Aux armes ! et cætera...
Les bruits de bottes et les tickets de rationnement, on n’a pas connu. Pas plus les obus qui sifflent, les dents qui claquent aux abris, les coups à la porte ou l’attente d’une lettre du front. Lors d’une veillée ou d’un cours, on nous a raconté. La Traversée de Paris et le Mémorial de Caen, on a vu et aimé la mise en scène. Peut-être un jour, au retour de vacances dans le midi, a-t-on frémi en visitant Oradour, ce silence jusqu’aux oiseaux. Ici et là, ils et elles soufflent 84 bougies et se souviennent d’une vie glorieuse, d’une plage sous les pavés, d’un Général et de tous ceux qui s’en sont suivi et ont pris la barre. Mais cette vie entière qui fût la leur, singulière parce que sans mitraille et sans feu du ciel, qui s’en félicite ? Manquerait plus que ça ! Y’a des choses comme ça, vois-tu, l’eau, l’électricité, la paix, la liberté de pensée… On les a toujours eues, c’est naturel. Normal quoi, genre. Comme qui dirait. Alors quoi. Pourquoi dans un pays que nulle armée n’encercle ni ne défie, la rhétorique belliqueuse nous saute-t-elle à la gorge et nous contamine-t-elle, une gale jusqu’à l’âme ? N’est-il pas facile d’en rejeter la faute à un seul homme, fût-il trouffion en chef de la République ? N’est-ce pas faire peu de cas de nous tous ? Nous réduire à des moutons de Panurge prompts à bêtement suivre tel doigt pointé, à approuver telle vue crétine de l’esprit et, en l’occurrence, à adopter un langage d’enfants de troupe ? Tout a commencé avec l’arrivée de ce virus méchant contre lequel nous fûmes enjoints d’être en armes. Et l’on célébra manu militari nombre de fantassins, premières et secondes lignes, qu’on glorifia avant que de les oublier tout aussi vite. Une fois l’ennemi terrassé, s’ensuivit toute une série de métaphores où l’on usa des boucliers (tarifaires) brandis pour nous protéger d’explosions (inflationnistes). Il aurait pu s’agir là d’une sale affaire passagère, d’un coup de sang ou d’une soudaine affirmation virile dans un moment où les mâles ne savent plus trop où ils habitent. Las. La maladie est là. Le président, à l’accent martial, entend nous réarmer à tous les étages, des bancs de l’école aux chaînes de production, des frontons aux esprits, en passant par les tirelires, Marianne, le coq, l’Europe et jusqu’aux corps des femmes. Vaste programme ! Mais le mal nous ronge tous et chaque jour. Au bureau, on parle d’untel telle une machine de guerre, d’engagement total, de stratégie et de tactique. Et dans notre quotidien, il faut s’entraîner, se prémunir, avoir l’œil, vaincre et se battre. Toujours se battre, partout. Notre vie, un champ de bataille.

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