Ch. 31

9 minutes de lecture

En ouvrant les yeux, Jules commence par apercevoir les moulures du plafond. Il réalise qu’il n’est plus à Roquebrune-Cap-Martin, mais dans le domaine de Courcy Montvernier et que quand il se lèvera, il ne verra pas le bleu de la mer. Tout son voyage ne ressemble plus qu’à un rêve. D’ailleurs, est-il vraiment sûr de ne pas avoir seulement rêvé ?

D’un bond, il quitte son lit et déplace sa table de nuit, afin de récupérer le smartphone dans sa cachette. En l’allumant, il a la surprise de découvrir un SMS : « Bonjour petit frère. Bien arrivé à Courcy Montvernier ? Gardons le contact. Biz. Augustin. » Ce message, d’un coup, l’enflamme de bonheur. Il le relit, une fois, deux fois… Après une énième relecture, il se résout à répondre : « Bonjour Augustin. Bien arrivé, mais j’ai failli casser l’avion. Bisou. Jules. »

Assis en tailleur, Jules attend une réponse. En vain. Il dissimule le téléphone et quitte sa chambre.

En rejoignant la salle à manger Printemps, pour son petit-déjeuner, il remarque qu’une employée sort du salon Forum. Intrigué, il bifurque vers le salon. Il aperçoit son père, en robe de chambre, qui tapote sur un ordinateur, une tasse de café fumant à côté. Il reconnaît l’ordinateur habituellement caché dans le tiroir secret du bureau marqueté. – Qu’est-ce que tu viens faire là ?

– Rien. Je venais juste voir.

– Je travaille.

– C’est pour une prochaine réunion ?

– Oui. C’est en prévision d’une réunion avec mes associés.

Comprenant qu’il ne doit pas déranger, Jules retourne en direction de la salle à manger Printemps.

Son petit-déjeuner achevé, il remonte et, fébrilement, rallume son téléphone. Mais aucun nouveau message n’apparaît. Il décide d’appeler, mais tombe sur le répondeur.

– Augustin, c’est moi, Jules. Allez, réveille-toi ! Paresseux !

Il compose une nouvelle fois le numéro, insiste encore. Mais chaque tentative le fait échouer sur le répondeur.

Il s’habille et se prépare pour sortir. Un bip répété le fait sursauter, mais il ne vient que de l’interphone.

« Jules, c’est moi, Rosalie… Comment tu vas ? »

Il propose à Rosalie un rendez-vous dans l’après-midi. Il a dès lors, une préoccupation bien précise : trouver une astuce pour dissimuler, au mieux, le téléphone sous ses vêtements.

Avant de sortir, il n’oublie pas de fixer à son poignet sa nouvelle montre. L’inestimable cadeau de son grand frère.

Une fois à l’extérieur, il descend les marches de l’entrée et oriente un instant son regard vers l’hélicoptère stationné sur l’hélisurface. Puis il s’enfonce à l’intérieur du parc.

– Amalthée !

Il s’introduit dans un enclos. Sa chèvre blanche vient à sa rencontre en poussant des chevrotements plaintifs. Jules se met à terre et la laisse grimper sur son dos. Puis il attrape sa barbichette, enfonce sa main dans son pelage. La chèvre, de son côté, frotte une corne contre sa jambe.

Le bip significatif d’un SMS lui impulse, soudainement, un fluide d'excitation frénétique. Mais à cause de la vidéosurveillance, il doit d’abord s’abriter et n’a pas d’autre choix que de se jeter à quatre pattes dans la cabane de sa chèvre. Une fois à l’abri, il récupère le téléphone coincé dans une ceinture et consulte son nouveau message : « Toujours aussi casse-couilles ! ». Il rit et ajoute un SMS : « Appelle ! ». L’instant d’après, il aperçoit Augustin immergé jusqu’au cou dans un bain de mousse. En arrière-fond, le vrombissement d’une balnéo.

« Tu vois… depuis que tu es parti, j’ai pu réinvestir la maison. C’est cool. Tu reconnais la salle de bain. Sinon, c’est quoi cette histoire d’avion cassé ? »

Jules commence à détailler le trajet du retour, mais son frère l’interrompt : « Tu es où là ? C'est sombre. Et qu’est-ce que tu fais à quatre pattes ? Et une chèvre, en plus, à côté. » Soudain emporté par les spasmes d’un rire, Augustin en vient à provoquer des remous involontaires de son bain. Il finit par retrouver l’apaisement et le fil de la parole : « Non, Jules… Trouve un autre endroit que cette chiotte, pour discuter. Là, je crois que tu risques, au contraire, d’attirer l’attention. Écoute les conseils de ton grand frère. » Puis l’image s’évanouit.

