Ch. 28

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Augustin présente Ambre. C’est une jeune mannequin avec des jambes effilées, un corps de roseau, une longue chevelure brune raide – où l’on remarque encore les dents du peigne – des yeux de chats, des lèvres sensuelles peintes en rouge vif.

Jules voit son frère enserrer Ambre par la taille et lui appliquer un baiser langoureux. Il n’est pas inquiet. Ambre est juste une belle capture. C’est sans rapport avec la profondeur des liens qui l’unit lui, à Augustin : des liens fraternels indéfectibles. Ambre ne fait pas le poids. D’ailleurs, l’instant d’après, il se sent capturé au niveau des jambes, soulevé par des bras vigoureux, porté par une épaule qui tourne sur elle-même et fait virevolter le paysage. C’est son frère.

Fin des cris et des éclats de rire. Moment d’apaisement. Jules retrouve le sol et sa position orthostatique.

– On va aller chercher le Jet-ski.

Décadenassé, le scooter des mers est tiré par Tommy jusque dans les flots. Augustin l’enfourche, le fait vrombir et tourner sur lui-même. Tommy le rejoint pour un premier trajet jusqu’au bateau. Jules voit son frère revenir seul. Après un virage aquatique, le Jet-ski s’immobilise.

– C’est à ton tour, petit frère. Jules laisse Augustin lui enfiler un gilet de sauvetage et fixer une lanière de sécurité à son pied.

– Maintenant, il faut que tu t’accroches bien fort à ma taille.

Le scooter prend de la vitesse, bondit sur le dos de la houle, mais la traîtrise d’un creux de vague, à la profondeur insoupçonnée, confronte soudainement les deux frères à un mur d’eau. En poussant un cri, Jules plaque sa tête contre le dos d’Augustin. La vague s’abat dans un tumulte d’écume, mais le scooter repart dans un nouveau bond. Les deux garçons, trempés et secoués par des rires inextinguibles, approchent la proue d’un yacht sur laquelle un nom apparaît : Zephira.

Augustin fait tourner le scooter pour permettre à Jules d’avoir une vue d’ensemble du bateau, dont les lignes révèlent, sous les reflets du soleil, le scintillant d'un profil aérodynamique.

– Ouah ! C’est le nôtre ?

– Oui. C’est le petit. Un vrai bolide des mers.

– Le petit est pour toi et le grand pour nos parents ?

– Non. Ils utilisent aussi celui-là. Le grand, lui, reste tout le temps au port.

Puis Augustin approche le scooter du yacht pour accoster. Il est alors secondé par Tommy, qui aide Jules à rejoindre le premier pont.

Guidé par Tommy, Jules découvre, ébahi, l’aménagement du Zephira : sa terrasse extérieure, en teck, avec sa table qui monte et descend ; son salon bar constitué de banquettes confortables et de fauteuils cosy. Dans le prolongement, trois fauteuils ergonomiques fixés devant des écrans, indiquent l’espace réservé au pilotage. En pressant un bouton, Tommy suscite un nouvel effet de surprise, chez Jules, qui voit toutes les vitres latérales s’abaisser en même temps que s’ouvrent celles du plafond. Un escalier en spirale lui permet d’atteindre le pont supérieur, également en teck, où il découvre le gouvernail d’un autre poste de pilotage, en extérieur, cette fois.

Un bourdonnement venant du large détourne l’attention de Jules. Il aperçoit Augustin, de retour, avec Ambre qui se tient serrée à sa taille. Il descend accueillir son frère. Mais Augustin est occupé. Avec l’aide de Tommy, il lui faut fixer le Jet-ski à un treuil, afin de le remonter.

– Tu n’as pas encore tout visité, lui fait remarquer Tommy.

Jules découvre encore deux autres accès sous le pont : l’un menant à la salle des machines et l’autre à des chambres, ainsi qu’à un espace cuisine.

– Les chambres sont nickel, explique Tommy. Tu ne dois toucher à rien.

De son côté, il doit lui, se rendre dans la salle des machines afin de couper le dessalinisateur. C’est alors, dans cet interstice temporel, que Jules trouve l’opportunité de sauter dans les bras d’Augustin, comme s’il s’agissait de fêter d’importantes retrouvailles.

