Sir Blobouille

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 — Fille d’homme ! commença-t-il. Tu nous as été d’une aide précieuse pour nous débarrasser des oppresseurs ! Grâce à toi, notre mare est un havre de paix sans le moindre danger ! Pour te remercier, j’ai décidé de te faire part d’un secret… Comme tu le sais, je suis un homme, changé en blobouille par un maléfice. Mais figure-toi que, bien au-delà de cela, j’étais même un riche et noble seigneur de cette contrée ! Ce n’est pas pour rien qu’aujourd’hui encore je me fais appeler « Sir ».

 La paysanne écarquilla des yeux, surprise de cette confidence, et même l’écureuil sur ses épaules ouvrit grand la bouche. Ainsi donc le blobouille était un noble ?

 — Lorsque j’ai été transformé, je me suis réfugié ici, non sans emporter avec moi mes richesses. Je les ai alors enterrées près de cette mare. Je t’avouerai que je ne sais plus exactement où, mais si tu creuses sur les bords, tu finiras par trouver ce trésor ! Tu peux prendre tout ce que tu trouveras, je n’en aurai plus la moindre utilité, et nous te devons bien cela pour te remercier !

 La petite paysanne était ébahie. Ainsi donc, il lui suffisait de creuser tout autour de la mare pour rendre sa famille riche ? Ses parents seraient si heureux lorsqu’ils la verraient revenir vers eux, les bras chargés de trésors ! Peut-être même cesseraient-ils de travailler ?

 La fille d’homme se mit immédiatement à la tâche. Empruntant une pelle à la ferme, elle commença à creuser, aidée par l’écureuil, les lapins et les souris, trop heureux de pouvoir eux aussi remercier l’enfant. La bonne humeur revint vite pendant ces heures de travail, qui étaient rythmées par les plaisanteries et les jeux.

 Mais hélas, au bout d’une semaine, la petite paysanne n’avait encore rien trouvé. Elle avait fait le tour de la mare, pourtant, permettant à celle-ci de s’agrandir. Peu à peu, l’entrain des premiers jours était retombé, car le travail, long et répétitif, semblait de plus en plus pénible. Chaque soir, la paysanne revenait chez elle, exténuée, sale et vidée de toute énergie. Elle peinait à travailler pour ses parents, et tardait à revenir à la mare. Elle ne jouait plus, elle n’en avait plus le temps. Elle sentait son corps endolori et plein de courbatures à force de creuser.

 Au fur et à mesure qu’elle travaillait, les animaux étaient de moins en moins nombreux à venir lui donner un coup de patte. Mais elle n’en avait cure, car tout ce qui comptait, désormais, c’était de trouver ce fameux trésor promis par Sir Blobouille pour elle et ses parents. Elle se sentait toutefois abandonnée par ces anciens amis, qu’elle avait tant aidés. Même Maitre Lapin, alors qu’il s’était enfin remis du poison de Magphasme, déserta la tâche. Puis un jour, l’écureuil la quitta, sous prétexte de demander des informations à Sir Blobouille. Il n’était jamais revenu, et la paysanne pesta contre l’animal qui la trahissait après tous ces moments.

 Elle était seule, depuis plusieurs jours déjà quand elle entendit la voix de Sir Blobouille l’appeler. Elle abandonna aussitôt sa pelle, priant pour que le batracien se soit souvenu de détails pour l’aider. Lorsqu’elle le trouva, elle fut un peu surprise de voir qu’il faisait désormais presque la taille d’un domroch, tant il était devenu immense, telle une énorme boule de pustules qui toisait désormais la jeune fille. Mais c’était sans importance.

 — Fille d’homme, as-tu trouvé le trésor que j’ai caché ici, autrefois ? demanda-t-il.

 — Hélas, non, Sir Blobouille ! haleta la paysanne, à bout de force. Les animaux m’ont abandonnée, après tout ce que j’ai fait pour eux ! Je n’en peux plus de travailler, alors que mes parents voulaient m’en épargner, à la maison ! Je vous en supplie, donnez-moi une indication pour le retrouver !

