Chapitre 7 : Nox Morwin
Le silence qui plane après une telle épreuve, n’est pas simplement une absence de bruit. C’est une entité entière et lourde qui s’installe entre chaque battement de mon cœur. Le silence ne plane pas, il m’étouffe, il ne m’ignore pas, il m’observe. C’est pesant et à la fois déstabilisant. La salle, elle, semble s’être figée en un instant hors du temps, ou c’est peut être moi. Je ne sais pas.
Je suis là, assise au sol, recroquevilléée dans les bras de la femme qui m’a guidée jusqu’ici. Son corps est chaud, fort, mais il devient peu à peu un souvenir en train de se détacher. Son souffle contre ma nuque ralentit, elle ne dit rien mais son silence parle pour elle. Comme moi. Comme tous ces regards figés qui attendent une réaction de ma part. Mais mon coeur ne sait plus quoi ressentir, je suis vide de toute émotions. Plus de peine, plus de peur, plus rien. Juste un calme plat, presque dérangeant. Et c’est ça qui me terrifie.
La femme se lève, son geste est délicat, presque cérémoniel. Ses bras se détachent lentement, puis elle me regarde une dernière fois. C’est doux, mais c’est un au revoir. Ou un adieu ? Doucement, elle disparaît dans le mouvement de la foule qui s’échappe de la salle. Et moi, je reste figée et seule.
La pièce paraît démesurément grande. Elle n’a plus de frontières, plus de contours. Seulement ce sol froid sous mes jambes, ce cristal derrière mon dos, et ce silence revenu. Celui qui n’appartient qu’à moi. Celui qui murmure les secrets qu’on préfère taire.
Mais je ne suis pas seule. Je le sens.
Nox.
Sa présence est une ombre chaude qui rôde autour de moi, discrète mais insistante. Il ne parle pas. Il ne fait aucun bruit. Et pourtant, je le sens dans chaque frisson qui parcourt ma peau, dans chaque tension qui se glisse dans ma nuque. Il est là. Tout près. Trop près.
Je baisse les yeux, n'osant pas croiser les siens. Il ne m’a pas encore touchée, pas encore parlé, et pourtant sa proximité est presque étouffante. Comme une chaleur qui n’ose pas se transformer en feu. Puis, lentement, il émerge de l’ombre. Sans bruit, sans éclat. Il se penche. Ses doigts hésitent, puis se posent contre mon menton. C’est un contact fragile, comme une caresse du vent, mais il me secoue intérieurement.
Je lève le visage et je croise enfin son regard. Il est là, devant moi, dévoilé. Ses yeux me fixent en retour. Ils contiennent une lumière étrange, comme une flamme retenue derrière des vitres brisées. Il ne sourit pas. Il ne fuit pas, mais il reste distant. Très légèrement, il effleure ma joue du bout des doigts, comme s’il s’assurait que je suis bien réelle. Puis, sa main retombe, brisant l’illusion du lien.
Il s’accroupit lentement devant moi. La tension dans ses épaules est palpable.
— Tu es tellement forte...
Sa voix n’est qu’un souffle tremblant, une note cassée dans le silence. Il semble vouloir dire plus, mais ses mots se coincent dans sa gorge. Il baisse la tête, le regard fuyant. Comme s’il n’avait pas le droit de me regarder en face.
— Pourquoi tu n’as pas répondu à mon regard ? je murmure. Pourquoi as-tu détourné les yeux pendant l’épreuve ?
Sa mâchoire se crispe. Il ne répond pas tout de suite. Le silence entre nous devient coupant, métallique. Puis il s’assoit au sol, brusquement. Son corps tendu trahit un conflit intérieur.
— Je suis un démon, ou plutôt… un demi.
Son regard reste accroché au mien, comme s’il tentait de deviner ma réaction avant qu’elle ne vienne.
— Je peux lire les pensées. Je l’ai toujours pu. Mais toi… toi, je ne peux pas lire en toi.
Il dit cela comme une confession honteuse. Sa voix est rauque, et elle fait écho dans mon ventre. Quelque chose en moi se tend.
— Pourquoi ?
Ses doigts s’agitent, s’entrelacent. Il semble déchiré entre l’envie de me dire la vérité et la peur de ce que cela implique.
— Seuls les vrais célestes me résistent. Les purs sangs.
Je me fige. Mes épaules se tendent… J’ai peur de comprendre.
— Je... je ne comprends pas.
Ma voix s’étrangle avant même de franchir mes lèvres. Ma gorge se serre d’un coup et mon estomac se noue dans un réflexe de défense. Et tout en moi vacille. Nox voit rapidement la panique dans mes yeux et sans un mot de trop, il choisit de briser le silence. Il rapproche son corps du mien, lentement, comme un animal sauvage cherchant sa proie. Ses gestes sont contenus, calculés, mais sa présence prend toute la place. Elle est envahissante, presque oppressante. Il est près de moi, juste en face, si proche que je peux sentir son souffle chaud effleurer ma joue. Et pourtant, il garde une posture fermée, légèrement inclinée vers l'arrière, comme s’il se retenait de franchir un seuil invisible entre nous.
— Looélia a dû t'expliquer la naissance des demi-célestes, dit-il enfin, la voix grave, posée. Après l'apparition des Mutants, les anges et les démons ont reçu l'ordre d'injecter une infime dose de leur sang dans des fœtus humains. Une opération risquée, contrôlée... mortelle.
