L'aiguille noire d'ébène

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 Il s’aventura ainsi dans la ville, passant par sa modeste boutique, fermée depuis qu’il résidait au château. Il n’avait jamais eu de grandes aspirations, et il avait été forcé de travailler pour le Grand Chef. Il regrettait tant à présent sa vie modeste et son travail quotidien, sans la moindre contrainte. Mais il savait qu’il ne pouvait rien y faire. En s’aventurant près des remparts de la ville, il s’imagina fuir Jarl, mais se ravisa bien vite. Le Grand Chef l’aurait rapidement rattrapé, il n’avait aucun espoir dans la fuite.

 Un peu désespéré, le jeune tailleur dégagea la maigre couche de neige d’un rocher pour s’y asseoir. Il fixait le sol glacé, comme il l’était presque toujours en Majorique, pestant contre les lubies du Grand Chef. Pourquoi avait-il dû soudain ne plus apprécier les peaux de bête ? On ne faisait rien de meilleur contre le froid ! Mais évidemment, ce n’était plus le manque de chaleur qui était sa préoccupation depuis son élection…

 C’est alors qu’il était plongé dans ses réflexions qu’une voix soudaine le rappela à la réalité.

 — Vous me semblez en proie à la détresse, disait-elle. Je me trompe ?

 Le jeune tailleur se retourna. Juste devant lui, sans qu’il l’ait entendu venir, un homme s’était rapproché. Il observait le tailleur avec un large sourire de dents blanches. Du moins, c’était l’impression que le jeune homme avait, car les yeux de l’individu étaient cachés par son étrange chapeau trop grand pour lui. Ce qui attira ensuite l’attention du jeune homme fut ses vêtements. Il portait une vieille toge mal entretenue et couverte de trous, comme s’il revenait de plusieurs années d’exil en solitaire. Il avait d’ailleurs sur le dos un grand sac rempli de matériel. Il avait les mains croisées et il avait aussi de longs cheveux aussi blancs que la neige de la Majorique qui lui tombaient jusqu’aux épaules. Une fois la surprise passée, le jeune tailleur soupira et se détourna.

 — Laissez-moi tranquille, lui dit-il. Je ne suis pas d’humeur.

 — Quel dommage, soupira l’homme. J’avais pourtant cru comprendre que vous étiez un tailleur de talent, recruté par le Grand Chef lui-même pour l’habiller ! Moi qui cherchais justement de quoi me vêtir… Ai-je eu tort ? »

 À ces mots, puisqu’il l’écoutait tout de même, le jeune tailleur plaqua sa main contre son visage avant d’éclater en sanglots. Ne le laisserait-on donc pas tranquille ? Sa situation ne pouvait-elle que continuer à empirer ?

 — Allons allons…, commença l’homme avec ce qui sembla au tailleur être un ton de moquerie. Ressaisissez-vous, jeune homme ! On dirait bien que vous ne vous sentez pas capable de réussir à contenter le Grand Chef ?

 — Je n’y arriverai jamais, confirma le pauvre artisan en essuyant ses larmes avec sa manche. Je n’ai plus assez de bons tissus, je n’ai plus la force, je n’ai plus le temps, je n’ai plus rien pour y parvenir…

 — Hé bien, dans ce cas, je pourrai peut-être vous offrir mon aide ! lança alors l’inconnu.

 — Ha bon ? s’étonna le tailleur après avoir reniflé. Vous êtes dans la couture, vous aussi ?

 — Diable non ! ricana l’homme. Je ne suis qu’un modeste vendeur de bougies. Mais j’ai aussi, voyez-vous, quelques objets particuliers dans mon sac, comme par exemple… »

 Il se tut et déposa son lourd sac par terre, malgré la neige qui se trouvait au sol. Alors qu’il fouillait à l’intérieur, le jeune tailleur se pencha, curieux, mais détourna la tête en voyant effectivement plusieurs bougies entassées à l’intérieur, lui ravivant les souvenirs désastreux de la veille. Puis, comme le vendeur de bougies se retournait vers lui, il lui présenta une simple aiguille de couture, comme il en avait plein dans son atelier, à l’exception qu’elle était noire comme l’ébène.

 — Vous savez, j’en ai déjà…, commença-t-il en soupirant, jugeant qu’il se moquait de lui.

 — Une aiguille comme celle-ci, ça m’étonnerait, répondit le vendeur de bougies. Cette aiguille guidera vos mains dans les gestes à effectuer et, quel que soit la matière disponible, vous aidera à fabriquer les vêtements les plus formidables du monde !

 — Des sornettes, murmura le jeune tailleur, en prenant néanmoins l’aiguille, comme fasciné.

 — Qui sait ? demanda le vendeur de bougies. Vous n’aurez qu’à essayer !

 Le jeune tailleur était dubitatif. Il n’arrivait pas à détourner son regard de l’aiguille noire, en apparence pourtant si simple. Ce serait si merveilleux si l’homme avait dit vrai. Il observa ensuite le château du Grand Chef, en direction de la tour qu’il occupait. Il soupira, résigné à y retourner. Il n’avait pas beaucoup d’autres choix, de toute manière. Mais alors qu’il se retournait pour remercier l’individu, il remarqua qu’il avait simplement disparu. Il n’était plus là, pas plus que ses traces de pas dans la neige.

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