– Ça te plaît d’être là ? (Il opine de la tête.) Tu vas voir, c’est moi qui vais le conduire…

Augustin, aidé de Tommy, détache les amarres. Puis tous deux rejoignent le poste de pilotage sur le pont supérieur. Augustin préfère rester debout pour la conduite. Jules s’assoit près de son frère. Il en a l’autorisation à condition de ne toucher à aucune commande. Ambre, quant à elle, a pris appui sur le bastingage.

– Paré à appareiller !

Les turbines sont activées, l’ancre levée. Le yacht se dégage tout en lenteur de son point d’ancrage. Une première accélération le fait s’éloigner de la côte. Augustin pousse la manette des gaz.

– Tu as vu ça ! On a l’impression de voler.

Augustin demande cette fois, à Jules, de libérer le fauteuil pour le laisser à Ambre. Quelques caresses amoureuses sont échangées. Mais au moment de l’entrée au port, Tommy recommande vivement à Augustin de redoubler de vigilance.

– Tourne, tourne, tourne encore !

Ce jour-là, à Monaco, le trafic est dense. Les yachts qui se croisent, doivent presque se frotter bord à bord.

Un moment, Augustin pointe un doigt en direction d’un immense bâtiment à multiples ponts, équipé d’une piste d’hélicoptères.

– Regarde Jules ! Il est là, le grand…

– Toi, regarde plutôt devant ! houspille Tommy.

Sitôt à terre, Jules se sent fortement impressionné par le gigantisme de la ville, sa verticalité, son vacarme continu. Il avance prudemment, avec l’impression de fouler le sol d’une autre planète. De partout, la vie grouille, comme dans une fourmilière excitée par le danger. Le béton, qui s’étale à perte de vue, a façonné toute une forêt d’immeubles grand standing, qui s’agglutinent et s’encastrent dans le giron d’une enclave escarpée.

– Jules, quand tu traverses, tu n’es pas obligé de marcher sur les lignes blanches.

Le garçon suscite la risée chez Tommy et Ambre.

Tous les quatre se dirigent vers un Escalator montant.

– Il va vite. J’ai peur de tomber, s’inquiète Jules.

– Ce n’est pas compliqué, explique Augustin, tu n’as qu’à tenir la rampe.

Augustin, Ambre et Tommy passent devant Jules pour lui donner l’exemple. Mais le garçon n’est pas assez rassuré. Tous les trois s’esclaffent en découvrant qu’il est resté seul, en bas de l’Escalator. Augustin, dans un soupir d’agacement, passe par-dessus la rampe et redescend.

À présent que son frère lui tient la main, Jules ose se lancer. Porté par les marches de fer, il se sent enchanté de sa nouvelle expérience.

Augustin lève un doigt pour lui indiquer le triplex familial, un penthouse situé au huitième étage d’un immeuble cossu.

Puis il rejoint Ambre.

– Tu as ta plaquette, que je vérifie ?

– J’ai oublié. Mais tu peux me faire confiance, quand même !

– Pas pour ce genre de risque…

– Tu crois que j’ai envie, avec un môme, de foutre ma carrière en l’air ?

Tommy attrape Jules afin de l’éloigner de son frère.

– Laisse-les discuter entre eux. Ils ont un problème à résoudre.

– Je peux aller de l’autre côté de la route ?

– Qu’est-ce que tu veux voir là-bas ? Si tu traverses, tu fais attention.

Tommy observe, interrogatif, Jules qui joue avec les passages piétons. Il est débile ou quoi ? Puis il voit Ambre s’éloigner et Augustin lui faire signe de revenir. Cependant, Jules a disparu de l’autre côté de la route.

– Jules !

Le garçon réapparaît soudainement, détale sur la chaussée. Une grosse cylindrée pile devant lui, dans un crissement de pneus. S'ensuivent de virulents coups de Klaxon.

– Oh ! Ça va pas la tête ! fustige Jules en tapant sur le capot de la voiture.

– Mais c’est un malade, ton frère ! souffleTommy.

– Ce n’est pas lui, le malade. C’est mon père, qui ne lui a rien appris.

Augustin se précipite pour récupérer son frère.

– Il a failli m’écraser et après il m’agresse ! se justifie Jules.

– C’est normal qu’il klaxonne. Tu as traversé comme un lapin.

– Pourquoi ta copine n’est pas là ?

– Elle est partie faire une course dans une pharmacie. Elle va nous rejoindre.

– C’est pour pas avoir de bébé ?

