Un midi, tu reposes ta tasse de café sur la toile cirée. Tu me dis n’y rien comprendre et me demande, résignée, pour qui voter. Ça se passe il y a trente ans. Putain ! 30 ans… Le temps fuit et je réalise soudain que ce 11 février prochain, tu aurais atteint la centième année. Mais à quoi bon. Déjà, il t’arrivait alors de lâcher un soupir qui disait, sans le dire, que la vie était longue et que dehors, les oiseaux qui volent bas, c’est signe d’eau et que, le temps humide n’est pas bon pour les rhumatismes. Mais je m’égare, maman. Ce jour-là, je t’ai répondu qu’il te fallait choisir Dominique Baudis, tête de liste à ces élections européennes-là. Sans doute ai-je précisé que ma réponse n’était pas liée à mes idées mais au simple fait qu’il s’agissait là du digne représentant de la famille politique pour laquelle tu avais toujours donné ton suffrage. Cette droite des champs, plus ou moins catho qui, depuis des lustres rassurait les clochers. Déjà presque 19 ans que tu as lâché l’affaire. Si tu savais, maman, comme tout change et rien ne change. Ces jours-ci, les agriculteurs sont colère. Une fois de plus. C’était un autre midi, autre jour, autre année et sans doute, autre toile cirée. Tu avais la même force tranquille dans cette façon d’aborder le train-train : les poules à panser, le linge à étendre, l’herbe à arracher. Ici et là, on disait qu’à cause des quotas laitiers, des paysans étaient condamnés à jeter le lait dans les fossés. Je me souviens du tremblement de ta lèvre, signe que ce n’était pas possible, que c’était à pleurer, que déjà mon père et le père de mon père le disait… Si tu savais maman, le paysage a tant changé. Les agriculteurs disparaissent, tout comme les oiseaux. Et l’Europe ? Je serais incapable de guider ton vote tant il ne reste que charpies de ce que fut la droite.