Ch. 47

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Pivotant des talons, Didier Montvernier se dirige vers le salon Forum. Jules s’empresse de le suivre.

– Je t’ai dit que je voulais savoir ce qui est arrivé à Augustin. Mais tu ne m’as pas répondu !

– Tu crois pouvoir m’adresser des reproches. Sans doute que tu es trop jeune pour mesurer l’étendue des privilèges auxquels tu as le droit, grâce à tes parents. Sans compter ce que je prévoyais pour ton avenir.

Jules remarque que son père s’approche du tiroir d’une table basse. Il en sort des munitions, puis, ôtant une arme de collection fixée sur le mur voisin de la cheminée, il la charge.

– Il est en train de charger une arme !

– À qui tu parles ? interroge son père, sans se donner la peine de se retourner.

– À la police.

– À la police ?

Surpris, Didier Montvernier effectue une rapide volte-face. Son regard tombe sur le téléphone que son fils lui brandit.

Jules ne manque pas de noter l’aspect, soudain livide, de son visage.

– C’est avec ça qu’ils nous écoutent. Et tu veux voir mon arme, à moi ? (Il dégaine une carte d’identité, la pose sur le buffet.) La voilà. J’ai une existence civile. Au risque que cela t’embarrasse, je suis officiellement ton fils. Si jamais tu m’assassines, il te faudra justifier ma disparition.

– Mais non ! Loin de moi cette idée de vouloir assassiner mon propre fils. J’ai juste pensé à ce qui constitue ton point faible : ta chèvre, qui est de toute façon bien vieille. Ça fait un bail que je te l’ai achetée. C’était quand, déjà ?

La sonnerie d’un portable l’interrompt.

– Ce sont eux, je suppose, annonce Jules. Décroche !

Didier Montvernier sort un smartphone de sa poche, le pose sur le buffet, jette un regard noir en direction de son fils, puis presse une touche de son appareil.

Jules reconnaît la voix de Davy.

« Bonjour, Monsieur Montvernier. Ici, police de la Sécurité Intérieure. Dans quelques minutes, nous serons devant chez vous. Il ne vous est pas autorisé de séquestrer votre fils, ni de le priver d’une vie sociale… »

– Je connais les lois, interrompt Didier Montvernier. Vous ne disposez, pour votre part, d’aucun mandat pour pénétrer chez moi.

« Il n’en est pas question, pour l’instant, mais vous venez de sortir une arme et de la charger. Nous disposons d’assez d’éléments pour justifier une surveillance en vue de la protection de votre fils. »

– Je laisse mon fils libre de vous rejoindre, s’il en a l’intention.

D’un mouvement sec du doigt, Didier Montvernier presse sur la touche de son téléphone et interrompt la communication. Puis en un élan, il rejoint le buffet, ouvre la porte du placard du brouilleur d’ondes et s’empare de la télécommande.

Jules remarque, l’instant d’après, que le visage de son père s’empourpre d’une colère qui lui fait gonfler les veines de son cou.

Les plis du visage raidis, les commissures affaissées, la bave aux lèvres, il explose :

– J’ai été trahi et ce traître, qui m’a poignardé dans le dos, c’est toi ! Je t’ai nourri, je t’ai protégé. Tu vis sous mon toit. Tu viens de mon lit, tu viens de ma semence. Tu es mon fils !

– Pourquoi tu me parles de ça ! s’emporte à son tour Jules. Comme si la famille, c’est quelque chose qui t’intéresse tout à coup. Mon seul souvenir de bonheur en famille, je l’ai connu avec Augustin.

– Tu n’as pas été abandonné.

– En effet, on m’a conservé, comme un objet à rentabiliser. Je devais devenir un bon placement.

– Tu te trompes. Tu n’es pas indispensable à ma réussite. Le monde des affaires, vois-tu, ça fonctionne avec des contrats. Là où les contrats ne peuvent pas se faire, il n’y a pas de profit à envisager. C’est pourquoi, le contrat, ce n’est pas avec toi que je l’ai envisagé, mais avec Faustine.