– Ah d’accord… commente Tommy. Il ne sait pas traverser une route, mais côté sexualité, on a dépassé le stade des cigognes…

Probablement que ni Tommy, ni même Augustin ne prennent réellement conscience de l’accumulation de nouveautés qui submergent le garçon, ce jour-ci. Assailli, jusqu’à l’étourdissement, par des expériences, Jules peine à mettre de l’ordre dans ses pensées. D’ailleurs, il doit encore vivre de nouvelles découvertes : pour la première fois, il entre dans un immeuble et monte dans la cabine d'un ascenseur, lequel a pour bizarrerie de posséder une télévision en marche.

Quand ils arrivent, tous trois, devant la porte du palier médian du penthouse, Jules est, à présent, surpris par la musique et le chahut qui règnent entre les murs.

– Ce sont les locataires du triplex, explique Augustin.

– Ils font la fête ?

– Comme d’hab’, explique Tommy. Ici, c’est fiesta tous les jours et à toute heure. Ils n’ont que ça à faire de leur vie…

La porte s’ouvre. Deux fêtards apparaissent dans l’entrebâillement : l’un porte un chapeau et un nœud papillon ; l’autre, dans un smoking débraillé, tient une bouteille de champagne à la main.

– Tiens ! C’est Montvernier, le fils du proprio avec Tommy, clame le fêtard au chapeau, en ouvrant la porte en grand.

En écho, des exclamations enjouées.

– Entrez !

Le deuxième fêtard, en smoking, braque son regard sur Jules.

– C’est ton nouveau garde du corps ?

Des éclats de rires fusent.

– C’est mon frère, signale Augustin.

En s’avançant, d’un pas circonspect, Jules découvre un vaste espace épuré aux larges baies ; une galerie dans un style loft industriel, décoré par des toiles géantes de peintures modernes. Le lieu est occupé par une bande de jeunes qui discutaillent, ainsi que par des couples de danseurs atones, qui piétinent le sol sur un slow. L’essentiel du vacarme musical et de l’agitation semblent provenir de l’étage supérieur.

L’instant d’après, Augustin, Tommy et Jules se retrouvent entourés d’un essaim de curieux.

– Ah ouais, tu as un frérot ? s’exclame une jeune brune, la main posée sur une hanche. On ne savait pas. (Elle approche son autre main du menton du garçon.) Il est craquant.

– Il a quel âge ? interroge un curieux dont la tête apparaît derrière l’épaule de la brune.

– Neuf ans, informe Augustin.

– Ah ! enchaîne le fêtard au smoking. Toi, tu as une mère qui accouche au bout de neuf ans !

Les rires explosent.

– Dommage pour l’âge… enchaîne la brune.

– C’est combien qu’on te donne, en argent de poche ? interroge, cette fois, un jeune éméché, qui manque de perdre l’équilibre alors qu’il se penche vers Jules.

– Foutez-lui la paix ! s’agace Augustin, qui repousse le jeune soûlard.

– Vous allez bien rester un peu ?

– Oui, juste un peu, confirme Augustin en jetant un œil sur sa montre.

– Quelqu’un peut aller leur chercher des verres ?

À cet instant, une jeune fille aux boucles blondes arrive précipitamment. Elle fixe le frère de Jules, le sourire enjôleur et le regard luisant.

– Bonjour Augustin, je suis Laura. On m’a prévenue de ton arrivée. Je suis contente de te voir. C’est possible de se parler ?

– Je n’ai pas beaucoup de temps…

– Oui, je sais. Mais juste cinq minutes. On s’assoit à côté ?

Augustin suit Laura dans l’espace voisin, talonné par Jules et Tommy.

Il s’agit de la seconde partie de la galerie. Elle a pour avantage de proposer un assortiment de divans, sofas et poufs entre lesquels s’étend l’épais molleton laineux d’un tapis à la surface gigantesque.

Plusieurs groupes ont pris leurs aises, parmi lesquels, sur un canapé de cuir noir, un petit type ventru, vautré avec deux filles ; une entre chaque bras, qu’il pelote de ses doigts dodus.

À côté, deux trentenaires aux frusques défraîchies, affalés à terre contre un mur, la tête penchée en avant, aspirent par le nez une poudre blanche, à l’aide d’une paille.

