Ch. 26

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Jules accompagne Francine jusqu’à l’intérieur de la maison. Le garçon en profite pour explorer les parties encore inconnues du rez-de-chaussée. Une double porte permet, au fond de la pièce de vie, d’accéder à un grand couloir qui sépare, d’un côté un salon avec sa cheminée centrale et ses lustres en verre de Murano ; de l’autre, une cuisine avec son cellier.

En enfilade, après le salon, un cabinet de curiosités, assemble des tableaux de styles variés, une collection de vases, des sculptures antiques, des taxidermies, ainsi que divers meubles et accessoires raffinés de manufactures anciennes.

Le temps d’exploration a permis à Jules de se faire oublier. Le cœur battant, il rejoint sa chambre. Une fois la porte refermée, il cherche dans le tiroir de l’armoire, l’interphone indiqué par son frère. En déroulant le fil, il s’aperçoit qu’il a exactement le même appareil à Courcy Montvernier.

Jules actionne le système d’appel. En vain. Il comprend qu’Augustin a dû s’attarder à l’extérieur. Mais alors qu’il reprend sa lecture de la Case de l’Oncle Tom, il reconnaît le bip

répété de la sonnerie. Il se précipite sur l’appareil comme si ce dernier pouvait avoir la faculté de lui échapper des mains.

– Augustin, c’est moi, Jules…

« Alors, elle est comment ma chambre ? »

– C’est ta chambre ici ?

« Oui. Il y a encore mes affaires dedans. »

– Pourquoi tu as dû aller dans l’autre bâtiment ?

« Tu n’as pas vu la pièce au-dessus. J’ai fait aménager un studio d’enregistrement, avec une super acoustique. »

– Mais c’est quand même mieux, la grande maison.

« Je sais que c’est mieux. Mais c’est à cause de toi que je ne peux pas y aller ! Vu que je suis le fils du gardien. Franchement, c’est abusé de m’imposer ça ! »

– Comment on va faire pour se revoir ?

« Comme j’ai fait tous les réglages sur ton appareil photo, je pense m’en servir comme prétexte pour venir dans la maison. Tu es d’accord ? »

– Oui.

« De toute façon, je n’ai pas l’intention de me laisser faire. Si je dois jouer le larbin… Alors, crois-moi, les négociations vont être sévères. Tu vas voir comme je vais lancer une OPA sur la Chevrolet et le bateau. Il sera forcé de céder. »

– Tu as le droit de conduire la voiture ?

« T’inquiète… J’ai un pote restaurateur à Nice, que je fais venir, ici, pour prendre la voiture… Il a le permis de conduire et aussi le permis côtier. »

– Mais si tu sors, je vais pas pouvoir te voir…

« Dis donc… On dirait que tu ne peux plus te passer de moi. »

– C’est que… On a peut-être juste la possibilité de se voir pendant que je suis ici. Pour après, on sait pas…

« Oui, tu as raison petit frère, alors, tu sais ce que je vais essayer ? C’est de te faire venir avec moi… »

– C’est vrai ?

« Disons que j’ai l’idée d’un plan… »

– Ouah ! C’est vraiment topissime ! Si tu réussis ça, alors je t’adore ! Tu es le meilleur de toute la Terre !

Puis Jules se met à courir et à sauter à travers la chambre et jusque sur la terrasse privée en lançant des « Youpi ! »

« Mais tais-toi ! T’es idiot ou quoi ? Tu vas attirer l’attention. »

Il revient vers l’interphone :

– Augustin ? Tu es là ? Augustin !

Il active le signal d’appel, mais pour seule réponse, plus que le silence.

Le lendemain matin, Jules se retrouve seul, au rez-de-chaussée, à la table de la grande pièce de vie, ses parents ayant décidé de petit-déjeuner dans leur chambre. Son regard fixe le croissant qui reste dans la corbeille. Il le prend, l’enroule dans une serviette en papier, puis sort, dépasse la haie de bougainvilliers et se dirige vers le second bâtiment.

