La petite flûte de marbre vert

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 Notre homme, bien embêté par la situation, vécut des jours pénibles où toutes ses connaissances lui tournèrent le dos. Les premiers morts trois jours plus tard vinrent jeter le dernier froid sur Nopila. À l’auberge, la Pestilence restait cloitrée dans sa chambre, sans sortir, même quand l’aubergiste venait lui annoncer qu’il était l’heure du repas. Quand il apprit que les premiers malades avaient succombé, il alla frapper à plusieurs reprises à la porte du Colosse, la suppliant pour qu’elle parte et laisse leur village tranquille. Mais la Pestilence ne répondit pas.

 Malheureux de voir les habitants mourir et lui tourner le dos à cause de sa proximité avec la Colosse, notre homme décida d’oublier ses tracas dans l’alcool. Mais alors qu’il se servait un généreux verre de vin, les portes de son auberge s’ouvrirent et un homme y entra.

 Il n’avait jamais vu cette personne auparavant. Il était grand et habillé avec une sorte de vieille toge rapiécée et trouée. Il avait de longs cheveux blancs comme les os qui dépassaient de sous son chapeau, trop grand pour sa tête, au point de cacher ses yeux. Il exposait un large sourire de ses dents tout aussi blanches que sa chevelure et portait un large sac au dos rempli. Sans rien dire, l’inconnu se dirigea vers la table la plus proche du comptoir.

 — Vous ne devriez pas venir ! s’exclama l’aubergiste, inquiet, à son égard. Ne savez-vous donc pas que la Pestilence loge chez moi ?

 — C’est ce qu’on raconte dans le village, effectivement, confirma l’homme en déposant son sac à côté d’une chaise avant de s’y asseoir. Mais on disait aussi, je crois, que vous avez un sens de l’hospitalité à toute épreuve. Vous ne la refuseriez pas à moi, pas vrai ?

 — Hé bien, si vous êtes conscient du danger…, répondit l’aubergiste après avoir dégluti.

 — Je vois que vous avez sorti le bon vin ? fit remarquer le client. Venez donc boire un verre à mes côtés. Cela doit faire quelques jours que vous n’avez rien partagé avec personne, non ?

 C’était en effet le cas, et l’aubergiste ne fut pas difficile à convaincre. Il attrapa son pichet et un second verre et alla rejoindre le voyageur. Il le lui remplit et lui tendit avant de trinquer à ses côtés. Mais l’aubergiste restait curieux. Pourquoi cet homme était-il venu risquer sa vie ici ? Croyait-il y être à l’abri, justement, ce qui ne semblait pas si absurde que ça pour notre homme ? Mais pourquoi ne pas avoir simplement passé son chemin et évité Nopila dans ce cas ? La nouvelle de l’épidémie n’était peut-être pas encore arrivée en dehors du village ?

 — Dites-moi, patron, lui lança soudain l’inconnu, en souriant de toutes ses dents. Vous me semblez bien déprimé… C’est à cause de cette histoire de Pestilence… Je me trompe ?

 — Oui, répondit-il comme si c’était évident. Nos vies sont en danger, et tout le monde a peur de tomber malade…

 — Pourquoi ne lui demandez-vous pas de partir, dans ce cas ?

 — Je l’ai fait ! Hélas, elle ne me répond et n’ouvre même pas sa porte…

 — Ç’aurait été trop simple, surement, confirma l’homme en hochant la tête. Mais peut-être ai-je la solution à votre problème…

 Et il se tourna vers son grand sac. L’aubergiste se pencha pour essayer de voir ce qu’il y avait à l’intérieur et qui prenait tant de place. Il lui sembla apercevoir ce qui ressemblait à des bougies, mais avant qu’il ne puisse le confirmer, l’homme se retournait déjà vers lui, en lui tendant une petite flûte de marbre vert, paré d’une pierre sombre comme la nuit.

 — J’ai ouïe dire que vous saviez jouer de cet instrument ? demanda-t-il, l’air confiant.

 — C’est vrai, j’en joue souvent… mais j’en ai déjà une et je ne vois pas en quoi cela pourrait m’aider …

 — Ho mais détrompez-vous, mon ami, si vous pensiez que cette flûte était ordinaire ! s’écria l’homme en élargissant son sourire. Sa musique particulière aura le don de charmer la Pestilence qui en suivra la mélodie, aveuglément.

 Le regard de l’aubergiste alterna entre le sourire de l’homme dont il ne pouvait toujours pas voir le regard et l’instrument qu’il lui présentait. Au bout de quelques secondes, il soupira, et maugréa quelques mots pour lui-même. Il pensait que l’inconnu se moquait de lui. Il allait se lever pour le laisser à sa table quand celui-ci le devança, déposant la flûte de marbre vert sur la tablée et récupérant son sac pour le mettre sur son dos.

 — Vous n’avez rien à perdre à essayer, fit remarquer celui-ci en se dirigeant vers la porte. Considérez cet objet comme mon payement.

 Et il sortit de l’auberge comme il était entré, laissant l’aubergiste seul, face à l’objet qu’il lui avait laissé. Perplexe, il prit la flûte et l’observa de plus près. Elle était d’une facture incroyable. L’aubergiste n’avait jamais vu une flûte taillée dans le marbre, et encore moins avec autant de soin. Un tel objet devait valoir une fortune, bien plus qu’un verre de vin. Emporté par cette honnêteté, il voulut rattraper le visiteur pour lui rendre son trésor. Mais, lorsqu’il ouvrit la porte de son établissement, la rue était entièrement vide. L’homme avait disparu.

 Un peu intrigué, l’aubergiste reprit son examen de l’instrument. Il était agréable à tenir en main et aussi léger qu’une plume, malgré le marbre vert qui le composait. Curieux, il porta la flûte à ses lèvres et entama une mélodie qu’il avait l’habitude de jouer pour ses clients. Les sons qu’il produisait étaient plus merveilleux qu’ils ne l’avaient jamais étés et résonnaient dans ses oreilles comme une douce berceuse apaisante. Il se laissa emporter par sa propre verve et poursuivit sa ballade avec entrain avant de se rendre compte qu’il n’était plus tout seul.

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