Le pélifiltrer et la crécerelle

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 Les jours qui suivirent furent tout aussi enchanteurs. Elle revint chaque après-midi à la mare. Les souris, l’écureuil et les lapins jouaient avec elle, insouciants et malicieux. Leurs jeux étaient parfois interrompus par des passages de Crécerelle, qui annonçait toutes sortes de choses d’importances variables. À ces moments, les souris effrayées partaient se cacher, et celles qui ne se rendaient compte que trop tard de sa présence en payaient de leur vie, car l’oiseau annonciateur n’en restait pas moins leur prédateur. Aussi la petite paysanne assista-t-elle à la disparition de quelques-uns de ses petits amis. Mais cela semblait si fréquent que les rongeurs n’y prêtaient même plus d’importance.

 D’autre fois, cependant, Magphasme venait se désaltérer à la mare. À ces moment-là, plus personne ne jouait, et même la paysanne évitait de se faire remarquer. Il paraissait méfiant, cependant, et plus agressif encore que le jour de leur première rencontre depuis l’annonce de la mort du cerf.

 C’est après une semaine environ que, arrivant à peine à la mare, la petite paysanne entendit l’appel de Sir Blobouille, qui réclamait son aide.

 — Fille d’homme, tu nous as déjà bien aidés, et je t’en suis reconnaissant ! commença-t-il. Mais il y a ici quelques amis à moi qui subissent encore de l’oppression. Je veux parler de mes amis poissons, ceux qui trouvent refuge dans notre belle mare, et qui se font manger par ce pélifiltrer de malheur !

 — Le grand oiseau ? s’étonna la paysanne. Celui qui s’enfuit dès qu’il me voit arriver ?

 Effectivement, ce fameux oiseau avait continué d’agir de la même manière que lors de sa première approche de la mare. Crécerelle leur avait expliqué que Pélifiltrer était un couard qui craignait les hommes plus que tout. Même si elle était encore une enfant, il ne désirait pas rester trop proche d’elle, et la mort du Prince n’avait fait qu’accentuer cet effroi que la race humaine lui causait.

 — Celui-là même ! confirma le blobouille. Il mange plus que de raison, et les pauvres poissons n’ont même pas le temps d’emménager qu’ils se font becqueter ! Cette oppression doit cesser !

 — Et qu’est-ce qu’on pourrait faire, alors ? s’enquit la souris aux grandes oreilles.

 — Doit-on vraiment se soucier des poissons ? demanda Maitre Lapin.

 — Il a peur de toi ! lança l’écureuil. Si tu restais ici tout le temps avec nous, il ne viendrait plus !

 — Évidemment, je ne vous demande pas de monter la garde ici, intervint le blobouille. Mais je pense savoir que les hommes ont conçu de fausses silhouettes pour faire croire à leur présence dans les champs et éloigner les oiseaux. Pélifiltrer est si craintif qu’il suffirait d’en installer un ici pour qu’il n’ose plus s’approcher.

 La petite paysanne fut surprise de la proposition. Dans la propriété de ses parents, il y avait effectivement un épouvantail. Elle promit d’essayer de l’amener à la mare.

 Le lendemain, alors qu’elle avait quartier libre, la paysanne alla chercher le mannequin de paille. Elle eut du mal à le sortir de terre, et plus encore à le trainer jusqu’à la mare, l’écureuil, qui ne la quittait plus, n’étant pas d’une grande aide. Arrivée, elle demanda l’aide des souris et des lapins pour creuser un trou où elle eut toute la peine du monde à replanter l’épouvantail. Si, de loin, il avait l’allure d’un grand homme, lorsqu’on restait proche de ce dernier, il n’avait rien de bien humain. Mais cela suffirait.

 Les jours qui suivirent, la jeune paysanne s’informa sur le succès de leur manœuvre. D’après les animaux, tous les matins, Pélifiltrer faisait mine de venir vers la mare, mais faisait immédiatement demi-tour en apercevant leur épouvantail.

 Forts de leur réussite, les souris et les lapins se vantaient d’avoir ainsi éloigné l’oiseau. La petite paysanne ne pouvait cacher sa propre satisfaction, d’autant que, cette fois-ci, elle avait vraiment l’impression d’en être responsable. C’était elle après tout qui avait tant sué pour ramener l’épouvantail de ses parents à la mare !