Il sonne une première fois, une deuxième fois, frappe, appelle : « Augustin ! ». Il sonne à nouveau… et se retrouve, surpris, pour le coup, de voir la porte s’ouvrir. Dans l’entrebâillement, Augustin, en caleçon et les cheveux en bataille, l’observe avec des yeux mi-clos.

– T’es vraiment pas possible, toi. Un vrai pot de colle !

– Mais je t’apporte ton croissant !

Augustin laisse entrer le garçon, mais sitôt la porte refermée, il effectue un rapide demi-tour pour regagner en vitesse son lit.

– Tu n’as pas compris que je dormais.

– Mais il est déjà tard !

– En plus, tu viens alors que nos parents sont là et je t’ai également expliqué qu’il y a des caméras qui filment l’entrée.

Augustin se laisse retomber sur le lit et aussitôt s’enveloppe dans un drap qu’il remonte jusqu’à sa tête.

– Mais tu ne veux pas manger ton croissant ?

– Après. Tu n’as qu’à le poser sur la table.

– Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt, insiste Jules, qui n’a pas l’intention de laisser son frère en paix.

Le croissant à la main, il grimpe sur le lit, s’installe à côté d’Augustin et tente, autant que possible, de placer un coin de la viennoiserie devant le nez du dormeur. Aucune réaction, sur le moment. Mais d’un seul coup, Jules sent que le croissant lui est enlevé et qu’un drap lui arrive dessus, comme un filet de pêche.

– Ah ! Tu as décidé de jouer au casse-couilles ? Tu vas voir un peu ce qui va t’arriver !

Dans des cris et des rires, Jules cherche tant bien que mal à se débattre contre Augustin, qui entreprend, purement et simplement de le ligoter dans le drap. Puis, c’est au tour d’Augustin de rire à la vue du petit frère emmailloté. Augustin décide de compléter le châtiment par le supplice de quelques chatouilles.

– Non ! Ce n’est pas juste ! Tu es plus fort que moi. Arrête !

– Jules !

Les deux garçons se redressent. La voix qu’ils viennent d’entendre, au loin, est sans conteste celle de leur père. Jules plaque sa main contre sa bouche. Il est soudain inquiet.

– Ne traîne pas… Tu vois bien qu’il te cherche. (Augustin pousse son frère vers la sortie.) Allez… va te faire engueuler. Chacun son tour… Et merci pour le croissant !

– Tu étais où ? interroge Didier Montvernier en voyant Jules le rejoindre précipitamment sur la terrasse.

– J’étais chez les gardiens.

– Tu n’as rien à faire chez eux !

– Mais c’est à cause de mon appareil photo. J’ai eu besoin qu’on m’aide à le faire marcher.

– Et il est où ton appareil photo ?

– Je l’ai laissé là-bas.

– Où ça, là-bas ?

– Le gardien m’a dit qu’il fallait le laisser à son fils.

– C’est bien vrai, ce que tu me racontes ?

– Oui, c’est vrai ! Tu n’auras qu’à demander au gardien !

Vêtu d’un peignoir, Didier Montvernier traverse la terrasse, jusqu’à atteindre le rebord de la piscine. Puis il ôte son peignoir, le pose sur un transat et saute dans l’eau. Jules constate, avec soulagement, qu’il est parvenu à mettre un terme à la discussion.

S’approchant à son tour du rebord, il interroge son père :

– Quand est-ce que vous retournez sur la plage ?

– On n’en sait rien.

Jules espère, par cette question, ôter les derniers doutes à son père. Mais il réalise, en même temps, que lui et Augustin sont surveillés comme le lait. Il comprend qu’il doit s’auto-discipliner, mais que d’efforts, à présent, pour s’attacher à d’autres centres d’intérêt. Car depuis leur rencontre, ce frère de quinze ans ne cesse de le hanter. Tel le chant entêtant des cigales, les mêmes images dansent en permanence dans sa mémoire. Augustin a jeté une lumière nouvelle et inespérée dans sa vie.

