Il reste un moment immobile avant d’hausser les épaules. Après tout, privé de nom et tout récemment de but, qui a-t-il de mal à enfourcher un balai ? Perdre toute dignité peut-être, mais personne n’est là pour le juger. Sitôt l’objet ménager posé entre ses cuisses, il décolle vers la voûte céleste comme une comète.

Ouch… visiblement, il est aussi possible d’écraser sa virilité. Au moins dans la stratosphère, personne ne l’entend crier.

Une dizaine de minutes plus tard, le balai amorce sa descente. Les contours crénelés d’un ancien château se découpent dans l’obscurité. Un bien bel édifice en vérité. Gigantesque, dominé par un large donjon et fièrement dressé sur une presqu’île entourée d’eau noire. Sous sa surface, le chevalier en manque de masculinité croit même y déceler une masse énorme se mouvoir paresseusement. Ma parole, si ce balai décide de jouer les cormorans, je… je… merde ! Sans doute mourrait-il, ainsi pense celui qui fut jadis nommé Gorgory.

Fort heureusement, il n’a guère besoin de se résigner à pareille radicalité. Avant même qu’il ne termine sa phrase, il se retrouve vautré sur le parvis rocailleux d’un cloître, entouré d’étudiants en robes noires, ornées de blasons colorés. Engoncé dans son encombrante armure, le chevalier sans-nom se redresse et se masse les tempes sous les regards vaguement amusés des écoliers présents. Enfin, il est arrivé… où que ce soit et quel que soit le sens de tout ça.

- Dispersez-vous manants, ou vous goûterez de mon épée, tonne le chevalier, éparpillant l’attroupement tout juste formé. Bien, où diable suis-je, jarnicoton ?!

- V-Vous êtes à Hogwarts, monsieur.

Le chevalier se retourne brusquement. Un jeune garçon au visage parsemé de tâches de rousseur, s’efforce de ramasser ses livres aussi vite que possible. Croisant le regard hargneux du chevalier, il rougit et tente de s’enfuir. Deux enjambées plus tard, il est suspendu par le col, les yeux papillotant devant les postillons de son bourreau.

- Et qu’est ce que c’est “Hogwarts” avorton ?!

- C’est… C’est un école de sorcellerie, monsieur. Certains l’appellent Poudlard aussi…

- Poudlard ? Jamais entendu parler !

- Quand même… c’est pourtant connu… Surtout depuis qu’une sorcière a narré les aventures de l’élu…

- Un élu ? Qui est-ce ? Qu’a-t-il fait ? Parle, misérable !

- Pitié…

- Ferme-la et réponds, miséreux !

- Comment… C’est Harry Potter… le maître de la mort, tueur de mages noirs, qui vainquit vous-savez-qui en combat singulier…

- Un tueur de mage noir ? Il fera l’affaire. Où puis-je le trouver, manant ?

- Il est dans le Hall, là-bas, mais…

Le chevalier lâche le jeune sorcier, qui s’écrase sur le sol, fesses les premières, puis se dirige vers le porche. A l’intérieur, il règne une ambiance festive. Des étudiants massés en petits groupes défilent dans le hall, sous les regards bienveillants de peintures vivantes. Quelques sorciers plus fripés, donc plus âgés, font léviter des décorations rouge et or, en sussurant des incantations inintelligibles. Personne ne lui prête la moindre attention. Fort bien.

Qu’importe le faste, qu’importe ces gueux, pourvu que l’élu soit présent. Bousculant sans ménagement une bande de prestidigitateurs coiffés comme des Bee Gees, le chevalier fait irruption dans une immense salle, défiant toute logique architecturale. Quatre longues tables sont alignées les unes à côté des autres, perpendiculaire à une cinquième, derrière laquelle trônent quatre énormes sablier égouttant du sable colorés. Au plafond, nulle voûte, seulement le ciel étoilé, constellé de nuages orageux. A l’instar du hall et du cloître, la pièce dégorge de vie. Pour autant, personne ou presque ne prête la moindre attention au chevalier, dont l’armure cabossée détone avec tout ce qui se trouve sur dix kilomètres à la ronde.

Au fond, le chevalier aperçoit un jeune homme se prélasser dans un large trône clinquant. Sûrement le maître des lieux, se dit-il en marchant droit sur lui. La déception est grande, lorsqu'il se rend finalement compte qu’il ne s’agit que d’un binoclard balafré, à la vingtaine bien tapée et l’arrogance équivoque. A l’approche du chevalier, le sorcier lève la tête pour le dévisager avec morgue.

- Oui ? demande-t-il ennuyé d’être ainsi dérangé au milieu de sa sieste quotidienne.

- C’est toi Harry Potter ?

- Vous êtes qui ?

Une gifle retentissante résonne dans la salle. Harry Potter, le survivant, l’élu de la prophétie, vient de goûter à la vigueur du deuxième fils d’Ator. Choqué d’un tel affront, il dégaine sa baguette et… se fait tordre le poignée sans ménagement par le chevalier à présent clairement agacé par ce contre-temps non-sensique.