 Cependant, si la grande majorité des animaux semblait réjouie de cette disparition, alors pourtant qu’ils ne se souciaient pas plus que cela des poissons de la mare, l’une d’entre eux paraissait bien ronchonne. Crécerelle, cette terrible bavarde, les fustigeait de remontrances et de menaces. Le petit rapace était une amie du fuyard, avec qui elle avait souvent volé. Elle n’appréciait pas son départ en trombe et avait échoué à le raisonner. Et, bien sûr, elle tenait la petite paysanne pour responsable. Souvent désormais, elle parlait des hommes en les faisant passer pour une menace. Mais, si elle colportait autour d’elle son point de vue, personne à la mare ne l’écoutait plus réellement.

 Cependant, quelques jours après l’arrivée de l’épouvantail, le blobouille quémanda à nouveau l’attention de la petite paysanne.

 — Fille d’homme, encore merci pour tes actes et ta bonté ! Si tu ne peux les voir sous l’eau, mes amis poissons te remercient pour avoir fait partir, peut-être à jamais, ce terrible oiseau !

 La petite paysanne sourit au blobouille. Elle remarqua aussi que le batracien semblait plus grand qu’auparavant. Il paraissait désormais faire la taille de la petite marmite dans laquelle sa mère faisait cuire les soupes. Mais c’était sans importance.

 — Cependant, si celui-ci est parti loin désormais, il en reste une autre qui persiste à rendre la vie désagréable ici, à la mare. Une bavarde piailleuse et bornée, qui nous maudit, nous, partisans de la paix et de la sérénité ! Mais au lieu de garder son avis pour elle, elle le colporte partout ! Elle regrette surement le départ de ces tyrans, puisqu’elle en est un, elle aussi, pour nos amis du petit peuple des souris ! Je parle évidemment de cette cruche de Crécerelle !

 La petite paysanne hocha la tête, alors que les souris à ses pieds et sur ses épaules commençaient déjà à huer le rapace. La plus enthousiaste était sans nul doute celle aux grandes oreilles. Maitre Lapin, à nouveau, paraissait plus sceptique. Il essaya de parler, mais l’écureuil le fit taire avant qu’il n’en ait le temps. Pour la jeune fille, le blobouille avait bien raison. Il n’était pas rare que l’oiseau fonde sur les petits rongeurs avant de les avaler. De plus, ses passages venaient toujours mettre de l’eau dans le gaz, car elle essayait de provoquer des disputes en évoquant les actes des hommes sur les animaux. Crécerelle n’était ni plus ni moins qu’un oiseau de mauvais augure.

 — Mais nous avons une chance de mettre un terme à ses jérémiades, lança le blobouille. Cette pimbêche a tenté de se la jouer corbeau, et me réclame des repas pour ne pas aller crier partout des mensonges sur nous. J’ai décidé d’accepter. Seulement, fille d’homme, j’aurai besoin que tu me rapportes de chez toi quelques ingrédients... En les mélangeant ensemble, nous allons piéger Crécerelle avec un plat épicé qui la fera fuir d’ici à jamais ! Voudras-tu bien me rapporter tout cela ?

 La petite paysanne acquiesça immédiatement. Comme elle l’avait fait pour les indications sur le cerf, elle apprit par cœur la liste du blobouille. Le soir-même, en compagnie de son ami écureuil, elle se procura une partie de ce que la grosse boule aux pustules réclamait. Elle dut aller cueillir quelques plantes à l’orée du bois pour compléter sa quête et ramena le tout à la mare. Là-bas, et sous les instructions de Sir Blobouille, elle concocta une sauce qu’elle mélangea avec de la viande volée à ses parents. Le plat empestait, et la paysanne se demandait bien comment l’oiseau se risquerait d’y gouter, mais le petit peuple semblait confiant. Elle confia la préparation au blobouille, qui leur assura qu’il s’occuperait du reste le soir-même.

 Le lendemain, il leur raconta comment Crécerelle s’était enfuie, le bec en feu, en promettant de ne plus jamais revenir se frotter à eux. La petite paysanne, ainsi que les autres animaux, en avaient les larmes aux yeux tandis que Sir Blobouille contait son histoire. Ils regrettaient de ne pas avoir assisté à pareille scène ! Puis les souris organisèrent une grande fête, pour célébrer le départ de leur plus grande ennemie. À nouveau, la jeune enfant s’amusa comme une folle et prit bien du plaisir à partager avec les animaux de la mare.

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