 — Malheureusement, je ne saurai plus dire où je l’ai caché, soupira le blobouille. Cependant, je me suis souvenu d’un autre détail concernant mon maléfice. Figure-toi que, pour rompre le charme, il suffit qu’une fille d’homme m’embrasse.

 — Vous embrasser ? répéta la paysanne, toute affolée.

 — C’est cela, confirma l’énorme batracien. Si vous m’embrassez, je redeviendrais un homme, et je pourrai certainement creuser à votre place et retrouver le trésor. Mieux, je vous emmènerais à ma demeure et ferais de vous une noble ! Qu’en dites-vous ?

 La petite fille se mordit les lèvres. La perspective d’avenir était alléchante, mais celle d’embrasser l’immonde et gigantesque blobouille l’était bien moins. Elle faisait la moue, pas très sûre de ce qu’elle voulait, quand le blobouille, fidèle à lui-même, trouva une solution à son problème.

— Je peux comprendre que m’embrasser vous dégoute, concéda-t-il. Pourquoi ne pas fermer les yeux, dans ce cas ? Vous ne verrez pas mes nombreuses pustules se rapprocher de vos lèvres, et je serai libéré du maléfice quoiqu’il arrive. Qu’en pensez-vous ?

 La petite paysanne réfléchit quelques secondes avant de soupirer, hochant la tête. Elle ferma les yeux et avança son visage, les lèvres prêtes à déposer un baiser sur celles du blobouille. Mais alors que la paysanne se rapprochait de lui sans le regarder, Sir Blobouille ouvrit grand la bouche et referma ses dents au niveau du bas-ventre de l’enfant. La paysanne ouvrit les yeux, dans la gueule de l’animal, et ne comprit que trop tard ce qui lui arrivait. Elle essaya bien de se débattre, mais une seconde rangée de dents vint lui cisailler le cou, et elle ne ressentit plus rien. Dehors, il n’y avait plus de chant d’oiseau, et même les roseaux Saluts semblaient lui faire leurs adieux, secoués par la brise. Comme elle avait enfin cessé ses vains efforts pour s’échapper, le blobouille avala la paysanne, comme tous les animaux avant elle.

 Mais c’était sans importance.

 Ainsi se conclut la banale histoire d’une paysanne trop naïve pour voir les mensonges et les manipulations. Elle n’était que marionnette pour servir les intérêts de quelqu’un d’autre qui, à force de belles promesses, de mots doux et de langue de bois, l’a convaincue de faire des choses qu’elle n’aurait pas fait d’elle-même.

 Mais ne blâmons pas trop vite le blobouille. Pourquoi n’aurait-il pas pu, lui aussi, améliorer sa condition, quitte à ce que ce soit aux dépens des autres ? Il n’est pas le premier à le faire, et ne sera pas le dernier. Peut-être même qu’un jour, un autre blobouille voudra prendre sa place, et usera des mêmes subterfuges pour parvenir à ses fins, décelant en quelqu’un d’autre la même naïveté que celle de notre petite paysanne ? Car il y aura toujours quelqu’un pour prendre une place laissée vacante.

 Les mensonges les plus gros sont paradoxalement toujours les plus crédibles aux yeux du petit peuple comme du plus grand. Il n’est pas forcément difficile de les percer à jour, mais, parfois, c’est déjà trop tard lorsqu’on se rend compte de nos erreurs. Alors pourtant qu’un rien de réflexion pourrait suffire pour éviter les ennuis.

 Alors, si un jour un blobouille venait à vous faire de belles promesses, vous assurant que vous vous battez pour les libertés, que vous améliorerez votre condition ou que vous deviendrez riches, n’oubliez pas l’histoire de la petite paysanne. Réfléchissez à deux fois avant de croire n’importe qui sur n’importe quoi. Car si les petites bêtes ne mangent pas les grosses, il ne tient qu’à nous d’éviter qu’elles le deviennent à leur tour…

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