Désappointé, Jules reprend le chemin du château. Dans le hall, il rencontre la gouvernante qui lui apprend qu’ils vont déjeuner de bonne heure. Le regard d’Odette s’arrondit en repérant l’état des vêtements du garçon.

– Mon Dieu ! Vous n’allez pas pouvoir déjeuner dans un état pareil. Allez vite vous changer !

En poussant un soupir d’agacement, Jules remonte l’escalier.

Tout en enfilant ses vêtements propres, le garçon décide de rappeler son frère. Quand l’image revient, Augustin est en peignoir sur la terrasse, une tasse de café à la main. Augustin aimerait que le petit frère lui montre des vues de Courcy Montvernier. Jules commence par lui présenter sa chambre, puis le point de vue depuis une fenêtre, où il est notamment possible d’apercevoir la queue de l’hélicoptère. Prudemment, il s’engage dans le couloir, afin de montrer ses deux salles de jeux, l’entrée réservée aux parents et l’escalier avec une partie du hall.

« Ça a l’air gigantesque ! »

Cette fois, c’est Jules qui doit couper la communication. Le déjeuner va bientôt être prêt et il n’a pas fini de se changer.

Après le déjeuner, son rituel des places autour de la longue table, l’habituelle ronde des plats pour le service, les deux domestiques postés et la nécessité de mastiquer dans un silence monacal, Jules, enfin libéré, s’oriente vers le salon Oppidum.

Retrouvant son orgue, il ressent le besoin de jouer comme un appel. L’appareil est allumé et réglé. Dès les premières touches, la vibration des accords l’envahit d’une douce stimulation sensuelle.

Alors qu’il joue, il entend son père s’activer dans les derniers préparatifs de son départ. Le décollage fracassant de l’hélicoptère, qui fait trembler les vitres, l’oblige à interrompre son air.

Il aperçoit Rosalie, appuyée contre un mur.

– C’est beau ! Oh ! (Elle remarque son visage.) Mais tu es bronzé !

Jules propose à Rosalie de se rendre dans la salle de jeux violette, pour s’amuser avec le casque de réalités virtuelles. Il tient à éviter les temps morts qui l’obligeraient à parler en détail de ses vacances et, surtout, à se confier sur le fait qu’il a un frère. Il a décidé que seule Élisabeth Delco allait être informée à ce sujet. Ce n’est pas de révéler l’existence d’Augustin qui lui paraît insurmontable, mais en parlant de son frère, il est aussi obligé de dénoncer les mises en scène des parents et leur perpétuelle fausseté dans leurs comportements vis à vis des autres. Il se rend compte qu’il a honte de cela.

Rosalie, par chance, ne lui pose pas trop de questions. Il remarque, par ailleurs, que le comportement de sa compagne de jeux a bien évolué. Elle ne le provoque plus, ne le blesse plus par des piques. Dès lors, elle ne cesse, au contraire, d’avoir des compliments plein la bouche.

Lassés par la réalité virtuelle, Jules et Rosalie optent pour une sortie. En passant devant la piscine olympique, pour rejoindre le trampoline, Jules aperçoit sa mère, étendue sur un transat, immobile. Il se rend compte que les réflexions d’Augustin, à son sujet, ont complètement modifié la vision qu’il a d’elle. Lui non plus, ne comprend pas son impassibilité permanente.

Alors qu’il est censé s’endormir, il sort le téléphone de sa cachette. Il aimerait savoir si son frère s’est déjà chargé d’envoyer le prélèvement génétique au laboratoire.

« Non… Je ne m’en suis pas encore occupé. Mais laisse-moi un peu de temps, quand même ! T’inquiète, je n’oublie pas. Notre père vient d’arriver. Je dois te laisser. Bisous. »

Quand il retrouve Élisabeth Delco, pour le cours d’orgue, Jules se sent euphorique à la seule idée de lui confier le secret de son frère caché. Mais il remarque que sa professeur pose sur lui un regard attendri et fait preuve d’une certaine réserve.

– Tu es sûr, au moins, que c’est ton frère ? Que ce garçon n’essaye pas de s’inventer, tout simplement, une histoire qui lui permettrait de se mettre en valeur ? Tu sais, ça peut être tentant, pour un jeune d’une faible condition, de faire croire qu’il est un héritier de la famille Montvernier.

– Non, Madame Delco. Je vous assure que c’est vraiment mon frère. C’est forcément lui, je vous jure !

– Est-ce que tu as des preuves, au moins ?

– Des milliers !

