalés par terre et sur son bureau et mieux appréhender la suite.

Mais rien n’était en rapport avec l’histoire de Leïla. Bordel, mais pourquoi il s’était rappelé de cette sale histoire d’un coup… un vieux confrères de Paris l’avait téléphoné ? Putain !

Je surveillais la porte de la salle de bain, très attentive au moindre bruit du jet d’eau, les doigts fermement serrés autour du rouleau. Il n’avait pas l’intention de me confronter ni d’être agressif. Alors que faire ? Comment l’étudier sans qu’il ne se doute de quelque chose, déjà qu’il avait des soupçons dirigés contre moi. J’étais rassurée du manque de preuve. Pas de preuve, pas de crime. J’avais tout bien fait, pour éviter le moindre problème. Mais qui sait, j’avais peut-être laissé un détail étrange… bordel, c’était il y a si longtemps, je n’arrivais pas à m’en souvenir !

Il s’était déjà lavé hier alors en toute logique, il n’allait pas tarder aujourd’hui, c’était certain. J’allais très bientôt le voir et tenter de l’étudier de plus près.

Malgré ce moment de pression, je n’arrivais pas à me sortir de la tête la vision de son corps, totalement dépourvu de vêtements, sous l’eau. Cette image me provoquait des frissons voluptueux, que je peinais à réprimer. Ce n’était pas le moment, pas du tout. Contrôle-toi, merde.

Une bonne vingtaine de minutes plus tard, il avait enfin terminé et alors qu’il sortait, en m’apercevant, il n’avait pu s’empêcher d’à nouveau s’exclamer de surprises.

- Sofia ! Tu étais là !

- Oui ! avais-je déclaré, toute sourire. Je voulais te dire que tes vêtements étaient posés sur le lit !

- Ah je… c’est gentil, mais…

- C’est normal ! Tu ne disais pas que j’étais la meilleure des épouses ?

- Si… si…

- Je peux t’aider alors, comme toi tu m’aide.

Il semblait sérieusement perdu. D’accord… j’avais la très nette impression que ma couverture était grillée. Il sait que je me doute aussi de quelque chose. Tant pis, je ne pouvais plus faire marche arrière, cette fois.

Alors qu’il marchait en direction de la chambre, très discrètement, je l’épiais et quand il était parvenu à l’encadrement de la porte, j’avais soulevé le rouleau à pâtisserie, jusqu’au-dessus de ma tête et l’avais abattu froidement contre son crâne, le faisant tomber en avant, cognant contre front au rebord du lit pour finir par s’écraser inerte par terre, les yeux clos. Ma première réaction avait été de jeter mon arme de part et d’autre du couloir, très paniquée, en poussant un effroyable cri d’épouvante et de remord.

Pourquoi j’avais fait ça ??

Non, non impossible… il ne pouvait pas être mort…

J’avais rassemblé assez de courage pour m’avancer vers lui et inspecter son état. Après avoir pris son pouls et collé un oreille à son abdomen, j’avais déduis qu’il était encore en vie… dieu merci. Cependant, s’il avait une bosse au crâne, son front était marqué d’une ouverture certes peu profonde mais visible, presque au niveau de son sourcil.

Putain mais qu’est-ce que j’avais fait…

J’avais littéralement atteint le point de non-retour. C’était la fin.

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