Au cours de l’après-midi, alors que Didier et Justine Montvernier sont allongés côte à côte, sur des transats, en se tenant la main, Jules voit arriver au loin Augustin, qui brandit ostensiblement l’appareil photo. Il part à sa rencontre, de l’autre côté de la piscine et tous deux s’assoient sur un muret. Bien que tournant le dos aux parents, ils se sont placés intentionnellement dans leur ligne de mire.

– Beau couple, ironise Augustin à voix basse, tout en faisant mine de présenter le fonctionnement de l’appareil à Jules. Elle, elle doit penser à son amant laissé à Courcy Montvernier et lui, à la prochaine pétasse qu’il se fera offrir en cadeau, dans un hôtel, en échange d’un contrat signé. Tout est de l’hypocrisie. Que des apparences…

– Pourquoi tu dis ça ? Tu préfères qu’ils se disputent ?

– Fais attention, on est censé parler de l’appareil photo.

Jules et Augustin se retournent un bref instant.

– En fin de compte, poursuit Augustin, là, je crois plutôt qu’ils s’intéressent à nous deux. Ça doit surtout inquiéter notre père, à mon avis. Il doit se dire que c’est trop évident qu’on est des frères. Mais si, au moins, tu ne me regardais pas comme ça…

– Comment je te regarde ?

– Tu as des yeux ronds et brillants. Regarde au moins l’appareil photo.

– Mais c’est ce que je fais !

Augustin se retourne, une nouvelle fois.

– Je crois de toute façon qu’on n’a pas le choix. Je vais devoir te laisser. Je m’occupe de notre sortie.

L’instant d’après, Augustin s’éloigne déjà en direction de son logement.

Deux jours plus tard, dès les premières lueurs de l’aube, tout le personnel est mobilisé pour l’entretien de la maison. Le gardien, plus longuement que d’habitude, s’occupe de nettoyer le fond de la piscine. Joy et Rona, quant à elles, veillent méticuleusement à passer le chiffon sur chaque bord et recoin de la maison, en n’oubliant ni les plaintes, ni les contours des interrupteurs, ni même les fils de lampes… Francine, qui reçoit les premières livraisons, pour le déjeuner, fait l’inventaire, tout en supervisant le travail des deux Philippines. Elle est aussi chargée de l’accueil du chef cuisinier, embauché en ce jour, pour la préparation du déjeuner.

Jules, qui a voulu, à nouveau, s’installer dans un hamac, a eu pour consigne d’ôter ses chaussures. Alors qu’il se laisse doucement balancer, il a la surprise de voir Augustin traverser la terrasse comme une flèche, pour se rendre jusque sur le seuil de la pièce de vie où leur père s’est installé pour boire un café.

– Monsieur Montvernier, on m’a signalé qu’il y a des courriers importants pour vous, qui sont arrivés dans l’appartement de Monaco. Je peux aller les chercher aujourd’hui.

– Avec la Chevrolet, alors. Par la route, c’est plus rapide.

– Avec le bateau, on arrive directement, souligne Augustin. Comme il est au mouillage, on peut vous le ramener au port.

Jules voit Didier Montvernier se lever et fermer les baies vitrées afin de rendre la discussion inaudible à l’extérieur. Mais se penchant depuis le support de son hamac, il aperçoit les silhouettes du père et de l’ado qui discutent vivement, face à face. Augustin, en particulier, semble s’emporter. Mais peu après, il constate un certain apaisement et remarque que Didier Montvernier retire plusieurs jeux du porte-clefs fixé à la poche de son pantalon.

Les portes de la baie se mettent de nouveau à coulisser. Augustin sort et bifurque vers le hamac de Jules.

– Dès que vous avez fini de déjeuner, tu me fais signe.

Jules remarque, en même temps, que l’ado lui adresse un discret pouce levé. L’instant d’après, il disparaît de son champ de vision.

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