– Des milliers, mais sans doute aucune qui ne soit vraiment concrète. D’ailleurs, si tu étais vraiment si sûr de toi, tu ne serais pas allé demander qu’on procède à un test de laboratoire pour vérifier ta parentalité.

Jules évite de s’emporter. Dès lors, défiant sa professeur du regard, il retrouve le souffle d’une parole qu’il veut implacable.

– Je peux avoir des preuves concrètes. Il suffit que je les demande à mon frère. Il me les donnera.

– D’accord. On procède comme ça. Je suppose aussi que tu comptes sur ce frère pour te faire sortir de Courcy Montvernier.

– Oui.

– Tant mieux, si c’est le cas, parce que de mon côté, je ne vais plus pouvoir faire grand-chose. À part de continuer à t’apporter des livres, bien sûr…

– Pourquoi vous me dites ça ?

– Ton père est très fort. (Elle lâche un soupir.) Avant ce voyage, tu étais un garçon séquestré dans une propriété par ses propres parents et privé des libertés fondamentales ; liberté de t’instruire, de découvrir le monde, de te socialiser, de penser par toi-même. Tes parents pouvaient être, à cause de ça, poursuivis et condamnés par la justice. Mais là, tu as découvert la mer ; tu as été sur des plages ; tu as été dans un restaurant en Italie…

– Mais c’était juste quinze jours, et je suis à nouveau enfermé !

– Jules, il y a des enfants qui n’ont jamais vu la mer. La justice ne va pas, pour cela, jeter leurs parents en prison. Toi, non seulement tu as vu la mer, mais tu as été également sur un yacht, dans un jet privé, dans un restaurant de palace… En plus, ton père te couvre régulièrement de cadeaux. Je sais que tu continues à être enfermé, à être privé de liberté, mais aux yeux de la justice, tu ne peux plus passer pour un enfant malheureux.

– Mais on m’a aussi privé d’un frère.

– Peut-être, mais aucune loi oblige des parents à faire se rencontrer les frères et les sœurs.

Fixant les touches de l’orgue, Jules prend de lui-même l’initiative de jouer, comme si, dès lors, il ne voulait plus rien entendre d’autre que des envolées musicales.

Une fois de plus, il attend d’être couché pour recontacter Augustin. Dès les premières images, il comprend que son frère est de sortie. Une ambiance festive règne autour de lui.

« Tu ne reconnais pas ? »

– Si. (Jules voit le Zephira.) Vous faites du bateau la nuit ?

« Mais non bêta, on est à quai ! C’est juste une petite soirée, à bord, avec quelques potes. Tiens, je te présente mon garde du corps, sur le quai. Et il y a également Tommy. »

– Et Ambre, aussi ?

« Non, ce n’est plus Ambre. Dis-moi si tu la reconnais. »

Jules se mord la lèvre. La fille qu’il aperçoit sur l’écran, n’est autre que Laura, qui avait quitté précipitamment le penthouse de Monaco, humiliée après avoir remarqué qu'Augustin était accompagné.

– Notre père est d’accord pour que tu sortes ?

« J’ai l’autorisation de minuit, mais de toute façon, cette nuit, il ne dort pas à la maison. »

– Il est où ?

« Je n’en sais rien. Sans doute dans un hôtel avec une fille. »

Jules ressent un pincement au cœur. Son frère a beau l’avoir informé : il n’arrive pas à admettre que leurs parents puissent être désunis.

– Augustin, il faut que tu m’aides. Car ici, une dame à qui j’ai parlé, ne croit pas que tu es mon frère.

« Comment ça ? Elle croit que je suis un imposteur ? »

– Il faut que tu m’envoies des preuves. Par exemple, des photos où tu es avec nos parents, au ski. Le top serait que tu m’envoies aussi le résultat de ton test génétique.

Comprenant que le sujet prend une tournure délicate, Augustin descend d’un pont, afin de s'isoler dans une cabine.

« Tu n’as pas à t’inquiéter. Tant pis si elle ne te croit pas. »

– Non. Je veux que tu me donnes des preuves !

« Ne te fâche pas. Les résultats du laboratoire vont vite tomber. »

– Ça n’a rien à voir !

« Mais si ! Comme on ne sait pas comment notre père va réagir, je vais d’abord lui faire croire que je suis le seul informé. Après, dans un second temps, s’il n’y a pas trop de casse, je lui dirai que tu es aussi au courant. Donc, patience ! Je t’enverrai toutes les preuves. De toute façon, tu as déjà des photos. Le mieux : attends un signalement de ma part… Je t’embrasse, petit frère. Dors bien. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire JEMA66 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0