- Peu importe qui je suis ! Un pouilleux des bois m’a ôté mon nom, rends-le moi, avorton !

- Vous êtes fou ?

Nouvelle claque retentissante. Cette fois-ci, tous les regards convergent sur l’improbable duo. L’ex-élu fait bien peine à voir, ainsi corrigé comme un garnement prit la langue dans la Bièraubeurre. C’est limite, s’il n’a pas les larmes aux yeux, devant le regard dérangé de son interlocuteur tatillon.

Celui-ci sort la missive, remise par le sorcier des bois et la met sous le nez d’Harry Potter.

- Tiens, lis moi ça, clochard ! Je ne sais pas lire. Et fais vite, ou la prochaine fois, c’est mon poing qui t’éparpillera tes dents.

- Euh… A l’aide ! Que quelqu’un fasse disparaître ce fou furieux !

Personne ne bouge. De fait, la plupart des enseignants et élèves sont bien trop satisfaits de voir leur élu, essentiellement auto-proclamé, enfin payer pour son arrogance kafkaïenne. Si son amie Rowling n’avait pas écrit une saga à sa gloire, l’Histoire n’aurait retenu qu’un banal coup de bol lors d’un duel de magie déséquilibré. Une chance vraiment, que le Seigneur des Ténèbres ait perdu la vue, durant la Bataille d’Hogwarts, sans quoi il ne serait jamais tombé dans le précipice où Harry l’avait poussé.

Pour l’heure, étudiants et professeurs jubilaient en regardant l’élu se faire gifler comme un malpropre devant l’école entière. Harry Potter s’en rend compte également et commence à vociférer à la manière d’un poissonnier.

- Traîtres ! Enflures ! Vous oubliez qui je suis ?! Le légendaire Harry Potter ! Vainqueur du Tournoi des Trois sorciers ! Conquérant de la Mort ! Voldemort lui-même ne m’arrive pas à la che…

- La ferme Harry ! lance quelqu’un.

- Ouais, la ferme brancougnard ! Tu n’es qu’un favori ! Dégage !

- DE-GAGE ! DE-GAGE ! crie la foule, les poings levés vers le ciel sélénite.

- Enf… Aïe ! Warg ! S-Stop !

Le chevalier s’est mis à la besogne. Puisque cet “élu” verni du fondement, refuse d’exécuter sa requête, il ne lui reste plus que la manière forte. Méthodiquement, son poing s’écrase sur la face du jeune sorcier, pulvérisant ses lunettes, lui entaillant férocement la joue. Piallant, mais vociférant toujours, Harry tente de se dégager, pour se faire faucher par un coup de genoux dans les gonades.

Le souffle coupé, les yeux larmoyants, il s’effondre mollement sous les clameurs vindicatives. Ce n’est pas du goût du chevalier, qui le redresse sans ménagement, avant de lui recoller la missive sous son nez tuméfié.

- Lis manant ! Ou je te tranche les mains !

- OUI OUI ! LES MAINS ! LES MAINS !

- Pitié… Qu’est ce que je vous ai fait ?

- Ta gueule et lis !

- ALLEZ ! ALLEZ !

- Je… D’accord mais pitié ne me frappez plus et…

- DE-GAGE ! DE-GAGE !

- Mais faites les taire !

- Non, maintenant lis, crasseux !

- CRAS-SEUX ! CRAS-SEUX !

- Ce… “Cher Dumbledore, voici un chevalier nommé Gorgory en quête du féroce dragon terrorisant le royaume de Larion. (LARION ! LARION !) Aidez-le à retrouver la mémoire. P.S. : Je crois que ce couillon ne sait pas lire, (COUILLON ! COUILLON !) donc lisez-lui cette missive à voix haute et claire, puis le tour sera joué.”

- Ah l’enfoiré ! s’exclame Gorgory.

- OUI ! OUI ! L'ENFOIRÉ ! ROUGE !

- SILENCE !!!

- JAUNE !

C’est inutile, la foule aussi enfiévrée qu’en liesse, a complètement disjoncté. Impuissants, Harry et le fraichement renommé Gorgory, ne peuvent que regarder les enseignants caracoler dans la pièce, sous les ovations des élèves. Même dans l’esprit perturbé du chevalier, il valait mieux quitter les lieux rapidement, avant que ces fous furieux ne se mettent en tête de détruire une seconde fois l’école.

Saisissant un Harry Potter aux yeux rougis, Gorgory bondit au travers du vitrail le plus proche. Une manière de tester, à sa manière, la réputation de l’élu en pleine remontées acides. Quel élu ! Le chevalier saisit la baguette du sorcier, l’agite en l’air comme un fou furieux et… s’écrase deux cents mètres plus bas, comme le Seigneur des Ténèbres une dizaine d’années plus tôt.