– Faustine… répète Jules, ébahi. C’est donc ça le sommet de ta réussite ? Cette pauvre naze qui s’émerveille de tout ce qui brille et ne s’intéresse à rien d’autre. Le béni-oui-oui de la famille… Bravo pour la sélection ! Mais ça, c’est sûr, au moins elle ne te fera pas chier.

– Faustine est l’héritière qu’il me faut. Tu penses peut-être, que ton soutien à la police a permis de faire capoter mon projet. Tu te trompes. Tu aurais dû d’ailleurs mieux m’écouter, car comme je te l’ai déjà expliqué, je ne laisse aucune chance au hasard.

D’un signe de la main, Didier Montvernier invite Jules à le suivre, alors qu’il quitte le salon en direction du hall et de l’horloge.

– Faustine n’est pas ta vraie cousine.

– Je sais. Elle est ma sœur.

Didier Montvernier pose un regard oblique sur son fils.

– Elle a été adoptée par ton oncle et ta tante qui n’ont pas pu avoir d’enfant, mais elle peut redevenir ta sœur, si je le souhaite. C’est une bonne nouvelle pour toi, non ?

– Si on veut.

Didier Montvernier fixe l’horloge.

– Faustine épousera Marc, le frère de Pauline. C’est ce qui permettra de relier notre famille à celle du dernier de mes associés. À partir de là, Marc, Aurélien et Maximilien formeront le nouveau triumvirat. La date du mariage de Faustine et celle du triumvirat auront lieu le même jour : ce sera ce fameux 12 janvier, qui sera signalé, ici, par l’alignement des zéros. Je sais que tout le monde s’est posé la question au sujet du choix de cette date. Pourquoi le 12 janvier ? Parce que le jour du dernier mariage et du nouveau triumvirat, correspondra également à la date d’anniversaire de Faustine.

– C’est faux. J’ai déjà vérifié.

– Tu as vérifié ? Qu’est-ce que tu as pu vérifier ? Il revient aux parents de déclarer la naissance de leur enfant. Ta mère et moi, nous le ferons peu avant son mariage. Faustine se mariera le jour de ses vingt ans.

– De ses vingt ans ? N’importe quoi ! Elle aura au moins vingt-trois ans ! Elle a deux ans et demi de plus que moi. D’ailleurs, comment on pourrait avoir seulement six mois d’écart, alors qu’on a la même mère ?

– Tu as raison. Ça fera même moins de six mois d’écart. Voilà justement ce qui devrait t’intéresser. Comme les autres, sans doute, tu t’es focalisé sur cette date du 12 janvier, en te disant qu’elle devait sûrement avoir une signification. Eh bien non, ce n’est pas la date qui a une signification, mais la durée entre deux dates de naissance : la tienne et celle de ta sœur. Car il est totalement impossible qu’un frère et une sœur aient moins de six mois d’écart s’ils sont nés de la même mère. Or, d’un côté, il y a une date de naissance déclarée par des parents ; de l’autre, c’est une date établie sur la seule parole d’un enfant et sans nos signatures. Quelle déclaration sera la plus crédible, d’après toi ? Tu comprendras, de cette façon, que nous avons également veillé à ce que Faustine soit notre seule héritière.

– Bonne nouvelle. Tu n’auras pas à m’assassiner pour cela.

– Je suis ravi, pour ma part, que tu ne prennes pas ton déshéritement pour un assassinat. C’est, en tout cas, une condition indispensable pour mener mon projet jusqu’au bout. Parmi les imprévus qu’il me fallait envisager, il y avait cette possibilité que tu aies rencontré Augustin, et que tu aies découvert qu’il était ton frère. D’ailleurs, vous avez été un peu imprudents, tous les deux. (Il indique du doigt la montre sur le poignet de Jules.) Je l’avais remarquée.

– Maintenant, il ne te reste plus qu’à me dire comment Augustin a disparu, réplique Jules en serrant les dents.

– Je n’ai rien à ajouter au fait qu’il ait disparu. Il en a peut-être eu la volonté, n’est-ce pas ?