Une femme du groupe d’accueil – un peu plus âgée que la moyenne des convives – vient se confronter au petit gros et à ses deux compagnes.

– Eh oh ! Vous dégagez d’ici ! Il y a des chambres pour faire vos saloperies. Là, en plus, il y a un enfant !

Le trio, nonchalamment, quitte le canapé et s’éloigne vers un escalier en colimaçon.

L’homme au chapeau et au nœud papillon intervient, à son tour, pour chasser les deux drogués.

– Vous aussi, vous dégagez !

Il pousse les deux zombies, comme des chiffes molles, vers la sortie.

Laura et Augustin ont trouvé un canapé blanc, pour discuter, mais Laura, au lieu de s’installer sur un coussin, s’assoit sur l’accoudoir et croise ostensiblement les jambes.

– Tu crois que je peux m’asseoir à côté d’Augustin ? tente Jules, qui a repéré la place libre du canapé blanc.

– Non, tu restes avec moi, recommande Tommy, qui tâte tous les poufs à la recherche des plus confortables.

Du fond d’un couloir, déboulent deux serveurs. L’un porte d’une main un plateau de boissons. Sur le plateau de l’autre, est proposé un assortiment coloré de zakouskis. Les serveurs commencent par présenter les plateaux à Augustin, avant de faire le tour des autres convives. Tommy attrape un verre de jus d’orange pour Jules, qui s’amuse avec un pouf à mémoire de forme, dont la singularité est de mouler l’empreinte du corps avec précision, chaque fois qu’il s’y enfonce.

La femme qui vient de chasser l’homme et ses deux maîtresses du canapé noir, va à la rencontre de Tommy, à présent installé sur un pouf, à côté de Jules.

– Il y a un conseil que tu devrais transmettre aux Montvernier, c’est de faire un nettoyage des gens qui entrent ici. Il y en a, on le sait, ce sont des mafieux. De vraies pourritures.

– Je leur en parlerai. Sinon, je peux te poser une question ? La Laura, elle n’est pas en train de l’allumer, en ce moment ?

– Oui, c’est clair.

– Le problème, c’est qu’il est accompagné.

– Ouh là ! L’autre va arriver ?

– Oui, on l’attend.

Mais Tommy, au même moment, voit Augustin quitter le canapé et, ainsi, s’éloigner de sa séductrice.

L’homme au chapeau intercepte l’adolescent :

– Eh bé ? T’as pas vu que t’avais une touche ? Une fille qui se tripote les cheveux… tu ne sais pas ce que ça signifie ?

– Stop ! Je suis déjà avec une fille, interrompt Augustin. Elle va arriver.

– Ah oui ? Alors, il va y avoir des éclairs dans l’air.

Tommy, à son tour, le rejoint.

– Moi, je trouve que Laura, elle est mieux qu’Ambre. Tu devrais plutôt la prendre elle.

– Mais t’es un connard, toi !

– Oh ! Je déconne.

– J’espère… Ambre arrive. Je peux au moins te faire confiance pour que tu t’occupes de Jules, pendant que je serai avec elle ?

– Ouais… Mais n’en profite pas trop, non plus.

Puis Augustin attrape le garçon au chapeau par la manche.

– Est-ce que tu peux, s’il te plaît, préparer le courrier de mon père ?

– Ok, je m’en occupe. Se dirigeant vers l’entrée, Augustin ouvre à Ambre, prend sa petite amie par la main et la conduit jusque dans le second espace.

Jules n’a pas quitté son pouf. Augustin s’accroupit devant lui.

– Écoute-moi, frérot. Je vais devoir te laisser un petit moment pour rester avec Ambre. Je pense que tu es assez grand pour comprendre. Toi, pendant ce temps-là, tu vas rester avec Tommy et tu ne laisses personne d’autre t’approcher. Pigé ?

Avec l’arrivée d’Ambre, plusieurs fêtards sont venus se concerter discrètement avec Tommy et attendent, goguenards, la réaction de Laura.

Cette dernière commence par repérer la présence d’Ambre, à proximité d’Augustin. Mais lorsque Augustin entraîne Ambre par la main, vers l’étage inférieur, en empruntant un escalier en colimaçon, le minois de la jeune fille se décompose. S’ensuivent les rires cruels de la bande de garçons.

Saisissant ses affaires, une pluie de larmes sur le visage, Ambre fend la pièce en direction de la porte et quitte l’appartement.

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