Rencontre avec une salamandra

4 minutes de lecture

Le garçon et le Roi loup

Inspiré de la fable « Le garçon qui criait au loup » d’Esope

 Il était une fois, dans le Denimope, alors que le continent n’était encore que terres sauvages parsemées de petits villages sans grande importance, un jeune garçon qui passait ses journées à surveiller ses advouquetins[1]. Ses bêtes, au casque osseux et solide comme le roc, fournissaient au berger et à sa famille le lait et la laine qu’ils revendaient ensuite. Elles étaient paisibles et jamais agressives, si bien que ce travail quotidien eut tôt fait d’ennuyer le garçon.

 Lui rêvait d’aventure, d’exploration et, surtout, d’admiration. Au village, on ne parlait que de ces missionnaires qui parcouraient le pays au péril de leur vie, de ces seigneurs qui soumettaient et protégeaient les peuples, ou encore de ces soldats qui guerroyaient pour une raison ou une autre. Mais le garçon n’avait rien de tout cela. Il n’avait pas eu d’éducation, était issu d’une famille modeste, et ne savait guère se battre. Il n’était qu’un individu parmi tant d’autres, que rien ne semblait distinguer de la populace. C’était peut-être cela qui le désespérait le plus.

 Un jour qu’il faisait paitre ses bêtes, comme à son habitude, l’arrivée d’une salamandra[2] de belle taille le fit sortir de sa torpeur. Immense lézard ayant migré depuis l’une de ces montagnes fumantes qu’on pouvait voir à l’horizon, l’animal était largement capable de tuer un advouquetin, si tant est qu’il l’attrape. Effrayé de le voir, le troupeau s’agita et sonna l’alerte au garçon, qui s’étonna de l’aspect de l’animal. On n’en avait encore jamais vu de pareil au village, bien que l’espèce soit commune aux volcans voisins.

 — Voilà ma chance ! s’était alors dit le garçon. Je vais occire cette bête et montrer ma valeur à tout le monde !

 Mal lui en prit, cependant, car la salamandra, à peine l’eut-il approchée, lui cracha ce qui ressemblait à quelques gerbes de flammes. Le garçon eut si peur devant cette prouesse qu’il abandonna là ses bêtes au prédateur et courut au village, criant au monstre.

 Les villageois ne se firent pas prier. S’armant de tout ce qui leur passait sous la main, ils foncèrent droit vers la prairie qu’occupait d’ordinaire le garçon. Là, ils firent fuir l’étrange bête, qui, devant ce brouhaha enquiquinant, fit demi-tour, le ventre vide, sans demander son reste, avançant avec toute la grâce possible, c’est-à-dire bien peu.

 Le troupeau était sauf ! On félicita le garçon qui, malgré sa panique, avait averti le village des dangers de l’animal. On invita le jeune homme le soir pour fêter le départ de la bête. Comme il s’y était attendu, il prit goût à voir toute l’attention portée sur lui. Lorsque ses camarades lui demandaient de leur raconter comment la rencontre avec la salamandra s’était passée, il n’hésitait pas à en remettre une couche. Si la bête n’était pas plus haute qu’un advouquetin et à peine deux fois plus longue, elle devint, en fin de soirée, trois fois plus grande qu’un domroch[3], et crachant des flammes à dix mètres. Selon le garçon, il avait risqué sa propre vie pour sauver trois de ses bêtes avant de, finalement, demander de l’aide aux autres villageois. Ces derniers, qui se voyaient eux aussi présentés comme des héros par les dires du baratineur, ne s’opposèrent pas une seule fois à ses descriptions.

 Alors que la soirée battait son plein, un voyageur de passage, qui s’était tu jusqu’ici, proposa son aide pour aller tuer l’animal. C’était un de ces missionnaires qui maniait aussi bien les mots que le glaive. Si la salamandra continuait de rôder près du village, ce dernier était en danger, et tous ses habitants avec. L’inconnu les mit particulièrement en garde contre les incendies, qui, en vue de l’état des maisonnées, se répandraient bien vite. Compte tenu des descriptions du garçon, tous acclamèrent cet homme téméraire qui voulait tant protéger le village. Tous, sauf le garçon.

 Ce dernier voyait clair dans le jeu de cet homme. Surement connaissait-il déjà l’animal, sans quoi il ne se serait pas tant avancé d’aller le tuer en ayant juste entendu son histoire. Mais il ne pouvait rien dire sans passer pour un menteur. Ce qui le gênait le plus, cependant, c’était que toute l’attention, désormais, était portée sur cet inconnu de passage, si bien qu’on l’oubliait, lui.

 Pestant en silence, le garçon prit sa décision. Ce serait lui, et non pas ce diable de missionnaire, qui tuerait la salamandra ! Aussi, le lendemain, au lieu de partir faire paitre ses advouquetins, comme à son habitude, le garçon s’arma de la fourche de son père et partit traquer la créature de la veille.

[1] Les advouquetins sont un peu l’équivalent des moutons que vous connaissez, à la différence de leur couche osseuse avec laquelle ils se défendent et se battent entre eux à coups de tête. C’est un animal de la Terre des Murmures

[2] La salamandra est un grand lézard capable de cracher de petites flammes, inspirée des dragons de notre imaginaire, mais de taille bien plus modeste. C’est un animal de la Terre des Murmures.

[3] Le domroch est un bovin très répandu en Terre des Murmures, avec trois cornes successives sur la tête, élevé pour sa viande et pour tirer les charrettes.

Annotations

Vous aimez lire C.Lewis Rave ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0