Looélia.
C’est donc son prénom, celle qui m’a guérit du mutant. Celle qui m’a portée à travers la première épreuve et guidée jusqu’ici. Son nom claque dans mon esprit comme une clé qui ouvre lentement les portes de mon esprit.
Nox baisse les yeux, son regard fuit le mien. Il se déplace imperceptiblement, frôlant mes genoux du bout de ses doigts sans réellement les toucher.
— Moi... je suis de la première génération. Le test ultime. L’expérimentation.
Je hoche la tête, toujours silencieuse. J’écoute, suspendue à ses mots comme à un fil fragile.
— Mais tout ne s'est pas passé comme prévu, continue-t-il. Un ange a agi seul. Il ne voulait pas qu'on existe. Pour lui, les demi-êtres étaient une hérésie, une insulte. Alors il a tué ses frères et sœurs et volé leur sang. Ensuite il l’a injecté aux fœtus comme prévu, mais à des doses trop grandes…
Sa main se tend vers la mienne. Il la prend doucement, presque timidement. Son pouce effleure ma peau, un geste lent, enveloppant. Pourtant, son regard se détourne encore, comme si l’intimité du contact le brûlait.
— Il voulait créer de vrais anges. Des armes de guerre. Des purs sang. Pas des hybrides, comme moi…
Je fronce les sourcils. Les mots se bousculent en moi.
— Mais c’est une bonne chose, non ? Ça veut dire qu’il y a des vrais célestes parmi nous ?
Nox ferme les yeux, comme si ma naïveté lui faisait mal. Il penche la tête, plus près de moi maintenant, tellement près que je sens le chewing gum dans sa bouche.
— Tu ne comprends pas, Sarya. Injecter trop de sang… c’est dangereux. Même pour une humaine forte. Le processus classique tue déjà des milliers d’embryons… Mais là ? Là, c’était pire.
Son regard remonte lentement vers moi. Il est incandescent. Inquiétant. Une lueur de douleur persiste au fond de ses iris.
— Imagine le nombre de femmes mortes. Les cris que nous avons entendus, là-haut. Ce qu’il a fait… c’est pire que ce que les Mutants ont provoqué.
Mon cœur cogne contre ma poitrine, brutalement, sans rythme. Nox serre ma main un peu plus fort, comme s’il craignait que je parte en éclats.
— Tu sais… je n’étais pas censé être ton gardien.
Ces mots sont à peine audibles. Mais leur poids explose dans l’air entre nous. Je me tends, encore une révélation.
— Comment ça ?
Son souffle se mêle au mien, fragile. Il inspire, longuement. Ses épaules se contractent, sa main caresse du bout des doigts ma cuisse, mais il garde cette retenue étrange, ce refus de s’abandonner entièrement à la proximité. C’est agréable et frustrant à la fois. J’essaie de ne pas montrer que son contact me déstabilise mais c’est compliqué et je sais qu’il le voit.
— À ta naissance, ton gardien avait été choisi. Ce n’était pas moi. C’était lui.
Je retire sa main brusquement, comme si elle m’avait brûlée. Il ne dit rien, ne tente pas de la reprendre. Son visage reste immobile, tendu.
— C’était un ange. L’un des plus anciens. Mais... il a désobéi. Volé du sang céleste en trop grande quantité. Créé des êtres de pur sang sans respecter le pacte.
Nox se redresse légèrement, la mâchoire serrée. Il semble prêt à déverser tous ses secrets.
— Certains l’ont vu comme un miracle, d’autres comme une aberration. Alors ils l’ont jugé.
Je sens mon cœur battre dans mes tempes, prêt à éclater.
— Qu’est-ce qu’ils lui ont fait ? dis-je
Il baisse les yeux, sa voix devient presque une plainte.
— Ils l’ont banni sur Terre, sans pouvoir, enfermé dans une peau humaine. Coupé de tout et probablement déjà mort.
Il se redresse enfin, le regard sombre.
— Et moi… j’ai été désigné pour le remplacer.
Un frisson amer me parcourt.
— Nox… est-ce que ça veut dire que moi aussi... j’ai reçu une dose trop grande ?
Son regard se fige dans le mien. Il ne répond pas et c’est ce silence-là qui me fait le plus peur.
— Est-ce que je suis un ange ? Un vrai ? j’insiste
Ma voix se brise, elle se tord, se déchire. Je tremble. Encore. Toujours.
Il s’approche encore. Son visage n’est qu’à quelques centimètres du mien maintenant. Il ne me touche pas, pas vraiment. Mais la chaleur de son corps m’enveloppe et me retient comme une cage invisible. Lentement, il m’aide à me relever, ses mains guidant mes bras avec une douceur inquiétante, presque trop parfaite.
— Je ne sais pas, Sarya. Mais je sais que les vrais anges me résistent.
Il pose enfin ses doigts contre ma joue. Un frôlement. Presque rien. Un murmure sur ma peau.
— Et toi… tu me résiste. Et ça me rend fou, il murmure dans le creux de mon oreille.
A ces mots, il me lâche brutalement et s’échappe dans les ombres, encore. Et moi, je reste là, la joue encore chaude de son toucher, tandis qu'il disparaît, emportant mes réponses avec lui.
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