Les jours qui passèrent, cependant, semblaient étrangement vides. Comme Sir Blobouille le leur avait assuré, la crécerelle ne passa plus les embêter, ce que la paysanne ne pouvait regretter. Mais sa présence était parfois aussi synonyme d’anecdotes, qu’elle ne pouvait désormais plus écouter.

 De plus, pour une raison ou une autre, les souris ne cessèrent pas pour autant de disparaitre quotidiennement. Cela arrivait souvent, par le passé, et personne ne savait ce qui était arrivé aux absentes. Et même la souris aux grandes oreilles disparut un jour, sans laisser de trace. Si ses camarades ne semblaient pas s’en soucier, puisqu’ils avaient été habituées toute leur vie à ce genre d’incident, la paysanne, elle, en fut très attristée.

 Mais ce n’était plus les seuls à disparaitre. Car, avec le départ de Crécerelle, les allers et venues de Magphasme étaient devenues plus fréquentes. Peut-être avait-il auparavant craint qu’elle ne trahisse sa présence ? Toujours était-il que des lapereaux et lapins étaient parfois tués sous leurs yeux, après qu’il se soit embusqué des heures durant. La petite paysanne assista, impuissante, à la mort d’un fils de Maitre Lapin, qui pleura toute la journée et que ni elle ni l’écureuil ne purent consoler.

 Aussi, la petite paysanne ne fut-elle pas surprise d’être à nouveau demandée par Sir Blobouille. Lorsqu’elle le trouva, elle s’étonna de voir qu’il avait encore grossi. Il était désormais de la taille d’un tabouret. Mais c’était sans importance.

 — Fille d’homme, commença-t-il, l’air grave. Je crains que nous ne soyons à nouveau en danger. Magphasme, ce criminel de la pire espèce, terrasse les nôtres. Quelques lapins ont déjà été victimes, et je ne serai pas surpris d’apprendre que des souris lui aient servies de casse-croûte… Nous devons nous débarrasser de lui, une bonne fois pour toute, pour le bien de notre petit peuple de la mare !

 Cette fois-ci, Maitre Lapin, qui avait toujours été le plus réservé, poussa un cri de colère en agitant la patte vers le ciel. Il réclamait ni plus ni moins que la mise à mort de Magphasme, et toute sa famille l’imita. L’écureuil, enhardi, encouragea les souris à approuver. Comme tout le monde semblait d’accord, la petite paysanne hocha la tête, déterminée. Elle voulait venger la souris.

 — Je savais que je pouvais compter sur vous, s’exclama Sir Blobouille. Hélas, tuer Magphasme ne sera pas facile, vous devez vous en douter. Et nous devrons tous contribuer à son châtiment.

 Aussi élaborèrent-ils un plan tout le reste de la journée, en prenant soin, évidemment, de vérifier que le principal intéressé n’était pas présent pour surprendre leur conversation. Le lendemain, avant de quitter son logis, la petite paysanne se saisit de la fourche qui servait à déplacer le foin pour le bétail. Puis, une fois à la mare, ils mirent leur plan en action.

 Maitre Lapin fit preuve d’un courage extraordinaire en acceptant de se porter volontaire pour débusquer l’arthropode. Criant haut et fort, trahissant ainsi sa présence à l’insecte géant, mais informant surtout ses amis cachés de sa position, il errait, aux aguets. Quand, enfin, Magphasme se manifesta, abandonnant l’immobilité qui le faisait passer pour une simple branche. Maitre Lapin cria, rameutant la paysanne, les souris et l’écureuil. L’enfant hurla comme une forcenée, aveuglée par la colère, en plantant la fourche dans le long abdomen de sa cible, le piégeant au sol.

 Magphasme hurla, de douleur et de haine. Il n’était pas encore mort, cependant, et il essaya de mordre l’enfant avec ses puissantes mandibules. La paysanne eut tout juste le temps de reculer. Les petits animaux se saisirent ensuite de caillou à leur taille pour le lapider. Protégé par sa carapace, il s’agissait plus d’une gêne qu’autre chose. Pourtant, ce qui semblait jusqu’alors n’être que des extensions de son parfait camouflage sautèrent de leur père, effrayés. Les enfants de Magphasme fuyaient, abandonnant ainsi leur protecteur.

 Incapable de bouger son aiguillon avec la fourche plantée dans le bas du corps, Magphasme n’était pas pour autant prêt à abandonner. Dès lors qu’un animal se rapprochait trop de lui, il faisait mine de fondre dessus. Finalement, la paysanne alla chercher des rochers plus gros, qu’elle avait même du mal à transporter, et se mit à les lui jeter avec plus d’effet. Un coup bien placé sembla l’étourdir, tout juste le temps qu’elle se rapproche pour récupérer la fourche. Le magphasme libéré tenta alors un dernier assaut, mais vint s’empaler sur l’arme de la paysanne. Agitant ses membres dans un dernier soubresaut, Magphasme expira, en ricanant une dernière fois.

 Tout le petit peuple éclata de joie. On voulait fêter la mort de Magphasme, le dernier oppresseur de la mare. Mais la gaieté retomba lorsqu’on constata que Maitre Lapin avait été piqué par l’aiguillon de l’arthropode. Il n’était pas mort, mais gravement empoisonné. On le ramena à la mare, pour qu’il puisse se reposer. L’inquiétude était à son comble et la petite paysanne les quitta le soir venu d’une humeur à fleur de peau.

 Les jours qui suivirent furent beaucoup moins amusants, à la mare. Plus aucun lapereau ne souhaitait s’amuser, bien trop inquiets qu’ils étaient. Maitre Lapin voyait pourtant son état général s’améliorer de jour en jour et reprendre du poil de la bête. Les rongeurs, eux aussi, paraissaient sur le qui-vive malgré la disparition de tous leurs prédateurs connus. Pourtant, la jeune paysanne continuait de revenir, pensant que la gaieté qu’elle avait connue les premiers jours n’allait pas tarder à revenir.

 Puis, à nouveau, Sir Blobouille la fit venir. Lorsqu’elle le vit, elle remarqua non sans étonnement que le batracien faisait désormais la taille d’un advouquetin adulte. Mais c’était sans importance.