– Non ! (Jules, dans un subit élan de rage, bouscule son père.) Tu mens, comme tu l’as toujours fait ! Pendant des années, je me suis accroché à ce genre de version, qui me donnait l’espoir qu’il était encore en vie. Mais au fond de moi, je savais que c’était impossible, parce qu’il ne m’aurait pas abandonné.

– Tu as maintenant la liberté de quitter les lieux… Qu’est-ce que tu veux de plus ?

– Je veux que tu me dises la vérité au sujet d’Augustin. Tu es sourd ou quoi ! Tant que je ne l’aurai pas, je ne te laisserai pas…

– Fais attention, Jules, tu joues à un jeu très dangereux, assure Didier Montvernier en retournant vers le salon Forum. Je vais m’occuper de faire venir mon pilote d’hélicoptère.

– Tu ne pourras pas partir d’ici.

– Qu’est-ce qui m’en empêche ?

– Tu t’es enfermé toi-même, en activant la commande du brouilleur d’ondes. L’armoire pour le désactiver est fermée à clef et la clef a disparu.

Jules a un sentiment de jubilation en observant la mine de son père se liquéfier.

– Où est-ce que tu as mis la clef ?

– À toi, maintenant, de découvrir ce que ça signifie de vivre enfermé, dans le domaine de Courcy Montvernier.

Didier Montvernier se dirige vers le buffet afin de vérifier, par lui-même, que la clef n’est plus sur l’armoire métallique. Fortement préoccupé, il ne prête pas attention à la présence de son fils qui, dans son dos, ouvre un tiroir pour récupérer l’arme qu’il a lui-même chargée. En se retournant, il a un sursaut. Jules le braque.

– Tu arrêteras de dire, maintenant, que tu ne fais plus d’erreur.

– Toi, tu es en train d’en commettre une. Ces armes sont sensibles. Tu ne sais pas les utiliser.

– Merci, pour le conseil. Tu viens de m’expliquer que je peux commettre un homicide involontaire.

– La seule fois où tu as tenu une arme entre les mains, c’est quand on est partis chasser ensemble. Tu te souviens ?

– Je veux que tu demandes à tous ceux qui sont dans le château, de quitter les lieux.

– Voyons… Sois logique. Je ne vais pas te faciliter la tâche de m’assassiner. De la même façon, ce n’est pas sous la menace d’une arme que je vais t’expliquer ce qu’est devenu Augustin.

Jules abaisse le canon et lisse une mèche de son front.

– Ce moment-là, j’en ai rêvé. Venger la mort d’Augustin. Je crois que… quelques semaines après sa disparition, dans la même situation, je t’aurais tué. Ma douleur était si intenable que je ne me serais même pas inquiété des conséquences… Mais là, je me dis surtout que je n’ai pas envie de te ressembler. Mon rêve, maintenant, c’est d’imaginer ta tête, un jour, dans un tribunal, qui te condamne pour les crimes que tu as commis. Je veux remettre cette arme à la police. Appelle quelqu’un pour qu’il la leur donne.

Didier Montvernier active la touche d’un interphone.

– Quelqu’un peut venir ?

– Une fois je lui aurai remis l’arme, dis-lui que tu ne veux plus personne dans le château.

– Pourquoi ça ?

– Ton armée de lèche-bottes est toujours prête à te défendre et à prendre ton parti. En plus, je veux te garantir les conditions optimales pour que tu me parles d’Augustin. Ce sera seulement de toi à moi. Je veux savoir ce qui s’est vraiment passé. Combien de fois je me suis imaginé la scène ? Toutes les hypothèses qui m’ont traversées la tête. Je ne veux rien d’autre que la vérité… Je ne te lâcherai pas tant que tu n’auras pas parlé. Qu’importe le temps qu’il me faudra attendre !

– Ok… On va faire comme tu veux. Mais méfie-toi, j’ai de l’endurance.

Peu après, un domestique vient récupérer l’arme et Didier Montvernier transmet la consigne d’évacuer le personnel qui occupe le château.

– Vous êtes sûr que ça ira, Monsieur Montvernier ?

– Oui. J’ai besoin d’être entièrement seul avec mon fils.

On lui signale qu’on lui laisse les plats de leur déjeuner, avec la boisson, sur la table de la salle à manger Printemps.

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